Intervention de Gérald Darmanin

Séance en hémicycle du mercredi 29 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 — Article 12

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

Monsieur le président, je vous prie d'excuser mon arrivée au cours de la discussion. Je souhaite répondre aux interpellations de MM. Saulignac et Dumont.

Il est vrai que je connais bien les zones transfrontalières – comme beaucoup d'entre vous puisque la France possède des frontières avec de nombreux pays. Avec l'Allemagne, le Luxembourg et la Belgique, la France n'a pas de frontière naturelle – ce qui ne veut pas dire que les frontières naturelles évitent les difficultés. Mais dans une ville comme Tourcoing, qui compte dix-sept points de passage avec la Belgique et que la frontière passe au milieu de certaines rues, certaines habitudes ont cours – j'ai déjà eu l'occasion de le dire, lorsque j'étais enfant, il y avait non seulement le tabac mais aussi les jeux, le chocolat et d'autres joyeusetés. Les élus locaux dans les zones transfrontalières connaissent ces particularités parfois étonnantes.

De votre constat qui est juste – tant M. Dumont que M. Saulignac – , sur l'existence de zones transfrontalières et les différences de fiscalité, vous ne pouvez pas tirer la conclusion qu'il ne faut pas toucher au prix du tabac en France. Il est très difficile de connaître les chiffres de la fraude et de la contrebande – elle existe, elle est importante. Mais je me méfie de ceux qui assènent des chiffres car, par nature, la fraude est mal connue. C'est évident, la contrebande de tabac doit être combattue d'abord parce que les buralistes détiennent le monopole de la vente du tabac dans notre pays – c'est, si j'ose dire, une garantie pour les consommateurs, même s'il s'agit d'un produit extrêmement nocif pour la santé. Cela n'aurait pas de sens de lutter contre le tabagisme si on ne cherchait pas à démanteler contre les réseaux parallèles – nous en sommes d'accord. Peut-être le problème a-t-il été jusqu'à aujourd'hui la non-reconnaissance de ce marché parallèle – les buralistes vous le diraient mieux que moi.

Il faut se garder, monsieur Bruneel, de tout amalgame entre ce qui est légal et ce qui ne l'est pas.

Quand on se rend en Belgique, en Andorre, en Espagne ou en Italie, il est légal d'acheter du tabac à un prix inférieur au prix français et de le rapporter en France, pour peu qu'on puisse prouver, l'on est arrêté par les douaniers ou par les policiers, que le nombre de paquets de cigarettes achetés ne dépasse pas un certain quota et qu'on les gardera pour sa propre consommation. Dans ce cas, le ministre de tutelle des douanes n'a rien à redire, même si celui chargé de la santé peut regretter le caractère nocif d'une telle conduite, sachant que, lorsqu'on s'approvisionne en tabac à l'étranger, cela ne profite pas aux commerçants français.

Si nous devons nous battre sur un point, c'est sur le nombre de paquets ou de cartouches qu'il est permis d'acheter dans d'autres pays, en distinguant la situation des États membres de l'Union européenne et de la principauté d'Andorre, qui n'appartient pas à l'Union douanière, bien qu'elle travaille à la rejoindre.

La contrebande est un tout autre problème. Elle est le fait de gens qui rapportent en France plus de cartouches de cigarettes qu'ils n'ont le droit de le faire, ce qui contrevient aux règles de la fiscalité européenne, ou de réseaux de contrefaçon, de contrebande ou de vente par correspondance. À cet égard, vous vous trompez, monsieur Dumont, si vous croyez que les communes frontalières sont plus exposées que les autres au trafic. Celui-ci, du fait des envois postaux ou d'internet, n'est malheureusement plus leur apanage. Je pourrais vous citer les chiffres des douanes. Pour réagir contre ce phénomène, a été mis en place un service de cyberdouane, dédié à la lutte contre la vente de paquets de cigarettes par internet, parfois sur les réseaux sociaux.

Mais la France doit aussi se battre sur un point qu'elle a négligé jusqu'à présent. Il s'agit de l'harmonisation de la fiscalité sur le tabac. Seulement, jusqu'à présent, nous avons considéré le tabac sous le seul angle fiscal, sachant que les règles fiscales ne peuvent être modifiées qu'à l'unanimité des États membres, qui est quasiment impossible à obtenir. Comme l'a fait observer Mme la ministre des solidarités et de la santé, relayant l'avis du Premier ministre, il faut porter le débat sur le terrain de la santé publique.

Puisque l'Europe se bat, ce qui est normal, pour prendre des mesures contre certains produits nocifs pour l'alimentation ou l'agriculture, il faut envisager le prix du tabac, dont on a toujours considéré qu'il relevait de la fiscalité souveraine des États, dans le cadre d'une politique de santé publique. Avec Mme la ministre des solidarités et de la santé, je vais entreprendre une tournée européenne pour en convaincre nos partenaires. Nous demanderons particulièrement aux députés européens de défendre cette politique de santé publique, au moment où la Commission européenne réfléchit à la directive sur la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac. C'est la santé publique qu'il faut mettre en avant, au lieu d'agir uniquement sur la directive.

Nous devons aussi nous attaquer aux trafiquants. Je me suis rendu récemment en Andorre, où se trouvent des réseaux criminels. Aujourd'hui, en effet, le problème n'est plus tellement M. X ou Y, qui se rend de l'autre côté de la frontière pour acheter quelques cartouches de cigarettes supplémentaires, mais des personnes, le plus souvent sans papiers, qui traversent les chemins empruntés jadis par les résistants espagnols dans les Pyrénées. Elles parcourent parfois dix, quinze, vingt kilomètres dans la neige pour faire passer du tabac de l'autre côté de la frontière. Une fois parvenues à Toulouse ou ailleurs, elles vendront les paquets de cigarettes sous le manteau, mais aussi parfois sans se cacher.

La police, la gendarmerie et les douanes doivent les combattre, en même temps que les réseaux parallèles de criminalité. C'est pourquoi nous avons renforcé les moyens des douanes. Leur service est l'un des seuls de notre pays dont les effectifs et les crédits augmenteront l'an prochain. N'oublions pas, cependant, le rôle que jouent, à côté d'eux, la police et la gendarmerie.

En troisième lieu, nous devons accompagner la mutation des buralistes, qui réalisent d'ores et déjà 50 % de leur chiffre d'affaires avec d'autres produits que le tabac. La moitié de leurs clients se rendent chez eux pour autre chose que pour acheter des cigarettes. Aux prises avec toutes les difficultés que rencontrent les commerçants, notamment en milieu rural, ou encore de façon plus large avec le RSI, ils bénéficieront du moins de notre politique d'allégement des charges. Enfin, ils se heurtent à des problèmes spécifiques.

Jusqu'à présent, ils ont bénéficié du monopole de la vente du tabac. Je comprends leurs craintes pour l'avenir. C'est pourquoi que nous travaillons beaucoup sur leur situation. Je tiens d'ailleurs à saluer une nouvelle fois le courage avec lequel ils accompagnent notre politique de santé publique.

À ce jour, toutefois, on n'a pas constaté de baisse de la vente du tabac en moyenne nationale. Je m'en suis assuré notamment lorsque je me suis rendu, il y a dix jours, en Ariège et en Haute-Garonne, départements où les buralistes pourraient certes vendre plus de tabac, s'il y avait moins de réseaux parallèles. Ils craignent pour demain, en raison de l'augmentation du prix du tabac – que nous devons accompagner. Mais, pour l'heure, je le répète, il n'y a pas de baisse globale de la vente du tabac.

La presse, quand ils en vendent, occupe généralement 50 % de la boutique, mais leur apporte moins de 10 % de leur chiffre d'affaires. C'est pourquoi nous devons reconsidérer le modèle de vente de la presse et réfléchir à leur intéressement. Enfin, ils doivent songer à diversifier leur activité, ce qu'ils ont déjà fait en partie. Ils proposent en effet d'autres produits que du tabac et de la presse. En revanche, ils ont à un moment refusé le commerce de la cigarette électronique. C'est à mon sens une erreur collective de ne pas avoir compris que ce commerce devait être leur monopole.

Demain, d'autres produits apparaîtront sans doute. Nous pouvons accompagner les buralistes sur d'autres dossiers. Le ministre de l'action et des comptes publics que je suis est également chargé de La Française des jeux. Sans doute peut-on trouver avec celle-ci une meilleure répartition des profits. Quoi qu'il en soit, nous devons aider les buralistes, qui ne sont pas seulement des marchands de tabac.

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