Intervention de Florence Parly

Réunion du mardi 14 septembre 2021 à 16h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Florence Parly, ministre des Armées :

Je vous remercie pour les hommages appuyés que vous avez rendus à tous ceux qui ont contribué à l'opération Apagan. Celle-ci n'est qu'un des éléments d'une situation afghane complexe qui nécessitera, en effet, des retours d'expérience sérieux, comme disent les militaires. Au reste, la semaine dernière, lors de la réunion des ministres européens de la défense, qui s'est déroulée en présence du secrétaire général adjoint de l'OTAN – laquelle a commandé en quelque sorte les opérations militaires pendant de longues années –, celui-ci a été le premier à dire qu'un retour d'expérience non seulement militaire mais aussi politique serait nécessaire. Nous avons tous cette exigence chevillée au corps, mais le moment n'est pas encore venu ; je concentrerai donc mon propos sur l'objet de cette audition : l'opération d'évacuation.

Comme vous, Madame Ballet-Blu, j'ai été très frappée par la photographie que vous avez évoquée ; elle donnait, en effet, l'impression que seuls des hommes avaient été embarqués, mais il s'agissait d'un vol particulier. Lorsque je me suis rendu avec Jean-Yves Le Drian aux Émirats arabes unis pour rencontrer les personnes évacuées et celles qui les avaient évacuées, j'ai été rassurée, car j'y ai vu beaucoup de familles et de femmes. Nous disposons désormais des chiffres : sur les 2 600 personnes évacuées dans le cadre de cette opération, 47 % sont des femmes, ce dont nous pouvons nous féliciter.

Le Président de la République l'a dit : nous poursuivrons notre effort pour rapatrier tous ceux qui peuvent l'être. Ainsi, depuis la fin de l'opération militaire, le 27 août, près d'une cinquantaine de personnes – des ressortissants français, certes – ont pu être évacuées par un vol qui a transité par Doha le week-end dernier. C'est un premier pas ; nous sommes déterminés à poursuivre notre effort autant qu'il sera possible.

Par ailleurs, ceux qui souhaitent quitter l'Afghanistan se heurtent à des difficultés pour rallier l'aéroport de Kaboul ou d'autres points de sortie aux frontières du pays. Il a été demandé aux talibans de ne pas les en empêcher mais, à ce jour, je n'ai pas de certitude quant à la prise en compte de cette demande par le gouvernement taliban. Un certain nombre d'obstacles ne sont donc pas simples à surmonter, mais nous nous y employons. En tout cas, notre engagement est total pour les Afghans menacés suite aux combats intellectuels qu'ils ont menés pour les libertés mais aussi pour ceux qui ont soutenu notre ambassade et ses différents services ou ont assisté nos militaires pendant toutes ces années.

Je l'ai dit dans mon propos liminaire : je n'avais jamais autant entendu parler, dans une réunion de ministres européens, de culture stratégique commune ou d'autonomie stratégique, concepts qui, lorsque nous, Français, les évoquions, ne passaient pas forcément très bien. Je me réjouis donc de cette évolution mais, à présent, il faut agir.

Au cours des quatre dernières années, nous avons progressé dans la construction d'une Europe de la défense, laquelle nous sera bien utile pour faire face, dans de moins mauvaises conditions, aux défis à venir. L'enjeu est évidemment d'être capable d'agir ensemble, mais il existe un certain nombre de préalables. Nous devons disposer de capacités – j'y reviendrai – et pouvoir planifier d'éventuelles opérations. Il nous faut en effet développer une interopérabilité européenne. Celle-ci existe d'ores et déjà, dans le cadre de formats ad hoc : nous sommes présents dans le golfe arabo-persique pour assurer la sécurité du trafic maritime mais aussi au Sahel, avec la force Takuba. Mais, au-delà de l'interopérabilité, se pose la question de la volonté politique. C'est ainsi que, faisant preuve une fois encore de pragmatisme, nous avons développé des formats qui ne rassemblent que ceux qui partageaient cette volonté.

La présidence française de l'Union européenne doit permettre de franchir un cap, grâce à l'adoption, pour la première fois, d'une ambition stratégique pour l'Europe dans le domaine de la défense et de la sécurité : la Boussole stratégique. Je suis convaincue que l'élan provoqué par cette crise et l'ambition qui en résulte nous permettront de construire ce que le Président de la République avait dessiné lors de son discours de la Sorbonne : une Europe de la défense pragmatique, concrète et active. Nous continuerons d'œuvrer en ce sens lors de la présidence française, qui offre, à cet égard, une opportunité.

S'agissant de nos capacités aériennes, je tiens à préciser que les A330 MRTT qui ont été utilisés pour les rapatriements entre Abou Dhabi et Paris sont, pour certains, des avions ravitailleurs et, pour d'autres, des avions que nous avons commandés il y a un an dans le cadre du plan de relance, grâce aux décisions que nous avons prises tous ensemble. Quant aux futures capacités d'avions-cargos, elles font l'objet de discussions au sein de l'Union européenne. Le retour d'expérience afghan doit nous conduire à examiner cette question avec une autre paire de lunettes.

Notre présence aux Émirats arabes unis s'est révélée fondamentale. Le dispositif était bien dimensionné. Nous avons joué des coudes dans un espace limité, mais qui nous a permis d'accomplir tout ce que nous avions besoin de faire. Nous avons bénéficié d'un très fort soutien des autorités émiriennes, que j'ai évidemment remerciées au nom de notre pays.

S'agissant de la coordination avec les puissances occidentales, on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Cette coordination a eu lieu, mais elle demeure perfectible. Il est apparu un grand désir de solidarité et d'entraide entre les partenaires, mais dans une configuration assez peu organisée et planifiée. La manière dont nous travaillons ensemble peut donc être encore améliorée. Néanmoins, le résultat n'en a pas souffert : grâce à l'esprit de débrouillardise et de solidarité qui a animé chacun, nous avons pu faire tout ce qu'il était en notre pouvoir d'accomplir.

Il faut, pour analyser les conséquences du désengagement des États-Unis, prendre du recul. Comme cela a été prévu dans le cadre de l'OTAN, nous aurons un échange avec notre partenaire américain. Il faut rappeler qui nous avons combattu au cours de ces années. Aurions-nous sacrifié des vies, investi des moyens publics en pure perte, comme vous l'avez laissé entendre, Monsieur Corbière ? Je m'inscris tout à fait en faux contre ce discours. Nos militaires n'ont pas donné leur vie pour rien. Ils se sont battus avec courage contre des groupes djihadistes internationaux dont l'objectif, le projet politique est d'instaurer des sanctuaires voire, pour certains, des califats, au sein desquels les lois démocratiques ne sont pas de mise. Ces groupes ont été affaiblis mais pourraient resurgir. C'est ce sur quoi nous devons concentrer notre attention. Si nous n'étions pas capables d'empêcher la reconstitution d'un sanctuaire terroriste en Afghanistan, peut-être vos propos pourraient-ils trouver un sens, mais, aujourd'hui, ils n'en ont pas.

Je ne peux pas laisser M. Lassalle dire que nous ne sommes plus au Mali : nous y demeurons et nous y resterons dans les mois, et sans doute les années qui viennent. Si la rumeur selon laquelle les autorités maliennes vont contractualiser avec la société Wagner se révélait fondée, ce serait extrêmement préoccupant et contradictoire avec tout ce que nous avons entrepris depuis des années et avec tout ce que nous comptons faire en soutien des pays du Sahel. Nous aurons l'occasion d'y revenir plus en détail lors d'une prochaine audition, mais c'est un sujet de préoccupation majeur.

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