Intervention de Général Éric Bucquet

Réunion du mardi 6 avril 2021 à 17h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Éric Bucquet :

Vous en savez déjà beaucoup sur la DRSD. Service de renseignement du ministre des armées, elle assure la sécurité du personnel, des informations, des matériels, des installations sensibles et des systèmes d'information. Son champ d'action est donc très vaste. Sa mission est la contre-ingérence. Elle consiste à déceler, identifier, caractériser et contribuer à entraver toute menace pesant sur la sphère de défense élargie. De telles menaces peuvent provenir d'un service de renseignement ennemi – nous en connaissons plusieurs –, d'organisations, d'agents ou d'individus, et relever du terrorisme, de l'espionnage, du sabotage, de la subversion ou du crime organisé – le périmètre de menaces, lui aussi, est large.

En tant que service de renseignement, notre rôle est de donner par anticipation des informations aux autorités. Chaque jour, une synthèse de la production des services de renseignement est adressée au Président de la République et irrigue l'ensemble des autorités politiques.

Notre champ d'investigation couvre deux domaines : la contre-ingérence des forces sur le périmètre du ministère des armées, soit près de 270 000 personnels, civils et militaires ; la contre-ingérence économique, qui vise à protéger notre BITD et les établissements de recherche associés, et plus généralement tout ce qui relève de la protection du secret de la défense nationale en matière de potentiel scientifique et technique de la nation (PSTN). Dans ces deux domaines, nous utilisons nos savoir-faire en matière de protection pour déterminer les vulnérabilités, et nos capacités de renseignement pour caractériser la menace. La synthèse de ces deux démarches nous permet de déterminer comment un ennemi pourrait nous attaquer. Sur la base de ce recoupement, nous produisons une évaluation du risque et identifions les mesures à prendre pour l'entraver.

Compte tenu de l'actualité, notre rôle est plus que jamais fondamental. Le niveau de menace n'a jamais été si élevé, et la crise provoquée par la pandémie de covid-19 l'a encore renforcé. Nos compétiteurs, qui peuvent être des États ou des organisations, voire des individus, sont multiples. Ils peuvent utiliser des moyens légaux, tels que la compliance de nos amis Américains, ou recourir à la violence, tant physique que virtuelle. Au demeurant, la cyberdéfense est pleinement intégrée à nos actions de contre-ingérence.

La DRSD emploie environ 1 500 agents. Elle dispose d'un budget de 150 millions d'euros, dépenses de personnel comprises. Elle exerce sa mission de contre-ingérence partout où se trouvent des militaires français et des entreprises liées au secteur de la défense. Nous sommes implantés sur le territoire national, dont nous assurons le maillage par le biais d'une cinquantaine d'implantations, outre-mer et à l'étranger – nous couvrons les contingents basés hors de la métropole et les forces déployées en opérations extérieures (OPEX) –, où nous disposons d'une vingtaine d'implantations, soit au total environ soixante-dix postes et détachements dans nos frontières et à l'étranger, ce qui est assez spécifique pour un service de renseignement.

Au quotidien, la DRSD travaille en étroite collaboration avec les autres services de renseignement, qu'ils appartiennent au premier cercle ou au second, ainsi qu'avec les structures institutionnelles que sont l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), le service de l'information stratégique et à la sécurité économiques (SISSE) et les préfectures. En matière de maillage territorial et de collaboration, nous avons réalisé les progrès les plus significatifs. Notre service prend une part active aux initiatives de mutualisation et de partage de l'information et des moyens techniques, même si nous maîtrisons nos propres techniques, autorisées par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Nous avons constitué un réseau d'officiers de liaison. Nous sommes parfaitement intégrés dans la communauté du renseignement et de la lutte cyber.

Face à une menace toujours plus grande, plus forte, plus agile et plus technique, la DRSD s'est lancée, il y a trois ans, dans un vaste mouvement de transformation technologique, accompagné d'une remontée en puissance en matière de ressources humaines. Nous menons une véritable révolution au sein de la DRSD, à travers trente-quatre chantiers de modernisation. Les objectifs sont clairs : dynamiser et accélérer la collecte du renseignement, véritable ADN du service, tout en consolidant notre expertise dans nos missions de protection.

Parmi nos domaines de lutte prioritaire, le terrorisme occupe la première place. Sa montée en puissance date de 2015. Depuis ma prise de fonction, je ne cesse d'affirmer à mes équipes que la lutte antiterroriste demeure notre priorité numéro un ; notre détermination à ce sujet est sans faille. La crise sanitaire représente également un risque considérable pour notre BITD. Les entreprises doivent affronter non seulement une tourmente économique, avec la perte d'affaires, mais aussi des concurrents ayant en partie retrouvé une pleine capacité opérationnelle. Le niveau de vulnérabilité de nos entreprises est immense, et le besoin de protection de nos intérêts stratégiques n'a jamais été aussi avéré.

Ces deux crises majeures, terrorisme et crise économique, exigent une pleine mobilisation des deux piliers de la DRSD que sont sa capacité de protection et sa capacité de renseignement – les résultats obtenus sont tangibles. Elles exigent également la poursuite de la transformation de la DRSD, notamment pour adapter ses processus aux nouvelles technologies. Je dois avouer que nous avons plus que jamais besoin de moyens financiers et humains pour mener à bien cette transformation humaine, technologique et immobilière. J'aborderai ce sujet après avoir fait le point sur la menace terroriste et les ingérences économiques, qui constituent des priorités pour la DRSD, dans l'environnement cyber comme dans l'environnement physique.

S'agissant de la lutte anti-terroriste, au sein de la sphère de défense, la menace est réelle. Bien entendu, nous sommes une cible de choix. Nos personnels portent le plus souvent des armes ; certains, dans le cadre des opérations « Sentinelle » et « Résilience », patrouillent dans les rues, parmi les civils auxquels des terroristes pourraient s'attaquer.

Pour contenir la menace, nous procédons tout d'abord à de nombreuses enquêtes administratives. En 2020, nous en avons mené 311 000. Nous passons au crible nos propres agents, ainsi que les personnels militaires et civils du ministère des armées et les personnels des entreprises contractantes ayant accès à des informations classifiées. Sur ce sujet, nous avons mené une véritable révolution pour aller de plus en plus vite. Avant la crise économique, ces entreprises étaient en plein boom. L'adoption de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 avait favorisé une reprise des activités industrielles et de recherche, concomitante d'un fort renouvellement des personnels au sein des entreprises de défense en raison de leur pyramide des âges. Nous avons donc accéléré nos processus afin de résorber les enquêtes non traitées, que nous appelions « dette ».

Un tel résultat a exigé de mobiliser des ressources humaines supplémentaires et de moderniser nos systèmes d'information, afin de les rendre plus performants, plus rapides et plus ergonomiques. Je reviendrai sur ce point lorsque j'aborderai la transformation de la DRSD.

Ces enquêtes administratives constituent un premier rempart contre la menace terroriste. Elles permettent d'empêcher qu'un individu radicalisé ou présentant un risque pour la défense ne soit recruté par une entreprise de la BITD ou ne pénètre dans l'une de nos emprises. C'est en grande partie grâce à elles que la menace terroriste est contenue.

Nous complétons ce travail d'enquête administrative par nos activités de renseignement, qui reposent au premier chef sur une coopération entre les services, dans laquelle la DRSD a pris toute sa place, notamment au sein d'organisations de création récente, et de cellule de coopération dédiée. À présent, l'information circule vite et bien entre les services de renseignement, ce qui nous permet d'accroître notre efficacité.

Notre activité de renseignement au sein du ministère des armées repose également sur des actions de sensibilisation contre les radicalisations, et sur un réseau de référents. Ce système, associé à une culture du compte rendu solidement installée au sein des armées, est robuste. Il permet d'écarter tout profil susceptible de radicalisation.

Plus généralement, l'armée offre un cadre peu perméable à la radicalisation. Tout soldat bénéficie d'un commandement de proximité, qui repère vite d'éventuelles difficultés. Les armées fournissent également un référentiel de valeurs et instituent un esprit de corps, lesquels forment un environnement peu propice à la radicalisation.

Toutefois, nous devons nous montrer humbles et vigilants, et perfectionner nos dispositifs de contrôle, selon une démarche que je détaillerai ultérieurement.

La DRSD porte également une attention toute particulière au risque que les mouvances de l'ultradroite et de l'ultragauche font peser sur le ministère des armées. Au sein de sa direction centrale, des effectifs leur sont spécifiquement dédiés. Face à ce risque, l'objectif est d'identifier et, le cas échéant, d'entraver les mouvements visant à nuire à la défense nationale, en portant atteinte à l'image des armées ou en tentant de recruter des militaires. Il s'agit également de détecter les personnels adhérant à une idéologie incompatible avec les valeurs de la République française, au sujet desquels Mme la ministre des armées a été très claire dans un discours prononcé il y a quelques semaines.

Quant aux actions d'ingérence économique, elles atteignent des niveaux d'intensité inédits. La crise sanitaire place notre BITD dans une situation de faiblesse tout aussi inédite, fragilisant la situation financière des entreprises et les rendant plus vulnérables à la prédation capitalistique. Le tissu des petits fournisseurs est également menacé, dès lors que les carnets de commandes s'amenuisent. Le recours massif au télétravail démultiplie les capacités d'action des cybercriminels. Les risques sont donc considérables, d'autant que nos concurrents ont retrouvé pour une large part leur pleine capacité opérationnelle. J'ai demandé à mes services de rester pleinement mobilisés et de garder le contact, même pendant le confinement, avec nos industriels. Cela n'a pas été sans difficulté, la crise sanitaire empêchant de dialoguer selon nos habitudes. Nous avons dû adapter nos dispositifs. Par-delà le rapport direct avec l'entreprise et le poste compétent, nous avons régulièrement transmis une lettre d'information aux chefs d'entreprise de notre périmètre.

Fort de son maillage territorial national, la DRSD est pleinement impliquée, au quotidien, auprès des acteurs de la BITD, notamment dans le domaine cyber. De l'entreprise du CAC40 à la petite start-up, le service agit à plusieurs niveaux : tout d'abord par les sensibilisations qu'il effectue, des collaborateurs aux membres des comités exécutifs (comex) ; ensuite par ses conseils techniques, l'émission d'avis et le contrôle de l'application des règles de sécurité.

Par ailleurs, si une entreprise connaît une attaque cyber, la DRSD est en mesure de conduire des investigations à son profit pour caractériser l'origine et la nature de l'attaque et de l'assister par son conseil. L'idée est de protéger l'ensemble de la BITD. L'intégration du service au sein du groupement d'intérêt public Action contre la cyber malveillance (GIP ACYMA) en février dernier, en qualité de représentant permanent du ministère des armées, aux côtés d'importants acteurs étatiques tels que l'ANSSI, consacre son action et son professionnalisme dans ce domaine hautement technologique. La création de cette entité, en mars 2017, dans le cadre de la stratégie nationale pour la sécurité du numérique, concrétisait la volonté gouvernementale de répondre aux besoins des particuliers, des entreprises et des collectivités territoriales, hors opérateurs d'importance vitale et opérateurs de services essentiels.

Convaincu que la collaboration entre les services démultiplie leur efficacité, en particulier sur le terrain, je me félicite du travail que nous réalisons avec la DGSI. En matière de sécurité économique, la DRSD et la DGSI sont services menants ; les autres services sont des services concourants. La délimitation de nos compétences et de nos coopérations a été précisée cette année. À présent, l'échange de renseignements entre nos deux services est d'excellente qualité.

Les résultats de cette mobilisation sont à la hauteur de la menace. En 2020, nous avons rédigé plusieurs centaines de notes de renseignement dans le domaine de la contre-ingérence économique, soit une augmentation de 36 % par rapport à 2019.

Toutefois, si le renseignement élaboré est abondant, nous devons nous mobiliser davantage pour que des mesures de protection et d'entrave soient prises en temps et en heure, s'agissant notamment des secteurs particulièrement ciblés que sont le nucléaire, la construction navale et le spatial. Dans ce dernier domaine, l'action de nos équipes en Guyane est importante. Elles participent directement à la sécurité de l'agenda spatial, très chargé pour les prochaines années.

Dans le domaine naval, le contrat Australian future submarine program (AFSP), remporté par Naval Group pour un montant initial de 34 milliards d'euros, porté à 50 milliards avec le maintien en condition opérationnelle (MCO), mobilise également les moyens du service. Nous menons régulièrement des inspections physiques et cyber au sein du groupe, au siège social et dans ses divers établissements, ainsi qu'auprès de ses principaux fournisseurs. Nous nous assurons également de la sensibilisation des acteurs privés et publics à la nécessaire protection dans le cadre de ce contrat stratégique pour nos deux pays.

Par ailleurs, nous apportons une contribution importante à la protection du potentiel scientifique et technologique de la Nation (PSTN) en menant des missions d'inspection des sites militaires et industriels. Nous sommes parvenus à rétablir un taux d'inspection satisfaisant, notamment en augmentant le nombre d'inspecteurs et en diversifiant les viviers de recrutement. En 2021, nous devrions parvenir à une performance similaire, sauf à ce que le rétablissement du confinement ne nous empêche d'atteindre cet objectif. En tout état de cause, nous mettons tout en œuvre pour garantir l'inspection de tous les points d'importance vitale (PIV).

Avant de conclure, j'aimerais évoquer deux autres axes d'efforts dans le domaine du renseignement.

En matière de lutte contre l'espionnage, la menace demeure à un niveau très élevé, dont j'estime qu'il est en progression. Les événements régulièrement relatés dans la presse permettent au grand public de percevoir combien les services de renseignement adverses conservent une activité agressive. Nous utilisons les moyens traditionnels, ainsi que les possibilités d'attaques ciblées et sophistiquées offertes par le champ du cyber.

Dans ce domaine, nous sommes restés très actifs cette année. Nous avons notamment créé une cellule opérationnelle de réaction aux incidents cyber.

En tant que service de renseignement, la DRSD intervient dans un périmètre de compétence qui nous est propre avec des moyens variés, au premier rang desquels le recours possible à toutes les techniques de renseignement autorisées par la loi du 24 juillet 2015. Je milite aussi pour un renforcement de la coopération entre les services dans le domaine cyber, notamment en vue d'un échange plus systématique des marqueurs répertoriés.

Comme vous pouvez le constater, l'année 2020 et l'année en cours sont, pour la DRSD comme pour la société française dans son ensemble, particulièrement complexes. À aucun moment nous n'avons baissé la garde, bien au contraire. Nous avons connu un niveau d'activité inédit. Ma conviction que la DRSD doit accélérer sa transformation en gardant à l'esprit ses deux priorités – le terrorisme et la contre-ingérence économique – s'en trouve renforcée.

Cette transformation s'est poursuivie en 2020 et demande à être consolidée par l'apport de moyens humains et financiers. Pour faire face aux menaces et retrouver des marges de manœuvre, la DRSD se transforme en service de renseignement dit « de temps de crise durable » à travers une nouvelle organisation, une modernisation technologique et immobilière, une remontée en puissance des ressources humaines. Dans tous ces domaines, les avancées sont importantes.

Ainsi la nouvelle organisation est-elle désormais pleinement opérationnelle : un état-major coordonne l'action des sous-directions, dont la nouvelle sous-direction technique. Une direction zonale, hors métropole, a également été créée et dynamise l'action de la centaine d'agents répartie dans le monde. Je souligne que les capacités que nous offrons outre-mer et en OPEX sont de plus en plus sollicitées par nos autorités.

Sur un plan technique, ma priorité demeure la création d'un nouveau système de recueil et d'exploitation du renseignement, afin de franchir une nouvelle étape en matière de traitement de données massives – big data – et de donner des outils à nos agents pour enrichir et accélérer leurs analyses. Ce projet est désormais en phase de réalisation avec un grand systémier. Nous avons choisi une modalité de développement innovante en retenant la méthode agile, dans le cadre d'un travail collectif entre nos ingénieurs respectifs. Chaque année, une partie du système devient opérationnelle et, à la fin de 2021, nous disposerons d'une solution complète et souveraine, ce qui sera une première, pour un coût plus que compétitif.

Le Service a également souhaité améliorer ses processus d'enquête administrative, ce qui était indispensable dans un contexte de menaces terroristes de plus en plus importantes. Ainsi deux projets reposant sur l'intelligence artificielle et le machine learning sont-ils en cours de finalisation. Il s'agit de mener les enquêtes plus rapidement et de manière plus approfondie.

En matière d'enquêtes administratives, plusieurs rapports d'inspection ont jugé les processus de la DRSD comme étant les plus robustes. Avec l'achèvement de ces deux nouveaux projets, nous franchirons une nouvelle étape et nous en partagerons les fruits avec les autres services de la communauté du renseignement. Nous suivons également avec intérêt d'autres projets portés par des services partenaires. En revanche, nous ne travaillons pas avec la Fabrique Défense, car nous n'avons pas de besoins particuliers et le nombre de ressources humaines dont nous disposons est limité.

Notre modernisation technologique s'accompagne d'une restructuration immobilière, qui concerne essentiellement la direction centrale et vise trois objectifs : accueillir les nouveaux personnels, offrir des fonctionnalités supplémentaires – salles d'entretien, amphithéâtre pour les formations – et accélérer le cycle du renseignement en regroupant tous les services, opérationnels et experts, et en décloisonnant les espaces. Le programme du futur bâtiment est achevé et le contrat de réalisation sera notifié prochainement, pour une livraison à la fin de 2023. Nous restons évidemment très vigilants pour que la dotation budgétaire correspondante soit bien inscrite dans la programmation de la gestion 2021 du programme 144.

Enfin, les ressources humaines (RH) remontent en puissance. Des moyens supplémentaires ont été ainsi attribués à la DRSD, même s'ils ont été évalués au plus juste et que notre charge de travail n'a cessé de croître.

Si des droits à recrutement nous ont été ouverts, encore la DRSD devait-elle gagner la bataille des talents pour recruter les spécialistes dont elle a besoin. Je suis très heureux que, malgré la crise sanitaire, nous ayons pu atteindre nos objectifs « RH » en 2020. Au 31 décembre 2020, le service a ainsi atteint 98 % de sa cible. Le dépassement du cap des 1 500 est symbolique, car il correspond aux effectifs du début des années 2000, alors que nous étions 1 000 en 2013. C'est le début de la remontée en puissance RH et de la croissance réelle des effectifs.

Pour atteindre une telle performance, absolument inédite, nous avons diversifié nos viviers de recrutements en faisant plus largement appel aux personnels civils. À ce jour, plus de 30 % de nos agents sont civils et apportent à la DRSD les compétences qui lui manquaient : linguistes, data scientists, cyber-ingénieurs, etc.

La DRSD a changé de visage : elle s'est rajeunie et le niveau moyen de compétences a augmenté, à travers notamment le recrutement de personnels de catégorie A. Nous avons également créé de nouveaux métiers que nous avons pu ouvrir aux agents civils. Depuis deux ans, les agents de contre-ingérence économique, les « ACIÉ », sont recrutés après un Master 2 et sont déployés au sein de notre maillage territorial ; avec une efficacité au-delà de nos attentes, ils complètent l'action de nos traditionnels inspecteurs de sécurité de la défense, maillons essentiels de la collecte de renseignement d'origine humaine qui demeurent indispensables. Les effectifs sont désormais au complet alors que, depuis de nombreuses années, nous souffrions d'un déficit important dans cette spécialité.

Pour parvenir à recruter de nombreux agents et que la « greffe prenne » sur une courte période, nous avons appliqué une stratégie de fidélisation sur les moyen et long termes. Ainsi, nous avons organisé de nouveaux parcours professionnels en trois étapes – junior, senior, expert – afin de donner des perspectives de carrière à tous nos agents de renseignement et d'offrir un cadre pour les accompagner dans leur formation et le maintien de leurs compétences. Ces parcours prévoient des mobilités interservices permettant de développer des réseaux, d'accroître ses compétences et, tout simplement, de mieux se connaître : c'est là, en effet, l'une des clés pour travailler en étroite collaboration et fluidifier nos échanges. Ce projet, ambitieux, est également incitatif, car il s'accompagne d'une réforme du régime indemnitaire de la DRSD visant à l'articuler avec les trois étapes du nouveau parcours professionnel que je viens de mentionner.

Le constat RH est donc globalement positif. J'ai, de surcroît, le sentiment que mes agents sont heureux : même dans les épreuves, ils gardent un enthousiasme que j'ai rarement rencontré. Cela se traduit par une diminution du turn-over qui, de 14 % en 2014, a chuté à 10 % en 2020. Des inquiétudes, néanmoins, demeurent, en particulier s'agissant des sous-officiers expérimentés : les armées peinent toujours à nous fournir cette ressource et nous arrivons aux limites de la civilianisation. Le service doit, en effet, préserver son socle opérationnel, c'est-à-dire sa capacité à réaliser des opérations dans la durée et à déployer en OPEX un certain nombre de militaires.

Par ailleurs, le service doit faire face à l'augmentation des postes d'officiers de liaison auprès de structures partenaires induite par le renforcement constant de la coopération opérationnelle : à ce jour, vingt-trois personnels sont détachés dans différentes instances. Cette augmentation correspond à un besoin RH inédit, lequel doit être également pris en compte.

Notre feuille de route est donc dense, alors que le contexte sécuritaire et géopolitique n'a jamais été aussi tendu. Le budget qui nous est attribué dans la loi de finances est taillé au plus juste et tout nouveau projet exige de trouver un financement ad hoc.

Après une année budgétaire record, en 2020, pour financer les deux premières tranches de notre nouveau système d'information, la DRSD atteint en 2021 un premier plateau d'environ 20 millions en autorisation d'engagement, hors crédits de personnels. Pour une très grande part, cette dotation est consacrée aux dépenses permettant de recueillir le renseignement.

En effet, nous avons choisi, dans la LPM, de geler nos dépenses de fonctionnement pour privilégier l'activité opérationnelle et l'investissement. Un tel choix est particulièrement difficile alors que nos effectifs augmentent : nous avons dû rationaliser notre fonctionnement en passant en revue tous les postes de dépense. Je crois que nous sommes arrivés au bout de cette logique qui nous a toutefois offert des marges de manœuvre pour nous moderniser. Nous continuerons en ce sens en 2021. Ainsi, nous achèverons les projets optimisant et accélérant nos enquêtes administratives. La dotation 2021 financera également les opérations nécessaires pour assurer la transition imposée par la nouvelle instruction générale interministérielle IGI 1300 fixant les dispositions relatives à la protection du secret de la défense nationale.

Le service poursuit donc sa transformation en optimisant au maximum l'emploi des ressources. Cependant, compte tenu de la croissance régulière de ses missions et de l'évolution constante de la menace sur l'ensemble du spectre TESSCO, une nouvelle impulsion budgétaire et RH sera, de mon point de vue, nécessaire à moyen terme pour parachever cette transformation et donner à la DRSD sa pleine puissance.

Un mot, pour conclure, sur l'adéquation des besoins du service au cadre légal offert par la loi relative au renseignement de 2015. Alors que le besoin de protection n'a jamais été aussi fort, la préservation des capacités d'action des services me paraît nécessaire. Je plaide en faveur d'une stabilité du dispositif actuel qui a trouvé son équilibre. Nous souhaitons donc quelques évolutions de bon sens mais pas de révolution à l'occasion du prochain réexamen de cette loi.

Je reste également très vigilant quant à toute tentation de limiter nos capacités, ce qui serait malvenu alors que les diverses menaces pesant sur la France n'ont jamais été aussi nombreuses. Ainsi la jurisprudence Tele2 « Quadrature du Net », dans sa version française, est très inquiétante et paraît en totale contradiction avec les attributions de l'Union européenne. J'espère que, collectivement, nous trouverons une solution pour permettre aux services de renseignement de travailler efficacement à la sécurité des Français.

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