S'agissant du Rafale, nous découvrons, en quelque sorte, le marché de l'occasion. Il faut y voir un développement heureux, sous certaines conditions. Cela permet d'entrouvrir une porte et de mettre un pied chez le client : nous avons vendu à la Grèce des Rafale d'occasion, mais aussi des avions neufs. C'est un phénomène positif si cela se traduit – ce qui sera le cas – par des commandes compensatoires pour l'armée de l'air et de l'espace, qui cédera des avions actuellement en opérations. Cette évolution répond à une préoccupation que nos partenaires expriment avec force et qui reflète le climat de tension géopolitique dans lequel nous vivons : l'urgence à disposer de ces appareils. La production d'appareils neufs requiert évidemment un certain délai. Cela étant, nous sommes tributaires de ces mêmes délais pour notre approvisionnement auprès des industriels. Nous avons engagé un effort considérable d'amélioration du maintien en conditions opérationnelles de nos avions, ce qui nous a permis de mobiliser des appareils qui étaient, depuis un certain temps, indisponibles. Les perspectives d'exportation d'avions d'occasion nous ont permis d'accélérer le processus. L'émergence de cette demande nous offre la possibilité d'élargir encore davantage nos partenariats en matière d'exportation d'armements. Il faut toutefois s'en tenir à des limites acceptables ; cette évolution n'est pas extensible à l'infini.
Nous avons commandé à Dassault les douze avions destinés à remplacer ceux qui ont été cédés à la Grèce. Une commande similaire a vocation à être passée, à la suite de la cession du même nombre d'appareils à la Croatie. Il ne faut pas nourrir d'inquiétude : les avions seront remplacés et les objectifs que nous avons validés dans le cadre de la loi de programmation militaire ont vocation à être respectés, à quelques exemplaires près, d'ici au jalon de 2025.
S'agissant des exportations pour 2021, j'ai indiqué que nous nous appuyons sur le socle très significatif des contrats déjà conclus. Il faut toutefois être prudent : si certains contrats ont été conclus commercialement et sont entrés en vigueur, d'autres devraient être dans ce cas prochainement – mais je n'ai aucune inquiétude à ce sujet. Le contrat grec est déjà entré en vigueur.
Au-delà de ces contrats, nos exportations dépendent des négociations en cours. Nous nous déployons sur tous les fronts. Je veux rendre un hommage appuyé aux équipes de la DGA et à l'ensemble des industriels, qui ont été mobilisés comme jamais, dès la fin du premier confinement. Je me suis rendue dans au moins une des usines de chacun de nos grands industriels. Nous nous rencontrons souvent dans le cadre de mes visites aux PME. Les industriels ont été au rendez-vous, et l'équipe France est omniprésente sur l'ensemble des marchés sur lesquels nous avons des prospects.
Quels enseignements la période que nous venons de vivre m'a-t-elle inspirés ? S'agissant de notre politique d'exportation, il me paraît indispensable que nous agissions en meute, comme s'y emploient – pas nécessairement dans le domaine des industries de défense – d'autres pays. Cette action doit reposer sur plusieurs piliers. Le premier d'entre eux, ce sont nos armées, qui testent et éprouvent, sur les théâtres d'opérations, dans des conditions parfois extrêmement difficiles, des matériels qui pourront ensuite être présentés à nos partenaires et clients comme ayant été utilisés par les armées françaises. Nous en avons fait un label, car nous avons constaté que c'était un élément différenciant sur le plan commercial. On peut faire avancer les négociations en faisant intervenir les utilisateurs, qu'il s'agisse de l'armée de terre, de la marine nationale ou de l'armée de l'air. Ceux-ci offrent aux éventuels acquéreurs une vision concrète des capacités des matériels et des équipements.
Notre action en la matière repose en deuxième lieu sur les industriels, qui sont déployés sur les marchés export. Ils ont souffert de l'absence de salons de l'armement au cours des derniers mois, lesquels constituent des lieux essentiels pour la présentation des matériels et des savoir-faire.
Le troisième pilier de notre politique d'exportation est l'État, dont l'action revêt plusieurs dimensions. J'ai insisté sur le rôle de la DGA, mais je voudrais aussi saluer le travail de nos ambassadeurs, l'action des membres du Gouvernement, qui ont à cœur de mettre en avant nos capacités lors de leurs déplacements à l'étranger et, bien entendu, le rôle des parlementaires, qui contribuent à la notoriété de nos industriels et de nos équipements.
J'ai tiré une seconde leçon de la crise, cette fois-ci sous l'angle du soutien aux PME. Premièrement, nous avons eu raison d'enclencher, avant la crise sanitaire, le plan Action PME, qui revêt plusieurs dimensions. D'une part, le ministère des armées réserve une partie de la commande publique à ces entreprises. D'autre part, nous veillons à la relation entre les grands industriels donneurs d'ordre et la chaîne de sous-traitance. Nous avons signé, avec plusieurs groupes, des chartes de bons comportements pour nous assurer qu'une commande passée à un industriel aura des répercussions tangibles sur l'ensemble de la chaîne. Nous sommes attentifs à ce que les paiements effectués à l'entreprise de tête ne soient pas captés à son seul profit, mais bénéficient à l'ensemble des fournisseurs. Le plan Action PME nous a permis d'aborder la crise sans être totalement désarmés.
Deuxièmement, la force de soutien à la BITD, que nous avons déployée pendant la crise, a eu des effets très positifs. La crise nous a conduits à établir le carnet de santé de nombre d'entreprises, principalement des petites et moyennes structures. Cela a permis d'offrir des réponses aux problèmes spécifiques de certaines sociétés. Je pense en particulier à celles qui exercent dans les secteurs qui ont été les plus touchés. Les entreprises de l'aéronautique, par exemple, ont beaucoup plus souffert que celles qui sont spécialisées dans les équipements terrestres. Nous avons décidé de pérenniser l'examen des sociétés par les agents de la DGA. En 2021 et en 2022, il conviendra d'apporter des réponses personnalisées aux PME. Nous avons mobilisé des outils très variés, comme l'accélération des commandes, le versement d'acomptes plus élevés, pour offrir de la trésorerie, ou encore la participation aux discussions entre une entreprise et son banquier pour faciliter l'octroi de financements bancaires.
J'en viens au financement des entreprises du secteur de la défense. Le durcissement des réglementations en termes de responsabilité sociale et environnementale peut être préjudiciable aux industries de défense. J'ai constaté, non sans une grande surprise, qu'un projet qui sera soumis à l'Union européenne place les industries de défense sur le même plan que les entreprises des secteurs pornographique ou des jeux d'argent. Nous ne pouvons pas laisser faire cela sans réagir. La taxonomie influe sur le traitement réservé à un secteur d'activité selon sa classification. Ce phénomène a touché l'industrie nucléaire. On le voit à présent gagner le domaine des industries de défense. Je me suis entretenue très récemment avec Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, qui partage pleinement notre vision. Nous allons entamer une campagne ardente auprès des autorités européennes pour faire comprendre qu'on ne peut pas à la fois se réjouir des efforts récemment réalisés en faveur de la construction d'une Europe de la défense, de l'émergence d'outils de financement de nos industries de défense – par exemple à travers le fonds européen de défense – et, dans le même temps, saper, par la législation, les efforts engagés. Rappelons que les compétiteurs sont nombreux et puissants à l'échelle mondiale, tandis que l'industrie européenne est encore trop fractionnée. L'industrie de défense n'est pas comparable à celle des centrales à charbon ou au secteur pornographique. La discussion sur ce sujet ne fait que commencer.
Les avancées que nous sommes en train d'accomplir en matière de transparence, qui portent sur des sujets extrêmement sensibles, sont précieuses et relèvent de l'exigence démocratique. Cela étant, je suis parfois amenée à constater que le rapport sur les exportations d'armement, que nous enrichissons chaque année, et qui constitue une mine de renseignements, n'est pas assez connu. Je ne suis pas sûre que la procédure britannique soit plus riche et plus transparente que la nôtre, comme certains d'entre vous l'ont déclaré. Nous avons des mécanismes différents, des systèmes juridiques distincts. Je crois pouvoir dire que vous trouverez dans notre rapport des informations qui ne figurent pas dans celui du parlement britannique – à moins que ce dernier ait connu des changements substantiels au cours des deux dernières années. Inversement, on peut trouver dans les travaux britanniques des éléments qui n'existent pas en France. En tout état de cause, vous disposez d'un outil qui répond à de nombreuses questions. Nous améliorerons toutefois la typographie dans la prochaine édition, pour rendre la lecture plus aisée.
La France a suspendu en octobre 2019 tout projet d'exportation vers la Turquie, à la suite de l'action militaire menée par ce pays dans le nord-est syrien. Nous avons passé en revue toutes les licences en cours de validité pour évaluer le risque d'emploi en Syrie. Aujourd'hui, nous examinons au cas par cas, de manière extrêmement rigoureuse, les demandes exprimées par la Turquie. Nous tenons compte de ses activités militaires, non seulement en Syrie, mais aussi dans le Caucase et en Méditerranée. Les volumes des prises de commandes sont désormais descendus à des niveaux relativement faibles – 42,2 millions en 2020. Nous accordons une attention particulière aux PME concernées par les licences. Une part de ces commandes est liée à l'entretien de matériels que nous avons déjà livrés.
Une proportion élevée des exportations vers le Sénégal, en 2020, concerne les trois patrouilleurs armés construits par les chantiers Piriou, qui seront livrés d'ici à deux ans. Ces navires ne peuvent être utilisés pour assurer le maintien de l'ordre ; ils sont destinés à la sécurisation des côtes. En tout état de cause, toute demande de licence, quel que soit le pays concerné, fait l'objet d'un examen minutieux permettant d'évaluer l'ensemble des risques d'emploi éventuels de l'armement.
Nous entretenons une coopération militaire historique avec le Tchad. Compte tenu des moyens financiers de ce pays et du rôle qu'il joue dans la lutte contre le terrorisme au Sahel, il est naturel que nous lui cédions des matériels. Nous lui avons remis récemment neuf véhicules, engagés pour la protection des frontières. Aucun d'eux n'est positionné à N'Djamena et n'est susceptible de participer au maintien de l'ordre.
Nous allons évidemment continuer à aider les pays du Sahel à lutter contre le terrorisme. Nous ne quittons pas la région. Ces États, qui figurent parmi les plus pauvres du monde, ont accompli des efforts militaires considérables. De plus, une force conjointe G5 Sahel a été constituée. Tout cela milite pour que nous continuions à soutenir ces pays. Par ailleurs, l'Union européenne a créé la facilité européenne pour la paix, qui financera l'octroi d'armements létaux à un certain nombre de pays, parmi lesquels les États sahéliens.
Au cours de la période récente, nous avons entretenu avec l'Arabie Saoudite des relations en dents de scie, les volumes de commandes atteignant, certaines années, des niveaux très faibles, avant de remonter, comme c'est le cas en 2021. L'Arabie saoudite modernise ses armées, entend développer une base industrielle et technologique de défense, doit protéger son territoire face aux attaques nombreuses et récurrentes qu'elle subit, notamment sous la forme de tirs balistiques. Nous lui avons livré des équipements destinés à assurer sa protection face aux missiles sol-air.
Par ailleurs, un nombre croissant de pays cherchent à développer leur base industrielle de défense. Nous inscrivons donc notre coopération en matière d'armement, avec l'Arabie saoudite comme avec d'autres clients, dans cette logique. C'est ce que nous faisons dans le cadre des contrats en cours, concernant, par exemple, les patrouilleurs, construits par une entreprise basée à Cherbourg. Nous veillons évidemment à ce que les transferts de technologie soient convenablement protégés, afin de conserver la possibilité d'exporter. Il faut, à chaque fois, réaliser un arbitrage au plus juste entre la satisfaction d'un client qui souhaite légitimement développer ses activités sur son territoire, et la préservation des technologies dont nous ne souhaitons pas qu'elles soient détenues par ces pays.