Je ne comprends pas que l'on disqualifie l'action de notre assemblée au motif que l'exécutif a décidé d'organiser une table ronde. L'un n'exclut pas l'autre. Pourquoi sommes-nous là aujourd'hui ? Qui nous a élus ? Quelle est notre fonction ? Nous sommes députés de la République. Nous ne sommes pas des larbins de l'exécutif, si vous me permettez l'expression.
C'est en député que je m'adresse à mes pairs. Je n'attends pas les décisions de Jupiter. Le sujet dont nous débattons m'est particulièrement cher et j'ai essayé de n'oublier personne : de ne jamais oublier les Algériens, avec toutes les difficultés qu'il y a à obtenir des informations car il n'existe pas d'associations de victimes algériennes, même si certaines de ces victimes se manifestent auprès de l'AVEN ; de ne pas oublier tous ces jeunes métropolitains appelés, partis pleins d'entrain pour participer à « la grande œuvre de la France », et qui en sont morts. Ils sont tous chers à mon cœur. Je suis député de Polynésie, mais je suis aussi député de la République et je n'ai jamais oublié les témoignages des marins que vous citez. Certains ont témoigné, ou participé à des documentaires, parfois au péril de leur carrière.
La question nucléaire n'est pas un problème polynésien, c'est le problème de la République française. Vous me dites, Monsieur Gouttefarde, qu'il faut faire preuve de rationalité et qu'il ne faut pas oublier la science. Mais je suis ingénieur en informatique et télécoms. Je suis donc plutôt quelqu'un de rationnel.
Vous opposez l'étude de l'INSERM à l'enquête de Disclose. Mais des représentants de l'INSERM, auditionnés il y a deux jours, nous disent arriver aux mêmes conclusions que Disclose. Où est la contradiction que vous pointez du doigt ? Si la délégation du CEA, que nous avons auditionnée, exprime des désaccords sur certains points de l'enquête de Disclose, il ne remet, lui non plus, en cause ni la méthodologie, ni les simulations qui ont abouti aux résultats de l'enquête. C'est pourquoi je suis un peu surpris que vous considériez que je conteste les données scientifiques.
J'ai toujours été contre le critère du millisievert, et l'enquête de Disclose a montré que l'intégralité de la population polynésienne a été exposée au moins à cette dose lors l'essai Centaure de 1974. Dès lors, où est l'intérêt de ce critère ? Qui plus est, il n'est pas réellement scientifique, mais administratif – et c'est le CIVEN qui le dit, pas moi.
J'ai effectué un travail de fond avec mes collaborateurs et tous ceux que nous avons rencontrés depuis deux ans. Ce n'est pas une démarche opportuniste, en vue de je ne sais quelle échéance. Mais c'est aussi un modeste travail : comme l'un d'entre nous l'a souligné, il y a bien d'autres choses à améliorer. Ce texte n'a pas vocation à tout réparer. Nous nous sommes focalisés sur certains points qui paraissaient à la fois très importants, pertinents et raisonnables. C'est la volonté d'améliorer la situation, en premier lieu pour les victimes, qui nous a animés, et non un esprit revanchard ou opportuniste.
Il est vrai que les choses se sont améliorées depuis la suppression de la disposition concernant le « risque négligeable ». La charge de la preuve incombe au CIVEN. Le critère du millisievert représente plus de 50 % des causes de rejet. Certains disent qu'on ne peut pas supprimer ce critère parce que le respect des trois autres conditions conduirait alors à une présomption irréfragable. Or mettez-vous une seconde à la place des victimes. Une dame que j'ai reçue il y a deux mois dans mon bureau était atteinte de trois pathologies figurant sur la liste – un cancer du sein, un autre de l'estomac et un troisième de la thyroïde – mais son dossier a été refusé sur la base du critère du millisievert. De quels moyens croyez-vous qu'elle dispose à partir du moment où le CIVEN a pris sa décision ? Elle n'en a aucun. Le caractère irréfragable de la présomption est de nouveau du mauvais côté du manche, du moins pour la victime.
S'agissant des considérations environnementales, l'idéal serait de faire tous ensemble – les 577 députés que nous sommes – une visite à Moruroa. J'y suis allé, et je tiens à votre disposition les photos des failles dans l'atoll. La question n'est pas de savoir s'il va s'effondrer, mais quand. En tant que citoyens et surtout comme élus de la République, peut-on décemment, vis-à-vis de nos enfants et de nos petits-enfants, se dire qu'on n'a qu'à attendre que l'atoll s'effondre pour y réfléchir ? Je pense que non, et c'est le sens de la commission que je propose d'instaurer.
Le Département de suivi des centres d'expérimentations nucléaires compte quatre personnes. C'est essentiellement un service d'archives : il emploie une secrétaire à plein temps, une archiviste et deux autres personnels. Pensez-vous réellement que c'est ce micro-département qui va changer quoi que ce soit à la gestion environnementale des conséquences des essais nucléaires ? Je ne le pense pas.
Je n'avais pas du tout anticipé la sortie de l'enquête de Disclose. Quand M. Lecornu a annoncé une table ronde, j'ai été un peu perturbé car je me suis dit que cela allait, à tous les coups, bouleverser le calendrier. Comme Mme Sage l'a dit, j'aurais nettement préféré que la niche du groupe GDR ait lieu en septembre, mais l'agenda est ce qu'il est. Nous aurons à prendre position, les uns et les autres, à titre individuel même si nous faisons tous partie de groupes politiques qui donnent des consignes. Chacun d'entre nous aura, en tant que citoyen, à se regarder dans le miroir le lendemain du vote et à se demander s'il a fait le bon choix.