En 2019, j'ai eu l'honneur et le plaisir d'être rapporteur des projets de loi organique et ordinaire portant, respectivement, modification du statut d'autonomie de la Polynésie française et diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française. J'ai travaillé de manière approfondie sur ces textes avec Moetai Brotherson, Maina Sage et Nicole Sanquer. Nous avons pu obtenir un début de vérité sur les essais nucléaires. Pour la première fois – je me souviens de ce moment important –, les mots « dette nucléaire » ont été prononcés. Dans l'hémicycle, nous nous sommes efforcés, jusqu'au terme du débat, de trouver une rédaction susceptible de recueillir un accord. La disposition relative à la dette nucléaire a été la seule à être adoptée à l'unanimité, ce qui n'est pas rien.
Nos travaux ont en effet mis en lumière beaucoup de souffrances. Il a fallu surmonter un puissant déni. Une forme de réconciliation a eu lieu, je crois, autour de l'acceptation des faits. Cela ne signifie pas que nous nous sommes mis d'accord sur tout. La prise en compte des 193 expérimentations nucléaires menées dans le Pacifique durant 30 ans est un travail exigeant. La réforme du statut de la Polynésie française a été un moment fondamental, mais il n'épuise pas le sujet.
Le travail engagé, qui a trouvé son point d'orgue avec la loi Morin de 2010, demeure insuffisant. L'actualité l'a montré. Les résultats de recherches récentes ont soulevé des interrogations, et des témoignages ont été livrés par des habitants et des vétérans, qui ont à cœur d'exposer leur vérité.
Cela a conduit le Président de la République à demander la convocation d'une table ronde, qui marquera une deuxième étape de la dissipation du déni des expériences nucléaires menées en Polynésie française et, auparavant, sur d'autres territoires. Cette instance aura pour rôle de remettre les choses à plat concernant les nombreux sujets que vous évoquez, Monsieur le rapporteur, et sur lesquels chacun est désireux de se pencher, en Polynésie comme dans l'hexagone. Je voudrais saluer l'action du gouvernement d'Édouard Fritch, qui travaille ardemment à ce que les choses aboutissent dans un cadre, sinon consensuel, du moins apaisé.
Cela ne signifie pas, cependant, que nous sommes d'accord sur le contenu du texte en discussion. Celui-ci n'aborde d'ailleurs pas un certain nombre de questions, telles que la délocalisation, mais j'ai bien compris, Monsieur le rapporteur, que vous n'aviez pas pour intention d'être exhaustif. J'espère que les forces politiques que vous représentez participeront à la table ronde – je sais qu'il y a un débat à ce sujet, mais c'est fondamental.
L'article 1er crée une commission « chargée de proposer un programme de dépollution, de traitement, d'assainissement et de gestion des sites des essais nucléaires ainsi que des matières et déchets issus de l'activité nucléaire ». S'agissant de la surveillance de Moruroa et de Fangataufa, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et le comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR) ont publié une étude, au tournant des années 2000, sur les effets nucléaires ionisants. Ils concluaient que les concentrations des matières radioactives résiduelles attribuables aux essais nucléaires, tant dans les milieux terrestres et aquatiques que dans les sous-sols, sont très faibles et n'ont pas – pas plus qu'elles ne devraient en avoir à l'avenir – d'impact radiologique. Cela étant, la France a décidé de continuer à assurer une surveillance. Le dernier bilan fait état d'une radioactivité stable ou en décroissance. S'agissant de l'atoll de Hao, la situation est un peu différente, puisqu'une dalle de béton y enferme des déchets. De l'avis général, il serait dangereux de la retirer.
Pour l'ensemble de ces raisons, je ne crois vraiment pas qu'il soit nécessaire de créer un comité supplémentaire.
Le sujet le plus important est, sans conteste, l'indemnisation des ayants droit, qui est le cœur de votre proposition de loi. On peut entendre certaines demandes. L'analogie faite avec l'amiante mérite d'être discutée ; elle ne me paraît pas dénuée de tout fondement, même si je ne la considère pas totalement juste. On ne peut pas mettre exactement sur le même plan les conséquences d'un agissement fautif et la situation actuelle. Cela étant, il faut mener cette discussion. La table ronde nous en offre l'occasion.
Certaines dispositions de votre texte auraient des conséquences difficilement acceptables. Ainsi, vous voulez supprimer le seuil de 1 millisievert à partir duquel l'exposition à la radioactivité est jugée dangereuse. On peut estimer que tout le monde est susceptible d'être touché, et alors il n'y a pas de limite, ou on peut juger nécessaire de se fonder sur des avis scientifiques.
Nous pourrions certes amender le texte, mais nous nous trouvons face à des données particulièrement complexes, qui méritent une discussion approfondie. Le vrai rendez-vous est celui de la table ronde, qui se tiendra très prochainement sous l'égide du Président de la République. Cette instance de haut niveau permettra d'aller au bout des choses. Nous avons un profond respect pour les personnes ayant subi les effets des essais nucléaires et nous portons une attention particulière à leurs souffrances, mais nous ne pouvons pas soutenir cette proposition de loi.