C'est un honneur pour la maison que je dirige et un plaisir pour moi de m'exprimer devant vous. Je vous remercie, madame la présidente, pour votre accueil très chaleureux. Vous avez retracé ma carrière bicéphale. J'ai en effet travaillé vingt et un ans à la DGA et bientôt dix-sept ans à la direction des applications militaires du CEA, soit trente-huit ans au service exclusif de l'État, dont vingt années consacrées à la mission de dissuasion, donc à la protection des intérêts de la nation, ce dont je suis particulièrement honoré.
La DAM, qui est l'un des quatre pôles opérationnels du CEA – le pôle défense et sécurité –, a cependant tenu à conserver l'intitulé qui lui a été attribué lors de sa création, en 1958. Ses missions prioritaires sont au nombre de six. Pour trois d'entre elles, nous assumons, à l'instar de la DGA, un rôle de maître d'ouvrage.
La première est la mission historique de la DAM, puisqu'elle est à l'origine de sa création : il s'agit des armes nucléaires. Cette mission est portée par la Direction des Armes Nucléaires.
La deuxième, assumée par la direction de la propulsion nucléaire, a pour objet les chaufferies nucléaires embarquées. Elle était, avant d'être rattachée à la DAM, en 2000, une direction déléguée du grand CEA.
La troisième mission, consacrée aux matières stratégiques, a rejoint la DAM en 1995. Elle est au service des deux premières missions – qui, à la différence de celle-ci, s'articulent avec le ministère des armées, en particulier la direction générale de l'armement – puisque l'approvisionnement en matières stratégiques concerne aussi bien les armes – plutonium, uranium hautement enrichi ou tritium – que la propulsion nucléaire (PN) – uranium faiblement enrichi.
Les trois autres missions correspondent à des domaines dans lesquels nous n'avons que la responsabilité de maître d'ouvrage : nous apportons une expertise, une assistance à maîtrise d'ouvrage ou parfois une maîtrise d'ouvrage déléguée.
La première concerne la sécurité et la non-prolifération.
Un mot sur la non-prolifération, madame la présidente, puisque vous m'avez interrogé sur l'accord avec l'Iran. Pour le dire rapidement, en 2015, la France est le seul pays à avoir intégré l'aspect technique dans la négociation du plan d'action global commun (JCPOA) ; tous les autres pays concernés, en particulier les États-Unis, souhaitaient s'en tenir à une négociation politique. La France, représentée à l'époque par Laurent Fabius, souhaitait en effet pouvoir mesurer a priori l'impact des mesures négociées sur ce que l'on appelle vulgairement le breakout time, c'est-à-dire le délai nécessaire à l'Iran pour disposer de la quantité de matière nucléaire suffisante pour fabriquer un premier engin. L'objectif était de maintenir ce délai à au moins douze mois. La délégation française comprenait donc un expert de la DAM, chargé d'indiquer à Laurent Fabius quel serait l'impact de chaque mesure proposée sur le breakout time. Cela nous a valu quelques manifestations d'inimitié de la part des Américains car les négociations ont, de ce fait, duré un peu plus longtemps que prévu.
Ensuite, vous vous en souvenez, Donald Trump a annoncé, en 2018, le retrait des Américains du JCPOA. Un an plus tard, les Iraniens s'en délient à leur tour. Actuellement, l'histoire se répète : le même directeur de la DAM se trouve à Vienne, où il apporte son expertise pour déterminer les mesures qui doivent être prises afin de revenir aux conditions initiales : travaux de recherche et développement sur les centrifugeuses, devenir des stocks, notamment d'uranium enrichi à 20 %, voire à 60 %, accumulés depuis par l'Iran, etc. La configuration est exactement la même qu'en 2015 : les États-Unis sont pressés d'obtenir – je le dis avec mes mots – un premier « butin de guerre » et d'annoncer qu'ils sont parvenus à remettre le JCPOA sur pied, tandis que la France insiste pour que l'on prenne le temps d'évaluer l'impact des différentes mesures envisagées. Quant aux Iraniens, ils sont pressés, me semble-t-il, de sortir de la situation économique dans laquelle les a plongés l'accumulation des sanctions américaines. Pour répondre à votre question, il est fort probable, selon moi, que l'on revienne à l'accord de Vienne de 2015 mais il conviendrait sans doute d'étendre cet accord, qui ne s'intéressait qu'à la matière nucléaire, à la composante balistique.
Quant à l'aspect sécurité de cette quatrième mission, il correspond aux menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques, voire celles liées aux explosifs et à la cybersécurité. En fait, le CEA a un programme de sécurité globale qui repose sur plusieurs piliers, et la DAM est véritablement impliquée dans le nucléaire et le radiologique, mais aussi dans les explosifs et la cybersécurité.
Prenons l'exemple d'un engin improvisé trouvé au milieu de la Gare de Lyon et que l'on suspecte d'être un engin nucléaire. Les engins de ce type sont classés en deux catégories. La première regroupe les engins à dispersion, c'est-à-dire les bombes sales : imaginez une source irradiante entourée d'un pain d'explosif qui, au moment de la détonation, disperse de la matière radioactive ; c'est une menace radiologique. La seconde comprend les engins rustiques, qui peuvent être improvisés mais qui, s'ils détonent, produiront de l'énergie nucléaire. Les deux types d'engins ne sont donc pas traités de la même manière.
Dans l'exemple de l'engin de la Gare de Lyon, la DAM interviendra pour détecter et caractériser le contenu du colis, puis pour fournir des solutions techniques afin de neutraliser ou détruire l'engin.
La cinquième mission a trait à la défense conventionnelle. Le centre de Gramat, qui relevait de la DGA, a rejoint la DAM au 1er janvier 2010. La maîtrise d'ouvrage des programmes d'armement conventionnel continue de relever de la DGA ; nous intervenons, quant à nous, dans le cadre d'une assistance à maîtrise d'ouvrage ou pour fournir une expertise.
Enfin, la sixième mission a été développée par Michèle Alliot-Marie, qui a estimé que les compétences, savoir-faire et connaissances que nous avions accumulés devaient être mis à profit dans les programmes autres que ceux de la dissuasion. Il s'agit donc de valorisation, et non de diversification car l'objectif n'est pas d'intervenir dans des domaines qui ne sont pas duaux avec notre propre mission. Ainsi, nous n'allons pas nous lancer dans la recherche sur un vaccin antivirus. En revanche, nous pouvons mettre notre expertise en matière de simulation au service d'armements conventionnels, d'armes à énergie dirigée, d'engins furtifs – nous avons participé, par exemple, au système de combat aérien du futur (SCAF) franco-britannique –, dans le cadre plutôt de programmes d'études amont.
J'en viens aux enjeux propres à la DAM.
Premier enjeu : maintenir la confiance des autorités politiques.
Deuxième enjeu : l'organisation de la DAM. Celle-ci est entièrement tournée vers un seul objectif : piloter et réussir les programmes qu'on nous confie.
Troisième enjeu : l'adaptation de notre dissuasion au contexte stratégique. Auparavant, la dissuasion était relativement monolithique, elle évoluait par pas de temps assez longs, de vingt à vingt-cinq ans. Désormais, nous nous efforçons – état-major des armées, direction générale de l'armement et direction des applications militaires du CEA – d'être en mesure de nous adapter plus rapidement à l'évolution du contexte stratégique. Dans les zones que la France cherche à dissuader, on ne nous attend pas les bras croisés : on met en place des systèmes de détection avancée, radars et satellites, des missiles antibalistiques (ABM) pour intercepter nos têtes… Nous devons être capables d'adapter, plus vite que par le passé, la dissuasion du Président de la République, à de telles évolutions.
Quatrième enjeu, majeur : la maîtrise des compétences. L'exemple emblématique, en la matière, est le choix d'une propulsion nucléaire pour le porte-avions de nouvelle génération. En effet – c'est mon point de vue, mais je crois qu'il est partagé par beaucoup –, si le Président de la République a choisi l'option nucléaire plutôt que l'option classique, c'est la volonté de maintenir les compétences de la filière propulsion nucléaire. Ne nous y trompons pas, le maintien de ces compétences est important moins pour le porte-avions que pour les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, car c'est la propulsion nucléaire qui permet leur invulnérabilité, leur dilution dans l'océan pendant plusieurs dizaines de jours sans remonter à la surface. Ainsi, le porte-avions est aussi un outil de maintien des compétences. On pourrait invoquer également la place de la France au plan mondial, mais c'est un argument de nature politique qu'il ne m'appartient pas de développer.
Cinquième enjeu : le maintien de la souveraineté industrielle et technologique. C'est certainement l'un des axes qu'il nous faut surveiller le plus attentivement. En outre, depuis que nous ne réalisons plus d'essais nucléaires, nous devons conserver une crédibilité scientifique et technique. La mission de valorisation de nos compétences dans d'autres domaines que la dissuasion y concourt puisque nous réalisons les travaux qu'on nous confie avec le même degré d'excellence que dans notre cœur de métier.
Je vais détailler à présent chacun de ces enjeux.
Tout d'abord, la confiance de l'autorité politique. À chaque fois que la Cour des comptes réalise un audit de la DAM – c'est le cas environ tous les trois ou quatre ans –, elle souligne la clarté de la gouvernance des programmes nucléaires de défense. C'est une particularité française. La gouvernance de notre dissuasion remonte jusqu'au plus haut niveau de l'État : le Conseil des armements nucléaires est présidé par le Président de la République, l'« œuvre commune » relevant du Premier Ministre. Reprenons la chronologie : premier essai nucléaire en 1960, instauration de l'« œuvre commune » en 1961, première prise d'alerte d'un Mirage IV équipé d'une bombe AN-22 en 1964. On le voit, dès le début, s'est manifesté le souci d'instaurer une gouvernance parfaitement claire.
Par ailleurs, qui dit maîtrise d'ouvrage, dit revue de programme en performance coût-délai et maîtrise des risques.
La confiance de l'autorité politique s'exprime au quotidien par l'évolution du nombre des programmes confiés à la DAM, qui n'a cessé de croître au fil des années. Grâce au reporting réalisé au sein du comité mixte, qui est une déclinaison de l'« œuvre commune », l'État peut mesurer, à chaque étape, l'apport de la DAM à notre système de dissuasion.
Deuxièmement, l'organisation de la DAM. Elle s'appuie sur cinq centres et un site, l'installation nucléaire de base secrète (INBS) de propulsion nucléaire, qui se trouve au cœur du centre du CEA de Cadarache et qui est placée sous le commandement de la DAM depuis 2000.
Nous avons décidé de conserver en interne tout ce qui relève du cœur de métier de la DAM, et ce pour des raisons liées notamment à un enjeu primordial selon moi, celui de notre souveraineté.
Deux centres, celui de Bruyères-le-Châtel, en région parisienne, et celui du Cesta, en Nouvelle-Aquitaine, sont chargés de la conception. Notre maîtrise d'œuvre interne se traduit de manière très simple : 75 % des 4 600 personnels employés en contrat à durée indéterminée par la DAM travaillent sur les armes et la simulation. Outre mon métier de maître d'ouvrage, qui est assimilable à ce que fait Joël Barre en tant que DGA, je suis responsable d'une entreprise qui réalise la recherche et développement, conçoit et fabrique, au service de la dissuasion. Ainsi, les centres du Cesta et de Bruyères-le-Châtel travaillent à la conception des armes nucléaires : le premier conçoit l'architecture de la tête nucléaire et apporte sa garantie, le second est chargé de la conception et de la garantie de la charge nucléaire.
Les deux autres centres, celui de Valduc, situé sur le plateau de Langres, et celui du Ripault, à côté de Tours, font de la recherche et développement, mais j'attends surtout d'eux qu'ils fabriquent : à Valduc, les éléments de l'arme contenant de la matière nucléaire – amorce, étage de puissance, dispositif de transfert-gaz – ; au Ripault, les matériaux non nucléaires et non métalliques : l'explosif et les matériaux composites des corps de rentrée.
Lorsque je dis que la souveraineté est un enjeu, cela ne signifie pas que la DAM fabrique tout mais que chaque système d'arme fait l'objet d'une véritable discussion entre le directeur des armes nucléaires et le directeur des applications militaires pour décider où placer le curseur entre ce que nous faisons et ce que nous faisons faire. La décision est assumée : il s'agit de rester souverains en matière de conception, de développement et de fabrication de nos armes nucléaires et de ne pas être contraints de faire appel à nos « amis » américains pour la fabrication de tel ou tel composant. L'autre enjeu lié à cette préoccupation, c'est, bien entendu, la non-prolifération et la non-divulgation de secrets.
J'en viens à l'organisation des projets. Dès lors que nous conservons toute la partie amont, notamment la conception, nous n'avons pas du tout la même base industrielle et technologique de défense (BITD) que la DGA. Nous faisons très peu appel à de grands groupes ; nous nous appuyons surtout sur des entreprises de taille intermédiaire, sur de petits industriels, avec parfois des très petites entreprises (TPE) qui ne comptent que quelques salariés. Par exemple, la synchronisation ultrarapide de tous les faisceaux qui, dans le Laser Mégajoule, convergent vers la cible est confiée à une entreprise de quelques personnes, qui comprend le fondateur, et quelques collaborateurs. Nous surveillons la situation des sociétés stratégiques comme le lait sur le feu : en cas de problème, nous saurons en interne soit fabriquer des équipements, soit développer une autre source d'approvisionnement.
Le budget de la DAM s'élève à environ 2,5 milliards de crédits de paiement, dont 15 % représentent la masse salariale, les 85 % restants finançant des contrats industriels. Nous sommes donc loin de tout faire tous seuls mais, encore une fois, nous décidons de ce que nous voulons garder dans notre cœur de métier. Sachez, par ailleurs, que la trajectoire de la DAM qui s'exprime à travers un plan de moyen-long terme de quinze ans en cohérence avec la trajectoire du Conseil des armements nucléaires et la loi de programmation militaire (LPM).
Autre enjeu : l'adaptation au contexte stratégique. Elle s'appuie exclusivement sur notre démarche de simulation : depuis que nous avons arrêté les essais nucléaires, nous concevons et nous garantissons la sûreté et la fiabilité de nos armes nucléaires par la simulation.
Schématiquement, une arme nucléaire est composée d'une enveloppe externe dans laquelle se trouvent une charge nucléaire constituée de deux composants principaux, l'amorce et l'étage de puissance, et un bloc équipement destiné à gérer le séquentiel de fonctionnement de la tête. Pour le dire de manière très simpliste, une arme nucléaire est un formidable amplificateur d'énergie : celle qu'elle produit est égale à environ 1018 – soit 1 milliard de 1 milliard de fois – celle qui est utilisée pour faire partir les détonateurs, soit une étincelle d'1 joule.
Puisque nous ne réalisons plus d'essais nucléaires, nous sommes obligés de recourir à un programme de simulation, qui repose sur trois grands piliers.
Premier pilier : la physique des armes. Nous recourons donc, en interne, à des physiciens capables de comprendre le fonctionnement intime de l'enchaînement des phénomènes physiques qui conduisent au fonctionnement de l'arme nucléaire – détonique, pyrotechnique, transfert radiatif, implosion de plutonium, loi de comportement des matériaux… –, étant précisé que l'ensemble des phénomènes jusqu'au dégagement d'énergie ne dure que quelques dizaines de millionièmes de seconde.
Pour chaque phase, nous faisons appel à des systèmes d'équation complexes et nous approchons le résultat en réalisant des boucles d'itération de calculs. Nous avons donc besoin de supercalculateurs et de numériciens qui vont faire du maillage de la matière et du maillage temporel. La taille des mailles est largement submillimétrique et les pas temporels inférieurs à la nanoseconde. Pour un phénomène comme celui de l'amorce, par exemple, nous avons fixé le temps de calcul raisonnable à une semaine. Cela peut paraître aberrant, dès lors que nous avons recours à des supercalculateurs mais, pour effectuer les calculs les plus précis possible, nous sommes obligés de mailler finement et d'avoir des pas de temps très courts. Pourquoi se fixer une durée d'une semaine ? Dire à un concepteur qui lance un calcul de venir récupérer les résultats dans un mois n'aurait aucun sens : nous ne pourrions pas réaliser le travail que nous avons à accomplir dans les délais qui nous sont imposés par le renouvellement des composants. Nous nous sommes donc fixés une semaine, et ce délai est accepté par tous.
On se réserve le droit de mener des expériences en laboratoire. Ceux qui ont visité le Laser Mégajoule ou EPURE savent que ce sont de grands laboratoires, dans lesquels seront conduites des expériences élémentaires sur une partie particulière de l'arme ou un phénomène particulier, durant la phase d'enchaînement précédemment décrite. EPURE, installé dans le centre DAM de Valduc sur le plateau de Langres, s'intéresse au fonctionnement de l'amorce afin de valider, en particulier, la cinétique d'implosion du cœur en plutonium. Il s'agit, in fine, de radiographier l'intérieur de la cavité.
Le Laser Mégajoule, quant à lui, s'intéresse davantage au dégagement d'énergie nucléaire.
Ces expériences de physique sont menées dans le respect des traités, qu'il s'agisse du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) ou du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE).
Tout cela n'est possible que parce que nous avons réalisé précédemment 210 essais nucléaires dont certains fortement instrumentés. Nous développons notre outil numérique mais ce sont ces essais qui nous donnent la validation et le périmètre de validité de ce standard de calcul. Le standard regroupe les codes numériques et les personnels capables de l'utiliser. Cela n'est possible que parce qu'à la fin, on est capable de faire tourner ces codes en « rejouant » les essais du passé. On connaît parfaitement la géométrie de tel ou tel engin que l'on a expérimenté. C'est la donnée d'entrée de notre code de calcul (standard de calcul) qui décrit tout l'enchaînement, et on observe à la fin l'énergie calculée. La comparaison entre l'énergie réellement dégagée lors de l'essai nucléaire et l'énergie calculée nous permet d'apprécier le niveau d'incertitude du code. Si nous ne disposions pas de ce patrimoine national de 210 essais nucléaires, nous n'aurions sans doute pas pu avancer aussi vite vers la simulation.
Nous avons démontré notre capacité à nous adapter au contexte stratégique en réussissant le déploiement d'une nouvelle tête nucléaire aéroportée (TNA) associée au missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A) à partir de 2009, et le déploiement de la tête nucléaire océanique (TNO) associée à la deuxième version du missile M51 (M51.2) en 2016. Aujourd'hui, notre composante aéroportée est équipée de la première arme nucléaire garantie par la simulation et notre composante océanique est bicéphale. A bord des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins se trouvent des M51.1 qui emportent les TN75, (tête fortement optimisée mais développée et garantie grâce à vingt-trois essais nucléaires), et des M51.2 associés à la TNO, (deuxième arme garantie par la simulation). La TNO, associée au M51.2, confère à la France, depuis 2016, la capacité de très longue portée.
Certaines simulations sont éprouvées par des expériences particulières, élémentaires ou de laboratoire réalisées dans des installations comme le Laser Mégajoule ou EPURE. Ces expériences élémentaires nous permettent de raffiner nos codes dans des zones ou lors de phases particulières du fonctionnement de l'arme.
Nos physiciens travaillent à des calculs plus prédictifs pour étendre le domaine de validité de la simulation et élargir le domaine de conception, du fait de l'importance du périmètre testé par les essais nucléaires passés. Les Américains ont réalisé environ 1 100 essais nucléaires, les Russes environ 700, les Britanniques et les Chinois, 45, et nous, 210. Si j'avais dans mon escarcelle quarante-cinq essais nucléaires, qui plus est anciens, pas tous fortement instrumentés, j'aurais moins de latitude pour proposer des systèmes plus adaptés à l'évolution de notre contexte stratégique. La dernière arme garantie, la TN75, avec essais nucléaires, a un très haut niveau de performance. La formule nucléaire de la TNA est directement dérivée d'une des formules testées dans le Pacifique en 1995-1996. La TNO, en 2016, bénéficie d'un degré d'optimisation supplémentaire, grâce aux progrès du programme de simulation.
Des progrès ont été réalisés sur l'outil de simulation, cependant l'idée n'est pas de progresser pour progresser mais de se redonner des marges en conception. Ainsi, la TNA est directement dérivée d'une formule nucléaire testée pendant la dernière campagne. Le président Mitterrand avait imposé un moratoire à partir de 1992, sans nous interdire de préparer un essai nucléaire. Nous sommes donc allés jusqu'à la conception d'un essai chaque année. Avant que le président Chirac ne les interdise, nous avons rappelé que nous avions besoin de réaliser des essais particuliers dans le domaine des charges robustes. De quoi s'agit-il ? Je prendrai le contre-pied d'une charge optimisée. Une charge robuste est en fait une charge non optimisée. Les experts (concepteurs) de la DAM connaissent les seuils de fonctionnement d'une arme, et nous les avons validés par essais nucléaires.
S'agissant des têtes garanties par la simulation, faute de nouvel essai nucléaire possible, nous avons décidé de concevoir une charge robuste en termes de marge de fonctionnement. D'une certaine manière, il s'agit d'une désoptimisation. On part d'une optimisation poussée pour nous éloigner des seuils de fonctionnement et être certain de garantir par une méthode numérique qu'on couvre tous les écarts. La TNA, par conséquent, est très éloignée de la TN75. La seule possibilité qui nous restait de mettre au point les charges robustes était de mener cette dernière campagne. « Robuste » ne signifie pas « rustique ». Si j'ai l'occasion de vous présenter le hall des armes à Bruyères-le-Châtel, vous vous rendrez compte par vous-mêmes que ces armes n'ont rien de rustique. En revanche, elles offrent de la robustesse en fonctionnement. Du coup, elles sont moins optimisées. Pour suivre les évolutions des zones que l'on doit dissuader, on doit se réinscrire dans un chemin d'optimisation : TNA, TNO, tête nucléaire océanique future, et bientôt, TNAF (tête nucléaire aéroportée future). Le seul moyen de se redonner des marges en conception est de réduire notre incertitude pour optimiser nos têtes, c'est-à-dire gagner de la masse, de la longueur, ….
J'en viens à EPURE, à Valduc, et au fonctionnement de l'amorce. Dans une arme nucléaire, le fonctionnement de l'amorce passe par l'implosion du cœur en plutonium en le densifiant. L'objectif des essais réalisés à EPURE est de mesurer la vitesse d'implosion du cœur et de radiographier la cavité en fin d'implosion. Ces deux éléments (vitesse d'implosion et cavité) pilotent l'énergie de l'amorce. Pour cela, il faut fournir une source de rayonnement X, puis pénétrer de la matière extrêmement dense, enfin obtenir l'image radio graphique. Le processus est comparable à celui de l'imagerie médicale. La source X développe 400 à 600 rads à un mètre. À titre de comparaison, une radio humaine représente entre 100 000 et 1 million de fois moins de doses. On a besoin d'une telle dose car on doit pénétrer un engin qui se trouve dans une cuve de confinement, entouré de matériaux extrêmement denses, pour observer une cavité qui est au milieu. De surcroît, la matière implose à quelques kilomètres par seconde. Le temps de pause doit être très court, de l'ordre de soixante milliardièmes de seconde.
On ne parle plus que d'installation EPURE franco-britannique aujourd'hui. Mais rappelons que le programme a été décidé par la France seule, en 2008, sous la présidence du président Sarkozy, en deux phases. Les Britanniques nous ont rejoints suite à la signature du traité de Lancaster House, le 2 novembre 2010, à la demande de Nicolas Sarkozy et de David Cameron. Il n'était pas si naturel que cela, en effet, de travailler avec les Britanniques dans un domaine de souveraineté comme la dissuasion. Cependant, il est prévu une garantie de souveraineté. Ainsi, chaque pays reste maître de son design d'engin et des résultats obtenus. Cette installation, basée en France, est co-exploitée. Le chef d'installation français rend compte à l'autorité de sûreté nucléaire de défense française. Son adjoint est britannique. L'équipe d'environ quatre-vingt-dix personnes compte une cinquantaine de Français et une quarantaine de Britanniques.
En revanche, au cours du processus de préparation de l'expérience, à un moment clé, on assemble l'engin expérimental pour le placer dans une cuve de confinement. Ce moment n'est pas partagé. Les Français et les Britanniques disposent chacun de leur propre hall d'assemblage et d'intégration. On ne partage ni le design de l'engin, ni les résultats obtenus. Il n'est pas impossible que cela se produise un jour mais il faudrait l'accord du cabinet du Premier ministre britannique et de l'Élysée. Ce serait envisageable, non pour une amorce d'arme nucléaire mais plutôt pour un objet type simulation pour la science.
L'installation EPURE est opérationnelle avec un premier axe de radiographie depuis septembre 2014. Quatorze expériences françaises ont été réalisées. Les premières expériences avec trois axes sont prévues en 2023. On a mis en service EPURE au terme de la première phase franco-française avec un seul axe radiographique. C'est une première configuration expérimentale. En 2022, nous aurons deux axes radiographiques supplémentaires. La deuxième phase s'est déroulée sous co-maîtrise d'ouvrage franco-britannique. Elle nous conduira vers une installation avec trois axes radiographiques. En quoi ces trois axes sont-ils nécessaires ? Lorsqu'un engin implose, vous faites une radio à un instant t donné. Le fait de disposer de trois axes radiographiques, deux à 90 degrés, le troisième à 135 degrés nous permet d'obtenir, au même instant, trois images du même phénomène ou trois images à des temps différents, selon ce que vous voulez observer. Lorsque vous disposez d'une telle capacité expérimentale, vous pouvez apporter une contrainte supplémentaire à votre code de garantie. Vous devez être prédictif sur trois axes de vue différents, ce qui permet de réduire fortement l'incertitude numérique. Nous sommes le seul pays au monde à détenir une telle installation. Les Américains devraient en réaliser une analogue, à la différence qu'ils ne peuvent l'établir au niveau du sol car leur loi l'interdit. Ils l'installeront dans le Nevada, à 300 mètres sous terre. Du fait de la complexité de construire une machine avec trois axes radiographiques convergents sous terre, ils ont choisi d'en construire une avec un seul axe, mais multi-temps.
Concernant nos relations avec les Britanniques, rappelons le contexte. L'enjeu premier était politique : décider de partager une installation expérimentale, dans un domaine aussi souverain que la Dissuasion, que seules ces deux nations mettent en œuvre en Europe. Il ne s'agissait pas nécessairement de partager des données scientifiques avec eux. On le fait avec les Américains et les Britanniques sont très proches des États-Unis dans le domaine de la dissuasion.
L'enjeu était également économique. Nous partageons l'installation EPURE à la suite de la signature d'un traité particulier, Teutatès, en application du traité plus global de défense, dit de Lancaster House. Les deux traités ont été signés le même jour (02/11/2010). Il a permis à la France d'économiser 450 millions d'euros sur vingt-cinq ans, au niveau de l'investissement et de l'exploitation de l'installation puisque tout est partagé en deux parts égales. C'est une retombée très positive mais l'objectif principal était bien de niveau politique.
Nous avons réalisé quatorze expériences, eux n'en ont mené aucune. Lorsque nous avons négocié le traité, la première expérience devait être réalisée par les Français en 2014, la première des Britanniques en 2016. Le renouvellement de leur composante ayant été décalé de dix ans, en phase avec le renouvellement de la composante océanique américaine, ils n'ont pas encore réalisé d'expérience. La première est prévue en 2023/2024 avec un matériau fantôme, et à partir de 2025 avec du matériau réel. Cette installation nous a permis de mener des essais avec du matériau réel, à savoir du plutonium. Auparavant, nous devions travailler avec un matériau fantôme, sans possibilité d'accéder au vrai matériau, ce qui imposait de maîtriser la loi de transposition du plutonium vers le matériau fantôme. À présent, nous pouvons réaliser des essais avec du plutonium, ce qui nous impose de travailler à échelle réduite. Il n'y a plus qu'à gérer la loi de transposition entre l'échelle I et l'échelle réduite, le matériau étant identique, ce qui supprime l'incertitude liée à une différence d'interprétation de deux radiographies réalisées avec des matériaux différents.
Le Laser Mégajoule est installé au Centre d'études scientifiques et techniques d'Aquitaine (CESTA). Parler de laboratoire ne me semble pas adapté car le bâtiment est conséquent : 300 mètres de long pour 150 mètres de large. Le hall d'expérience, qui a un diamètre de 60 mètres et une hauteur de 55 mètres, abrite une chambre d'expérience de dix mètres de diamètre. On y fera converger 176 faisceaux laser pour déclencher les fusions thermonucléaires. La cible sur laquelle on tire est subcentimétrique – quelques millimètres de long. À l'intérieur de ce cylindre se trouve un microballon submillimétrique, qui contiendra à terme un mélange de deutérium et de tritium. Dans certaines conditions, que l'on est parvenu à créer, on réussit à faire fusionner un atome de deutérium et un atome de tritium pour obtenir un neutron et un atome d'hélium. C'est la fusion thermonucléaire, qui se produit au sein des étoiles, du soleil et d'une arme nucléaire.
Le Laser Mégajoule a été inauguré en octobre 2014 avec une première configuration de huit faisceaux et un diagnostic expérimental. Aujourd'hui, nous en sommes à la moitié des faisceaux, soit une petite centaine avant d'atteindre les 176, et nous disposons d'une quinzaine de diagnostics expérimentaux, l'objectif étant d'atteindre, à terme, la trentaine. Pourquoi monter en énergie ? Avec la moitié des faisceaux, on doit attaquer des matériaux plus légers, moins denses, dont les numéros atomiques sont moins élevés. Or, les matériaux réels sont beaucoup plus denses, les numéros atomiques beaucoup plus élevés, ce qui nécessite beaucoup plus d'énergie pour réaliser en laboratoire une implosion de capsules, soit un phénomène thermonucléaire.
Suite à la sixième mission voulue par Michèle Alliot-Marie, 25 % du temps « faisceau » est consacré à la recherche académique. Les chercheurs y mènent quasi gratuitement leurs expériences. Le coût d'exploitation et de maintenance de l'installation est pris en charge par le budget de la défense.
Quand des pays s'intéressent à des installations comme EPURE ou des lasers à haute densité d'énergie comme le Laser Mégajoule, ce n'est pas pour la recherche académique. Ne soyons pas naïfs. Ces pays cherchent à acquérir l'arme nucléaire. Les cinq pays qui en sont dotés sont passés par cette étape. Les États-Unis, la France, les Britanniques en disposent. Quant à la Chine et à la Russie, on sait simplement qu'ils construisent des lasers et qu'ils disposent de machines radiographiques, comme en témoignent les posters que l'on a aperçus lors de congrès.
Je reviens à ce temps consacré à la recherche académique, qui participe au renforcement de la crédibilité scientifique et technique de la DAM. Si vous réussissez des expériences académiques de niveau mondial dans une installation conçue pour le programme nucléaire français, les résultats obtenus rejaillissent immédiatement sur la DAM et renforcent sa crédibilité au profit de la Dissuasion. Les recherches académiques ne sont pas uniquement françaises. Des consortia de laboratoires s'unissent pour répondre à des appels à projets. Ils sont sélectionnés par un comité international qui compte, parmi ses membres, des personnels de la DAM. La crédibilité, de ce fait, dépasse les frontières de la France.
Afin de maîtriser les compétences, nous sommes obligés d'avoir un outil de gestion prévisionnelle. Notre objectif premier est de réussir les programmes qui nous sont confiés, et l'analyse des besoins qui leur sont liés influence directement le pilotage des ressources humaines. À cela s'ajoute la problématique du maintien des compétences, qui est consubstantiel à notre mission, puisque la DAM a su conserver en interne tout le cœur de métier concernant les armes – 75 % de nos agents travaillent sur les programmes les concernant.
Il nous revient de savoir détecter les compétences critiques et de les renouveler en temps utile, pour ne pas les perdre. Un concepteur de tête ou de charge chevronné a suivi dix ans de formation interne, selon un système de compagnonnage – il est associé à quelqu'un de plus ancien. Les gens vieillissent, certains partent ou démissionnent : il ne faut pas se rater en ce qui concerne la dynamique d'embauche. D'où une problématique d'attractivité : on doit faire venir les gens, les fidéliser, les garder.
S'agissant des concepteurs de charge, je préside une réunion annuelle avec le directeur du centre Île-de-France, où les activités liées à la conception de la charge sont situées, et le chef de la division des concepteurs de charge, qui représente à peu près 200 personnes : nous passons en revue nominativement les effectifs du département. Nous avons failli subir un raté dans le domaine de la détonique et de la pyrotechnie, car on n'avait pas suffisamment anticipé que des salariés partaient à la retraite : in fine, il ne restait que quelques salariés dans ce domaine de compétence. Nous avons alors engagé – c'était il y a une vingtaine d'années – un plan d'action musclé, et nous sommes revenus à un niveau que nous estimons suffisant pour maintenir cette compétence.
Ce travail, je l'ai dit, est consubstantiel à notre mission, car on a décidé de conserver une maîtrise d'œuvre interne dans notre cœur de métier. Nous allons également plus loin, puisque nous regardons aussi nos industriels, notre BITD.
Il faut attirer et fidéliser en développant notre attractivité, ce que nous n'avions pas besoin de faire auparavant, car tout cela était presque naturel. Nous avons profité d'un stage, organisé à peu près en milieu de parcours professionnel de nos salariés, pour demander ce que pourrait être le système de valeurs de la DAM. Un travail a eu lieu pendant un an, dans nos cinq centres, avec les jeunes et les moins jeunes. Cinq valeurs en sont ressorties, selon une démarche dont je peux vous assurer qu'elle n'était pas top-down, mais vraiment bottom-up. Ce qui fait venir et rester les personnels à la DAM, ce sont l'engagement, l'intégrité, l'ambition personnelle – car il en faut pour réussir des choses extraordinaires –, l'accomplissement personnel – nous réalisons un accompagnement sur ce plan – et l'esprit d'équipe. Ce sont les valeurs fondatrices de la DAM, qui apparaissent désormais sur notre site et dans nos offres d'emploi. Ceux qui viennent nous voir le sentent.
La capitalisation et l'exploitation des connaissances internes sont des enjeux essentiels. Quand un ancien part à la retraite, jusqu'au technicien de machine-outil, car il est très compliqué d'usiner, de souder du plutonium – on dit souvent que le plutonium est le rêve des chimistes et le cauchemar des technologues –, on réalise un recueil de connaissances : on filme les gestes, on fait une interview, afin de capitaliser en pensant aux jeunes qui prendront la suite.
La DAM a une double responsabilité : elle est maître d'ouvrage et maître d'œuvre dans son cœur de métier. Une stratégie de soutien et d'entraînement du tissu industriel français est une nécessité pour la réussite de nos programmes. Cela concerne les 4 000 entreprises dont j'ai parlé, même si elles ne sont pas toutes critiques. Sur certains sujets, nous avons trois ou quatre fournisseurs potentiels : la surveillance est donc un peu plus légère qu'en ce qui concerne des composants pour lesquels nous n'avons qu'un fournisseur possible.
J'illustrerai la problématique de la souveraineté en rappelant le discours de Dominique de Villepin, en 2003, à l'Assemblée générale des Nations unies au sujet de l'intervention en Irak. Nous avons alors pris conscience que nous devions devenir plus souverains pour la partie calcul du programme Simulation.
Une triple volonté a pris corps. La première était politique, étatique : il fallait prendre une décision et investir de l'argent. Un industriel, Bull à l'époque, qui était moribond après l'échec du plan Calcul, a accepté de participer à ce défi. Comme il fallait aussi un maître d'ouvrage, le directeur des applications militaires s'est également engagé. On a ainsi créé l'écosystème national en matière de supercalculateurs que l'on connaît aujourd'hui.
La première machine non américaine date de 2005. Désormais, elles viennent toutes du même industriel, Bull – aujourd'hui Atos, qui a racheté Bull. Nous avons mis en place un flux de recherche et développement (R&D) continu, dont les trois quarts sont aujourd'hui autofinancés par ATOS, le reste étant financé par l'État, dont l'objectif est de préparer les machines du futur. Nous faisons ainsi du co-design avec ATOS en matière de calculateurs. Nous achetons la première machine de la série et nous avons ainsi un coup d'avance parce que nous savons comment les calculateurs vont évoluer.
Nous l'avons fait en ce qui concerne les calculateurs pour la fonction assemblier, étant entendu que des composants sont encore américains. Le premier cran de souveraineté qu'on a regagné consistait à créer un réseau d'interconnexion français. Nous l'avons fait en 2016, avec la machine TERA-1000. Un calculateur est une somme colossale de microprocesseurs : il faut qu'ils arrivent à bien communiquer entre eux et à travailler ensemble. Sinon, un calculateur peut avoir une puissance de calcul de milliers de téraflops, mais une piètre performance calculatoire. Certains concurrents ne peuvent utiliser que 10 % de leur puissance-crête pour leurs calculs. Le travail sur le réseau d'interconnexion représente pas loin de10 ans de R&D entre la DAM et ATOS (Bull).
Quelle est la prochaine étape ? Je ne crois pas trop à un processeur uniquement français, mais une initiative de processeur européen (Européen Processor Initiative – EPI) a été lancée. Cela permettra de se démarquer totalement de la puissance américaine. Il restera ensuite la question de la fonderie. La conception et le développement sont confiés à une société nouvellement créée, SiPearl, dont la problématique actuelle est sa capitalisation. Le ticket d'entrée pour produire les composants étant de plus de 10 milliards d'euros, un seul pays ne pourra probablement pas l'acquitter. Ainsi, nous aurions peut-être intérêt à avoir un fondeur au niveau européen. Une fois que cela sera fait, nous aurons des calculateurs « souverains » sur le plan européen, et quasiment « souverains » sur le plan français si on met de côté le processeur.
Nous avons un centre de calcul ouvert à Bruyères-le-Châtel, dont les machines sont mises à la disposition des industriels et de la recherche académique. Les calculateurs pour les acteurs de la recherche académique sont financés par l'État. S'agissant des industriels, le premier calculateur a été acheté par la DAM, mais les industriels paient une quote-part et participent à l'amortissement, ce qui permet de renouveler le calculateur au bout de cinq ou six ans sans nouvel investissement – c'est la coopérative industrielle qui paie. Ce centre de calcul ouvert, qui est le plus grand d'Europe, ou l'un des plus grands, est géré par la DAM. Nous faisons profiter de nos compétences des gens de l'autre côté des barbelés – le centre de calcul ouvert n'est pas classifié. Nous avons une équipe d'une vingtaine de personnes pour aider ceux qui viennent faire leurs calculs chez nous.
Nous avons fait de même autour du Laser Mégajoule, mais je n'en dis pas plus faute de temps.
Je reviens à la question de notre crédibilité scientifique et technique. Nous avons, depuis l'arrêt des essais nucléaires, un conseil scientifique extérieur, composé de personnalités de haut vol, dont des membres de l'Académie des sciences. Il est chargé de passer en revue chacune des thématiques scientifiques concernant notre cœur de métier, comme l'aérodynamique, la furtivité et la thermodynamique, pour donner son avis. Il s'agit, au fond, de vérifier si nous sommes toujours au bon niveau. Nous sommes allés plus loin encore en lançant un plan d'orientation scientifique, qui existe depuis cette année, pour faire le lien entre les besoins du programme Simulation et le programme scientifique à son service. Enfin, comme je l'ai indiqué, nous avons beaucoup d'experts, dont 80 directeurs de recherche experts N4, qui sont des experts internationaux – ils peuvent parler au nom de la DAM, y compris à l'étranger.