Intervention de Général François Lecointre

Réunion du mercredi 7 juillet 2021 à 17h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général François Lecointre, chef d'état-major des armées :

Tout d'abord, je tiens à vous remercier pour vos propos, qui me touchent fortement. Soyez assurés que je m'exprime devant vous en toute franchise. Car ce qui me frappe au sein de votre commission, c'est l'assurance que les chefs militaires ont de ne pas courir le risque d'être piégé par des attitudes politiciennes. D'une certaine manière, nous nous trouvons face à une band of brothers, des frères d'armes liés – quelle que soit votre appartenance politique – par le souci de l'intérêt supérieur de la Nation et de l'intérêt des armées. C'est d'ailleurs ce qui nous permet de nous exprimer très librement devant vous. Je reviendrai tout à l'heure sur le débat brûlant qui a opposé les Républicains aux Monarchistes car il me paraît particulièrement éclairant, de même que l'histoire de la construction des Troisième, Quatrième et Cinquième Républiques.

Madame Mirallès, vous m'avez interrogé sur la méconnaissance des armées. En premier lieu, je dois avouer qu'à mes yeux, ce ne sont pas tant les politiques que les journalistes qui, de manière générale, méconnaissent nos armées. J'aurais d'ailleurs un certain nombre de reproches à leur adresser. Car pour ma part, je considère que si les journalistes exerçaient mieux leur métier de « passeur de connaissances », nos concitoyens seraient davantage éclairés. En ce qui vous concerne, vous figurez à mes yeux parmi les personnes de la société civile qui connaissent le mieux les armées, ne serait-ce que parce que vous vous rendez auprès d'elles et allez visiter les unités. Ce qui me frappe, en revanche, c'est en effet que la méconnaissance générale du monde civil à l'égard des armées s'accompagne d'une forme de fascination pour elles, voire de fantasme. Je ne dispose malheureusement pas de la formule magique permettant d'y remédier mais il me semble que nous devons tous, collectivement, contribuer à diffuser une juste image des armées, à répéter qu'elles ne sont pas ce qu'elles sont sans effort, et à démontrer qu'elles ne prétendent aucunement s'ériger en modèle de référence. En revanche, les armées peuvent sans doute inspirer un certain nombre de réflexions utiles à la Nation. Il ne s'agit pas de vanter les armées, mais simplement de souligner que les nécessités du combat les ont amenées à développer un certain modèle, fondée sur la singularité militaire, les valeurs qui nous portent et la fraternité, si centrale dans les armées. Mais ces caractéristiques ont en réalité été imposées : car dans les faits, un militaire n'a d'autre choix que de se montrer fraternel à l'égard de ses camarades, qui sont ses gages de survie. C'est donc la dépendance mutuelle entre militaires qui nous pousse à la fraternité. Il me semble donc que ce qui doit nous animer, c'est l'analyse des processus à l'œuvre dans les armées, et la réflexion autour de la transposition au monde civil de ceux qui pourraient lui être adaptés et transposés. Je pense par exemple à nos processus d'apprentissage. Peut-être vous avais-je raconté l'un de mes premiers échanges avec le secrétaire d'État chargé du service national universel, aujourd'hui porte-parole du Gouvernement. Il m'avait ainsi fait part de son souhait de voir tous les jeunes porter l'uniforme. Mais en réalité, il ne savait pas ce que signifiait l'uniforme, et de la même manière que vous l'avez évoqué tout à l'heure, Madame la présidente, je lui ai donc expliqué le sens de l'uniforme, et les raisons pour lesquelles je suis profondément attaché à la tenue militaire, dont l'inconfort nous force d'abord à nous tenir droit. Il s'agit d'un point extrêmement important car il nous faut éviter d'être débraillé. Je suis ainsi très frappé de voir combien sous la Troisième République, les gens étaient dignes. La « tenue » dépasse ainsi largement l'uniforme : elle nous « tient ». Dans les armées, l'uniforme vise ainsi d'abord à tenir l'homme droit. Dès lors, je crois que toute la société doit s'interroger sur la tenue, et en premier lieu les représentants de la Nation et celles et ceux qui ont un devoir d'exemplarité, dont les enseignants. À mes yeux, un professeur débraillé pousse ses élèves à être encore plus débraillé ! Pour revenir sur la pédagogie militaire, j'avais échangé avec le secrétaire d'État sur l'ordre serré, les mouvements de « pied ferme » et le défilé. L'ordre serré donne lieu à d'innombrables répétition, jusqu'à ce qu'il soit parfait. Et Dieu sait que c'est ennuyeux ! Mais dans l'attente de la perfection, on s'aligne sur le plus faible, celui qui ne parvient pas à lever le bras à la bonne hauteur. Il est alors intéressant de « démonter » le processus pédagogique et d'étudier ce qui pourrait être transposé au monde civil. Les premières choses que l'on apprend en entrant dans les armées sont le salut et le garde-à-vous. Puis, les mouvements de pied-ferme : « à gauche-gauche », puis « à droite-droite », etc. Or, pour ce faire, l'apprentissage repose sur la démonstration puis la reproduction. Pour cette dernière phase, on regroupe les recrues par binômes, chacun alternant entre la position de l'apprenant et celle d'instructeur. Ce qui signifie que même la plus jeune, la plus ignorante, la plus mal formée des jeunes recrues se trouve à un moment en position d'instructeur. Et ce faisant, vous lui manifestez une exigence qui la grandit, et vous restaurez sa dignité. Ce processus d'apprentissage me paraît intéressant, et doit selon moi être largement diffusé.

Vous avez également pointé le fait que peu de personnes connaissent les armées dans leur exhaustivité. Mais au fond, personne ne le peut vraiment. Ce qu'il faut combattre, c'est la vision fantasmée des armées. Il est en revanche nécessaire de savoir ce qui fait la singularité des armées, et d'identifier les processus militaires susceptibles d'être transférés à d'autres pans de la société, notamment en direction des jeunes issus de classes qui ne sont pas parmi les plus favorisées. Il y a un véritable travail à conduire et c'est ce que nous essayons de faire avec le service national universel. Et en la matière, je compte sur vous pour continuer d'agir comme les ambassadeurs de nos armées.

Un grand merci pour vos propos, Monsieur Thiériot. Vous avez tout à fait raison de souligner que la singularité militaire n'est pas pleinement comprise en Europe. J'irais même au-delà. Je me suis rendu il y a peu à La Sorbonne pour intervenir dans le cadre d'un cycle de formation piloté par Louis Gautier, à propos de la France comme acteur stratégique. Notre pays est évidemment un acteur stratégique, c'est-à-dire une Nation qui a élaboré une vision, exprime une volonté et qui dispose des capacités pour les mettre en œuvre. Le Royaume-Uni n'étant plus membre de l'Union européenne, je crois que la France est aujourd'hui l'un des seuls pays en Europe à pouvoir revendiquer un tel titre, hérité de nos valeurs. La France exaspère parfois, et nous sommes considérés par certains comme arrogants, mais je crois que ceci s'explique, comme l'écrivait Malraux, par le fait que « la France est la France quand elle assume une part de la noblesse du monde » et qu'elle est attendue par les pays du monde entier, qui souhaitent que la France déploie une vision du monde, porte une voix spécifique et ses valeurs. La vision française, héritée de la pensée de Raymond Aron, est celle d'un ordre international multipolaire, au sein duquel les relations de puissance sont équilibrées et régulées par le droit international. Et aujourd'hui, la France considère que l'Europe doit constituer l'un de ces pôles. Il est vrai que nous éprouvons parfois des difficultés à ce que les Européens partagent cette vision. Quant à la volonté, elle est selon moi indiscutable, d'autant que nous disposons des capacités pour l'exprimer. Comme je le disais aux étudiants qui suivaient ce cycle de formation, les Livres blancs, la Revue stratégique et la loi de programmation militaire en sont les meilleures illustrations. Ils permettent de répondre, tous les cinq ans, aux grandes questions stratégiques : quelle puissance veut-on être ? de quelles capacités voulons-nous disposer ? pour quels types de conflits ? dans quel cadre géopolitique ? Or, la France est l'un des seuls pays d'Europe à mener un tel exercice. Je ne connais pas d'État membre mettant en œuvre un processus aussi élaboré que le nôtre et d'ailleurs, à chaque fois que je rencontre l'un de mes alter ego européen, il m'interroge à ce sujet, afin de comprendre comment nous définissons notre modèle d'armée, comment nous l'adoptons, comment le Parlement y est associé, etc.

Dans le domaine militaire et, plus largement, international, nous disposons d'une capacité stupéfiante à élaborer une vision et à exprimer une volonté. Le conseil de défense constitue de ce point de vue un outil extraordinaire, au sein duquel se tiennent de véritables débats. Cependant, je note que l'on atteint la limite de l'exercice lorsque l'État – ce n'est pas le cas des armées – se révèle quelque peu impuissant, ou avale et amortit l'expression de la volonté politique. C'est d'ailleurs quelque peu tragique.

Il nous faut donc franchir une étape en Europe. Car nous disparaîtrons si nous ne parvenons pas à basculer dans la deuxième phrase de la construction de l'Union européenne, qui sera nécessairement géopolitique. Sa première phrase fut mercantiliste, autour du marché commun. L'objectif était d'assurer la prospérité des populations, et il ne s'agit pas de le remettre en question. En revanche, il nous faut aujourd'hui conserver les acquis de la première phase et passer à la seconde, car n'imaginons pas que nous pourrions être prospères sans être libres. Or, qu'est-ce que la liberté si ce n'est l'expression d'un destin géopolitique commun. Ce travail est en cours et j'observe que grâce à vous, j'ai pu m'exprimer devant vos homologues du Bundestag où j'ai constaté un frémissement en la matière. Je tenais à vous en remercier car si j'ai pu m'exprimer à Berlin, c'est parce que vous aviez reçu mon alter ego allemand. L'objectif est donc de parvenir à une prise de conscience collective des défis qui mettent en danger la sécurité de l'Europe et sa prospérité. L'accroissement des tensions entre la Chine et les États-Unis en est un, bien sûr. La Russie également, même si la question est davantage abordée au sein de l'OTAN. Mais surtout, il faut avancer vers la prise de conscience des défis environnemental et démographique, c'est-à-dire de l'obligation pour tous les Européens d'aider massivement au développement des pays africains, dont dépend notre sécurité. Il nous faut en effet éviter que le doublement de la population africaine attendu d'ici 2040 ou 2050 ne se traduise par des mouvements de grandes migrations, et faire en sorte que les populations locales puissent avoir un avenir dans leurs pays. Nos partenaires sont en train d'en prendre conscience, car ils mesurent les risques que feraient peser de tels mouvements sur la fragilisation de leur société, en raison des difficultés à assimiler, intégrer et accueillir des populations étrangères sans remettre en question les équilibres sociaux sur les territoires. La période est favorable : il faut mener le combat. Je ne désespère pas mais le processus est long et compliqué.

Madame Poueyto, le Béarn est bien représenté au sein de la commission, et je m'en réjouis ! Ma grand-mère – issue d'une famille comptant nombre d'officiers – habitait Araux, entre Sauveterre-de-Béarn et Navarrenx, en face du Laas et de l'autre côté du Gave d'Oloron. Comme je l'ai raconté en interview, quand j'étais gamin, j'étais fasciné par un grand panneau de bois se trouvant sous la grange et sur lequel était inscrit « lieutenant Hélie de Roffignac, mort au champ d'honneur ». Il s'agissait du seul fils de ma grand-mère, mort en Algérie à 23 ans, à peine sorti de Saint-Cyr. J'étais fasciné par ce panneau et cette inscription. C'est bien dans le Béarn que j'ai trouvé les fondements de ma vocation. S'agissant de votre question, j'observe que nous ne rencontrons pas vraiment de difficulté à recruter et fidéliser nos militaires. Les ressources humaines constituent évidemment un point auquel nous sommes très attentif mais, comme je crois l'avoir dit lors d'une précédente audition, il y a une forme de manifestation du génie français dans notre capacité à pouvoir compter sur des jeunes désireux de servir la France sous les armes. Ceci s'explique par le fait que nous sommes un peuple à part, une Nation à part, appuyée sur une forte culture. En outre, je note que l'engagement dans les armées est également souvent la marque d'une puissante volonté d'intégration. Nul ne fait le compte des militaires issus de la deuxième ou de la troisième génération de l'immigration, mais ils sont extrêmement nombreux dans nos rangs et sont de remarquables soldats. Je suis même tenté de dire que c'est précisément notre forte immigration et les difficultés d'assimilation et d'intégration qu'ils constatent qui poussent une partie des jeunes à manifester leur volonté d'être citoyen en s'engageant dans les armées, devenant des sortes de « super-citoyens ». Le recrutement n'est donc pas un problème. Concernant l'entraînement au saut des parachutistes, si nous étudions la voie de l'externalisation, je relève surtout que nous sommes en train de résoudre les problèmes que nous avons pu rencontrer en raison de l'amélioration des capacités et de la disponibilité technique de l'A400 M. Celui-ci dispose enfin des capacités de faire sauter les parachutistes en files (stick), et nous ressentons les premiers effets de la réforme du maintien en condition opérationnelle aéronautique engagée par la ministre. Votre question me fait toutefois sourire car j'ai assisté, il y a une quinzaine de jours, à une engueulade de gens bien élevés entre le chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace et le chef d'état-major de l'armée de terre. Mais rassurez-vous le sujet est en train d'être résolu.

J'en viens à présent à la question de M. Gassilloud sur l'expression des militaires dans l'espace public. Comme vous le savez, je suis très attaché à la libre expression des militaires. Toutefois, s'exprimer ne veut pas dire aller dire n'importe quoi, sur n'importe quel ton, avec n'importe quel vocabulaire, sur des sujets qu'on ne maitrise pas et pour lesquels on n'a ni compétence ni légitimité. Quand les militaires s'expriment, ils doivent absolument s'exprimer avec compétence et légitimité, avec le souci de l'exactitude et de la nuance. Car c'est l'image des armées qu'ils véhiculent. C'est d'ailleurs pour cette raison que la revue Inflexions avait été créée il y a une quinzaine d'années. En offrant la possibilité de publier des articles de huit à dix pages, nous donnions ainsi l'opportunité à des militaires d'écrire ce qu'ils voulaient, librement, mais de façon informée, documentée, cultivée, nuancée, et donc sans prêter à polémiques. D'ailleurs j'observe que le nombre de livres et d'articles écrits par des militaires est considérable ! Je ne crois donc pas qu'il y ait de problème de liberté d'expression.

Le cas du colonel Légrier est tout à fait particulier : il s'est exprimé alors qu'il était en mission opérationnelle, sur la mission opérationnelle qu'il conduisait, et en portant un avis sur les ordres que lui-même donnait à ses soldats. Et ce sans avoir pris la peine, une demi-seconde, non pas de demander l'autorisation à son chef, mais de lui faire part, au préalable, de son désaccord avec les ordres donnés. Il lui eut fallu d'abord s'exprimer auprès de son chef plutôt que de pondre un papier dans la presse. Comme je vous l'ai expliqué plus tôt, si je ne suis pas d'accord avec ce que mon chef me demande, je lui dis ! Et si malgré mon objection, mon chef m'indique que son ordre initial doit être exécuté car il se fonde sur d'autres critères de jugement, il ne m'appartient pas de rendre public le débat nous ayant opposés. L'article du colonel Légrier dépassait de loin la seule question de la liberté d'expression, puisqu'en l'espèce il remettait en cause les règles qui régissent les relations entre un chef militaire et son subordonné. Je note d'ailleurs qu'il n'a pas contesté sa sanction et je ne crois pas – ni ne souhaite – que cette sanction puisse nuire à sa carrière.

S'agissant des tribunes que vous évoquez, je ne regrette aucunement mes propos, ni de les avoir tenus avec la dernière des fermetés. Je suis en effet convaincu que si j'avais laissé planer le moindre doute à leur sujet, mes propos auraient donné lieu à diverses interprétations, alors même qu'ils n'étaient que le reflet de ma conception de la singularité militaire. Pour ma part, je suis abasourdi par l'attitude du « capitaine » Jean-Pierre Fabre Bernadac, qui d'ailleurs, de manière fort astucieuse, m'adresse ses tracts sur ma boîte mail professionnelle. Il s'arroge le droit de parler au nom de l'armée. Mais qui est-il pour le faire ? Tout cela me parait proprement invraisemblable. J'espère qu'un jour, il arrêtera de le faire et ne s'exprimera qu'en tant que « Monsieur Fabre Bernadac ». Après tout, se représenter soi-même devrait être suffisamment satisfaisant…

S'agissant de votre seconde question, je n'imagine pas de scénario de re-conscription à un court ou moyen terme. La montée en puissance de notre engagement constitue effectivement un défi, car l'on voit bien les difficultés que nous rencontrerions pour réaliser l'hypothèse d'un engagement majeur, qui prévoit une durée de montée en puissance de six mois avant un engagement de 20 000 hommes pour six mois. La restauration de la singularité militaire, avec sa logique de stocks et d'accroissement de la réactivité par une meilleure organisation des armées, doit justement permettre de diminuer ce temps de montée en gamme. Je note toutefois que la guerre devenant toujours plus technique et nécessitant de mettre en œuvre des systèmes toujours plus sophistiqués, nous devons pouvoir compter sur des équipes spécialisées et solidement formées. Le défi est donc d'abord celui de l'allongement des temps d'engagement, au-delà du premier contrat de quatre ou cinq ans, afin de rentabiliser davantage les temps de formation. Dans ce contexte, je vois mal comment nous pourrions insérer et utiliser des conscrits d'un an.

Monsieur le président Chassaigne, tout d'abord merci de vos « cambriolages ». Vous avez tout à fait raison de souligner que l'opération Sentinelle permet à nos soldats de mesurer la réalité de notre société, que l'on a parfois tendance à oublier depuis Paris. Toutefois, si les états-majors sont pour la plupart parisiens, notre armée est d'abord très … française. Vous qui êtes élus de circonscriptions fort diverses, vous êtes les plus à même de comprendre cette réalité des provinces, des départements et des campagnes. Mais vous l'avez dit, notre armée est aussi très internationale : un soldat déployé en Afrique est ainsi directement confronté au scandaleux décalage de richesses avec les pays développés. Et sans même qu'il s'en rende compte, cela lui confère une forme de sagesse bien supérieure à ce que l'on pourrait imaginer. Je pense d'ailleurs que nous gagnerions collectivement à interroger davantage nos soldats, afin de saisir ce qu'ils pensent. Car après cinq mois passés dans le désert, au cours desquels vous rencontrez les populations pour lesquelles vous vous battez, au cours desquels vous êtes confronté à leur pauvreté et à la dureté de leur vie, au cours desquels vous avez pu apprécier leur relation à la mort, et découvrir leur spiritualité, le retour en France est d'abord source d'interrogations face à un décalage aussi criant.

Je crois ainsi que nos soldats sont des citoyens plus conscients que d'autres de la « vérité » de la France, et ce d'autant qu'une large partie d'entre eux n'est pas née avec une cuillère d'argent dans la bouche, mais provient de milieux modestes ou défavorisés ; pour ces derniers, au-delà de l'affirmation d'une forme de sur-citoyenneté que j'évoquais tout à l'heure, l'engagement dans les armées est aussi un moyen de mieux s'intégrer et de progresser socialement.

Je ne suis pas inquiet pour nos soldats. Ils savent tout à la fois ce que sont nos provinces, ce qu'est la réalité quotidienne des gens « normaux » et la vie des peuples qui, au-delà de nos frontières, connaissent une misère insupportable. Ces expériences les poussent à s'interroger sur les raisons qui font que certains naissent privilégiés et d'autres en pleine misère, et les prémunissent du racisme et de la bêtise humaine ordinaire. L'image d'Épinal selon laquelle les militaires seraient plus sensibles à telle ou telle idée me paraît donc fort éloignée de la réalité car la vie militaire conduit les soldats à faire preuve de nuance, et les rend plus conscients de la réalité des choses. Je n'en dirais toutefois pas tant de certains retraités. Dans un courrier de soutien qu'il m'a adressé, un général à la retraite m'écrivait croire que l'ennui et le sentiment d'impuissance pouvaient pousser certains à dire n'importe quoi. Je crois qu'il n'a pas tort !

Vous m'avez ensuite interrogé sur le niveau de reconnaissance de nos armées. Il me semble d'abord utile de préciser que la reconnaissance matérielle est tout aussi importante que la reconnaissance symbolique, car sans reconnaissance matérielle, on se sent forcément méprisé, et de facto privé de reconnaissance morale. Il me semble que les militaires sont d'ailleurs reconnus sur ce plan. Le 14 Juillet, la semaine prochaine, sera d'ailleurs une belle occasion pour la Nation de manifester à ses soldats son admiration et sa reconnaissance. Aujourd'hui, nos militaires savent qu'ils bénéficient d'une très belle image et je n'ai pas d'inquiétude en la matière. En revanche, je profite de votre question pour attirer votre attention sur la prochaine revalorisation des fonctionnaires de catégorie C. Ne souhaitant pas procéder à une revalorisation globale du point d'indice de la fonction publique, le Gouvernement a annoncé que des mesures spécifiques seront prises pour cette catégorie de fonctionnaires à l'horizon 2022. Je forme le vœu que les personnels de catégorie C des armées ne seront pas oubliés et je compte sur vous pour veiller à ce que les mesures à venir soient déclinées, sans délai, au sein du ministère des Armées.

Monsieur le député Lassalle, que je suis tenté d'appeler « mon député ». Merci pour vos propos. Je suis toujours très touché quand je vous entends, non seulement parce qu'à travers vos mots, c'est la vallée d'Aspe qui arrive à moi, mais aussi parce que je trouve que ce que vous dites est généralement très profond. Mais que dire d'autre ? Car vos questions n'étant pas réellement des questions, je vous propose plutôt de nous revoir pour discuter ensemble !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.