Intervention de le général Philippe Lavigne

Réunion du mercredi 30 juin 2021 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général Philippe Lavigne :

Monsieur Lejeune, la projection de puissance est une des missions les plus compliquées à réaliser eu égard au déni d'accès qui se développe du fait de systèmes sol-air et air-air de plus en plus complexes et performants. Il existe dans le domaine conventionnel mais aussi nucléaire.

S'agissant de la mission Heifara-Wakea, le Président de la République a rappelé l'existence d'intérêts stratégiques et économiques dans la zone indo-pacifique. Il était naturel de positionner des moyens aériens dans la région, en raison notamment de la présence de citoyens Français. Je suis régulièrement en contact avec les chefs d'état-major des armées de l'air de cette zone pour évoquer les problématiques requérant la puissance aérienne, comme l'assistance humanitaire lors de catastrophes naturelles. Au-delà de la protection que nous pouvons offrir avec cette opération, nous délivrons un message stratégique : en procédant à des déploiements de l'armée de l'Air et de l'Espace, nous démontrons notre puissance dans un domaine où la compétition est de plus en plus grande.

Le MRTT Phénix est un avion extraordinaire. Tout à la fois ravitailleur en vol et transporteur stratégique, il est un démultiplicateur de forces : il délivre beaucoup plus de carburant, il permet de relayer des informations opérationnelles et, demain, il sera une brique avancée de notre commandement des opérations aériennes. La LPM permet une livraison rapide des systèmes – douze MRTT seront livrés avant 2023 ; nous venons de recevoir le quatrième, et nous en recevrons ensuite deux à trois par an. L'amélioration est tout à la fois quantitative et qualitative : la LPM permet d'aller vite et loin, et ceci à l'horizon 2025.

Monsieur Ferrara, la formation des chasseurs est un point sur lequel je reste vigilant. Dans le cadre des exportations de Rafale, nous la limitons aux primo-formateurs – pilotes, mécaniciens, spécialistes de la guerre électronique et pompiers – avant de passer la main à Dassault Aviation, car nous n'avons pas aujourd'hui la capacité de former davantage. Nous assurerons donc la formation de douze pilotes croates, et nous avons fini celle des pilotes grecs. Par ailleurs, la vente de Rafale à l'Inde a permis de développer des capacités que les Indiens nous ont demandées et dont nous pourrons bénéficier, notamment l'optronique secteur frontal (OSF).

La préparation opérationnelle nous permet de faire face à la haute intensité. Elle a subi une contrainte avec la crise du covid-19, qui nous a empêchés de participer à certains exercices internationaux, même si nous avons pu prendre part à l'exercice Ocean Sky en Espagne, fin 2020. Nous avons également réussi à organiser l'exercice majeur de l'armée de l'Air et de l'Espace, VOLFA, à Mont-de-Marsan, en septembre, où les Grecs et les Espagnols étaient présents. Nous avons repris les entraînements de haut niveau du spectre : Iniochos en Grèce et Atlantic Trident 2021. Dans le domaine du transport, nous avons organisé un exercice européen sur la base d'Orléans visant à former à des missions aussi différentes que le vol en patrouille, le largage ou le poser sur des terrains sommaires. La formation de haut niveau, même si elle a été freinée par la crise sanitaire, est en train de reprendre.

Concernant l'augmentation de la disponibilité de l'A400M et du Rafale, le contrat RAVEL pour le Rafale doit permettre d'atteindre le taux de 80 % en trois ans, et nous en demanderons davantage pour compenser l'exportation à la Grèce. Nous poursuivons également, c'est très important, la montée en puissance de la simulation. Lorsque l'on modernise la formation initiale sur PC-21, on augmente de facto le niveau des jeunes pilotes de chasse qui désormais passent directement du PC21 à une unité opérationnelle.

Nous allons continuer à travailler sur la simulation. La formation sur Rafale, à Saint-Dizier, se fait pour moitié en simulation. Une opération comme Hamilton en 2018 est d'abord préparée sur simulateur. Nous disposons d'une vraie capacité à faire de la haute intensité. L'augmentation des crédits et les réorganisations structurelles, en mettant autour de la même table la direction de la maintenance aéronautique (DMAé), les industriels et le service industriel de l'aéronautique (SIAé), nous permettent d'être plus efficaces et d'atteindre les objectifs fixés par la LPM – 180 heures pour les pilotes de chasse, par exemple.

Pour succéder aux CASA et aux Hercule, nous recherchons un avion offrant 18 à 20 tonnes de fret, sachant qu'un A400M peut emporter 35 tonnes. Nous partageons ce besoin avec nos homologues européens et souhaitons déposer un projet en coopération structurée permanente (CSP) car nous croyons en la capacité de nos industriels à concevoir un tel avion avec des coûts de développement réduits, l'idée étant de créer une famille avec l'A400M et le futur cargo de transport médian.

Monsieur Blanchet, le CAPCO est chargé de planifier et de coordonner les missions aériennes en opérations extérieures. Nos équipements, nos plateformes, nos aviatrices et nos aviateurs sont présents partout dans le monde, que ce soit en Polynésie, dans la BSS, en Méditerranée ou au Moyen-Orient. La guerre aérienne suit les principes de la guerre de Foch, c'est-à-dire être capable d'opérer des bascules rapides et de concentrer des moyens pour obtenir l'avantage. C'est ce qui est fait à Lyon-Mont Verdun.

Le chef d'État-major des armées, s'appuyant sur son CPCO au niveau stratégique, nous fixe les effets à obtenir, que nous produisons ensuite en coordonnant les meilleurs moyens pour les réaliser. Nous avons besoin de connectivité, que ce soit par satellite ou avec des équipements de bord, qu'il s'agisse des MRTT, des A400M, des Rafale ou d'autres appareils. La connectivité est vraiment au cœur du système : c'est la première chose qu'a évoquée le chef du détachement américain pendant l'exercice Atlantic Trident, alors qu'il venait d'arriver après onze heures trente de vol – le F35 produit en effet beaucoup de données. Nous avons besoin de connectivité pour effectuer les opérations aériennes, et encore plus demain pour mener la guerre aérienne collaborative.

Nous disposons désormais d'un vrai centre des opérations aériennes, et nous n'avons pas à rougir de la comparaison avec la base américaine d'Al-Udeid, par exemple, en terme de qualité et d'efficience. Chaque année, une nation est chargée de mener des opérations aériennes au profit de l'OTAN. La France se verra confier cette responsabilité l'année prochaine et l'assumera depuis Lyon-Mont Verdun. Des tests sont en cours avec l'OTAN et son Allied air command (AIRCOM) pour valider nos capacités.

Monsieur Kervran, merci de vos paroles concernant la base aérienne d'Avord. Votre question sur le lien entre externalisation et haute intensité est très pertinente. La crise du covid-19 a eu des impacts sur nos industriels de défense et sur la logistique. La résilience est d'abord le fait d'hommes et de femmes capables d'agir dans la crise, voire le chaos. Nos aviatrices et nos aviateurs y sont préparés. Pour mieux faire face à ce type de crise, nous recevrons des équipements supplémentaires grâce à un ajustement de la LPM, notamment des équipements NRBC et des équipements d'évacuation sanitaire.

La question des stocks à détenir pour durer est une question stratégique, sur laquelle une réflexion est en cours. Mon premier déplacement, lorsque le confinement a été instauré en mars 2020, a été consacré à la base aérienne de Nancy. J'y ai vu la préparation opérationnelle des Mirage 2000 D pour la BSS. Il a dans un premier temps fallu prélever dans les stocks, mais les industriels ont rapidement repris la livraison des pièces de rechange pour permettre la continuité de notre activité.

En comparaison, les Britanniques ont poussé l'externalisation assez loin, et je constate quelques faiblesses. Ils sont ainsi intéressés, à titre de comparaison, par nos contrats de maintenance. L'externalisation doit se faire au juste besoin. Vous avez mentionné la flotte des avions écoles Xingu, nous externalisons aussi la maintenance des PC-21. Cela fonctionne très bien et la disponibilité est fort satisfaisante. De plus, cela permet de libérer des ressources humaines pour les affecter où il le faut, qu'il s'agisse de faire monter en puissance les flottes nouvelles d'A400M et de MRTT ou d'aller au combat. L'État-major des armées pratique donc l'externalisation au juste besoin.

Monsieur Rouillard, vous m'interrogez sur les drones de l'Iran et notre capacité à faire face aux nouvelles formes d'emploi des drones. En Arabie Saoudite, en septembre 2019, nous avons pu constater la complémentarité de l'usage des missiles de croisière et des drones, qui ont volé très longtemps. Dans le Haut-Karabakh, des munitions rôdeuses ont été utilisées. Ce sont des drones d'envergure moindre, entre deux et trois mètres, mais qui volent à plus de 10 000 pieds. Ces évolutions nous interpellent et nous devons prendre en compte ces menaces dont l'emploi se perfectionne. L'armée de l'Air et de l'Espace est, et doit être, en pointe à ce sujet, car la posture permanente de sureté aérienne dont nous avons la charge nous impose de nous défendre contre toutes les menaces venues des airs.

La LPM prévoit également un effort concernant la détection, premier élément du triptyque « détecter – identifier – agir ». Il est important de disposer de radars de basse altitude. Nous avons également œuvré avec Aéroports de Paris pour développer très rapidement un système de commandement et de contrôle (C2) agnostique – capable d'utiliser n'importe quelle détection radar – et une intelligence artificielle pouvant apprendre comment évolue la menace dans l'espace pour orienter beaucoup plus rapidement les capteurs – radars ou optiques – et traiter la menace avec des brouilleurs, par exemple.

Pour faire face à la menace des drones et assumer les responsabilités que nous aurons lors de l'organisation des Jeux olympiques de 2024 et de la coupe du monde de rugby en 2023, le programme PARADE a été mis en place. Un appel d'offres, dont les réponses devraient nous parvenir à la fin de l'année, permettra de fournir des équipements à l'horizon fin 2022, afin d'être prêts en 2023 et en 2024.

Madame Serre, vous m'avez interrogé sur l'utilité de l'arme aérienne au Sahel et l'évolution de l'opération d'appui dans cette région. Cette question fait actuellement l'objet de discussions, la ministre et le chef d'État-major des armées y travaillent. Sans entrer dans les détails, je veux rappeler l'efficacité de l'arme aérienne. Les élongations sont importantes, l'action de nos ennemis est fugace. Entre permanence et fulgurance, il faut pouvoir répondre aux menaces.

La permanence est assurée par les drones, les moyens spatiaux, un certain nombre d'équipements qui peuvent se relayer sur place tels que les ALSR, et bien sur nos hommes et nos femmes. Elle tient également à la présence de ravitailleurs qui permettent aux chasseurs de rester plus longtemps en vol. La fulgurance, c'est la capacité à traiter les objectifs qui nous sont donnés. Elle est réalisée grâce à l'armement des drones, mais aussi grâce à nos Mirage 2000 D qui peuvent rapidement basculer dans différentes missions. Comme nos armements sont précis et que nos équipements nous permettent d'être permanents et fulgurants, l'arme aérienne continuera à être utilisée dans la BSS.

La puissance aérienne permet également une bonne coopération. Il faut faire monter en puissance les armées de l'air du G5 Sahel. Elles ont déjà des capacités d'aéromobilité et d'appui feu. Nous menons des missions de formation à l'appui feu, pour planifier et conduire des opérations, mais il est possible de faire encore plus, afin que ces armées puissent assurer, par les airs, la sécurité de leur pays.

Monsieur Marilossian, les propos du général Parisot sont évidemment exacts ! S'agissant de l'utilisation de drones en haute intensité, tout l'enjeu du SCAF est de conserver la supériorité aérienne grâce au couple chasseur-drone. Nous étudions le type de drone qui serait nécessaire en fonction des missions. Il peut s'agir de missions de saturation des systèmes de défense adverses, de détection derrière les lignes ennemies des défenses sol-air ou de plateformes volantes, ou encore d'une capacité de frappe en profondeur venant s'ajouter aux missiles de croisière. Nous souhaitons voir revenir de mission les drones les plus chers et les plus gros, mais un autre type de drone pourrait subir des pertes pour réaliser sa mission.

Nous réfléchissons à l'horizon 2040, mais il ne faut pas attendre cette date pour utiliser ces moyens. Des expérimentations sont menées en Allemagne, avec Airbus, pour utiliser l'Eurofighter et les drones. Je souhaite que nous puissions rapidement réaliser des expérimentations combinant le Rafale et ces nouveaux moyens.

Madame Dubois, la réunion de l'IEI s'est tenue les 22 et 23 juin au Bourget, en présence notamment des chefs d'état-major italien, espagnol, suédois et britannique. Ce séminaire, co-organisé par les treize pays membres, nous a permis de traiter de plusieurs sujets concernant la puissance aérospatiale mais surtout de construire une pensée stratégique. Ce fut un succès.

Tous nos entraînements démontrent que les conflits de haute intensité entraîneront une utilisation massive de munitions. La LPM permet de faire face à ce besoin. Nous pouvons traiter cette question en allongeant la durée de vie de nos missiles et de nos munitions, nous y travaillons avec la DGA. Nous menons des travaux pour rénover les missiles air-sol moyenne portée améliorés (ASMP-A) ; et en 2021, quatre-vingt-dix missiles SCALP rénovés reviendront dans les forces. Ces rénovations participent à l'approvisionnement en munitions.

Monsieur Trompille, la coopération spatiale avec les Américains est excellente, pas uniquement pour la surveillance de l'espace. Nous suscitons l'intérêt de nos partenaires américains parce que nous sommes les premiers à étudier la maîtrise de l'espace : l'annonce du projet YODA de patrouilleur-guetteur, et la création d'un centre de commandement des opérations spatiales, ont appelé leur attention. Pour le commandant de l' United States Space Command (USSPACECOM), les deux enjeux principaux sont bien la surveillance de l'espace, où manœuvrent un nombre croissant de petits objets, et la maîtrise de l'espace. Dans ce domaine, nous effectuons des exercices communs avec les Américains : nous avons participé au Schriever Wargame ; ils participeront à l'exercice AsterX que nous reconduirons.

Madame Mauborgne, deux systèmes de Reaper Block 5 ont été livrés en 2020, l'un à Cognac, l'autre à Niamey. Des problèmes de conformité ont été identifiés, nous avons mené des travaux avec la DGA, l'armée de l'air américaine et General Atomics pour obtenir des autorisations de vol. Nous avons ainsi pu déclarer une première capacité opérationnelle le 13 mai. Les expérimentations se poursuivent, sur le laser et le tir de la fameuse GBU-12. Le calendrier n'a pas changé : les capacités en renseignement d'origine électromagnétique (ROEM), les armements GBU-49 et Hellfire sont attendus au premier semestre 2022. Une rénovation des Block 1 en Block 5 est planifiée.

Les ressources humaines constituent en effet un objectif, nous souhaitons atteindre le nombre de 900 aviatrices et aviateurs à la fin de la décennie. Nous montons en puissance ; après avoir ponctionné des pilotes ou des équipages déjà formés, nous avons créé les premiers cursus de formation ab initio. L'objectif est qu'en 2030, deux tiers des effectifs soient issus de ces cursus, et un tiers des équipages de chasse.

Monsieur Fiévet, j'ai volé sur un avion électrique, l'Alpha Electro. Les Danois en ont commandé deux pour leur armée de l'air. Cet avion sera très intéressant pour la formation initiale. L'armée de l'Air et de l'Espace est complètement dans le match en matière de transition énergétique. L'Ecole de l'air mène le projet Euroglider, qui permet aux planeurs de décoller avec l'énergie électrique, sans remorqueurs. Un vol de présentation à la presse a été effectué le 27 mai.

Le PC-21 consomme beaucoup moins de carburant que l'Alpha Jet. La simulation permet aussi de réduire les consommations – la moitié des heures de formation initiale sur Rafale est réalisée sur simulateur. Tous les pays européens sont concernés et nous en discutons lors des réunions des chefs d'état-major. C'est l'avenir pour notre aviation, qu'elle soit de combat, de transport ou d'hélicoptères.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.