Près de 1 000 personnes travaillaient sur le programme des sous-marins, dont 650 en France. Si l'on peut penser qu'un certain nombre de reconversions auront lieu en France, cela sera différent en Australie. Dans ce pays, l'activité AFS de Naval Group va s'arrêter. Les 350 personnes qui y concourent, dont 20 Français expatriés, n'auront plus d'activité. Le gouvernement australien a créé un talent pool, sorte de bourse aux emplois, dans la région d'Adélaïde, dont pourront bénéficier nos personnels – étant précisé que l'Australie connaît une activité économique plutôt favorable en ce moment. Il n'en reste pas moins que je pense aussi à eux, car ils ont subi un choc particulièrement violent. Je pense aussi aux Australiens présents en France, qui se demandent s'ils doivent rester ou repartir. Ils ont eux-mêmes été extrêmement surpris de la décision de leur pays.
Nous avons constitué une équipe importante travaillant au sein des départements des ressources humaines, sur tous les sites de Naval Group, pour établir des contacts, le plus vite possible, avec les personnes concernées. Nous sommes en train de recueillir leurs aspirations. Beaucoup de jeunes, notamment des ingénieurs, nous ont rejoints en raison de notre activité à l'international, et en particulier pour travailler sur le programme avec l'Australie.
Dans le même temps, nous examinons les possibilités de charge au sein du groupe. Nous serons assez vite confrontés à une difficulté : la plupart des salariés concernés – près de 500 personnes – se trouvent à Cherbourg, mais les postes sont ouverts dans l'ensemble de l'entreprise – non seulement à Cherbourg, mais aussi à Brest, à Lorient, à Toulon, à Angoulême etc. Nous avons engagé un processus visant à mettre en adéquation les possibilités d'affectation au sein du groupe et les aspirations des uns et des autres.
J'ai également demandé à nos sous-traitants d'être vigilants. Nous avons un peu plus d'une centaine de fournisseurs concernant le programme australien, qui se préparaient à la montée en charge. Il est essentiel que, dans notre analyse des ressources et du potentiel, nous prenions en compte les problématiques de ces entreprises.
On se trouvait au début du processus et dans un programme comme celui-là, la phase d'ingénierie, de conception est extrêmement longue. On avait terminé la première étape, on allait commencer la deuxième. On en était encore au basic design, on allait passer au detailed design. L'ingénierie finale du sous-marin devait se terminer en 2027-2028.
Le volume des commandes sera essentiel pour permettre le repositionnement des personnels. Il importe donc qu'un certain nombre de commandes qui étaient à venir ou simplement envisagées, notamment par la France, soient passées plus vite que prévu pour mieux adapter l'offre – en particulier les postes à Cherbourg – à la demande.
Le programme des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) de troisième génération a commencé cette année. Il est dans la même phase d'ingénierie que le programme australien. Les salariés travaillent au même endroit, à Cherbourg ; les mêmes compétences sont utilisées. Il serait souhaitable que l'on puisse accomplir en 2022 les tâches d'ingénierie qui étaient prévues plus tard, en 2024, 2025, voire 2026. Cela présenterait le double avantage d'utiliser une compétence immédiatement disponible et de haut niveau et d'accélérer le programme des SNLE.
Il faut veiller à ne pas céder à la facilité de la réinternalisation des tâches d'ingénierie actuellement sous-traitées à des entreprises en France. Il peut effectivement y avoir un effet domino : on reporterait le problème de Naval Group sur d'autres. Je suis attentif à nos fournisseurs et nos sous-traitants et le groupe les accompagne dans l'élaboration de leur dossier justificatif de leurs coûts.
Il nous faudra plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour analyser l'impact de la décision australienne et les possibilités de reclassement. Nous avons la possibilité de reclasser immédiatement un certain nombre de personnes, mais nous allons être confrontées dans les semaines qui viennent à des situations difficiles. La mise en relation des envies personnelles et des capacités de l'entreprise, et la signature éventuelle de contrats complémentaires nous permettront de quantifier l'impact réel de la décision australienne.
Nous avons répété à tous nos clients les propos du Premier ministre australien, selon lequel l'arrêt du programme n'était pas lié à un problème de performance de Naval Group. Nous sommes engagés dans un certain nombre de campagnes à l'exportation.
La décision australienne se traduisant par une perte de 500 millions d'euros de revenus potentiels annuels, soit 10 % du chiffre d'affaires de Naval Group, elle aura nécessairement un impact sur notre capacité à financer nos investissements. Nous allons cependant nous attacher à essayer de compenser ce manque à gagner, en nous assurant du soutien de nos clients, en particulier de notre client français, concernant l'innovation dans le domaine naval. Le naval n'est pas toujours bien doté dans les budgets de l'innovation. C'est peut-être l'occasion de repenser son financement, eu égard à l'importance et à l'engagement des forces navales pour la souveraineté de notre pays.
Nous discutons de plusieurs dossiers, en matière d'innovation, avec la direction générale de l'armement (DGA). Leur concrétisation pourrait là aussi être accélérée, ce qui aurait le double avantage de créer une capacité opérationnelle et d'utiliser des compétences disponibles de haut niveau. Je pense, en particulier aux systèmes de drones navals, dont se dotent aujourd'hui les forces armées de nombreux pays. L'innovation dans les drones est un axe stratégique de Naval Group, qui pourrait être soutenu par des projets de recherche et développement.
Les innovations en matière énergétique se multiplient, et elles pourraient être partagées en Europe. Nous conduisons à l'heure actuelle des projets avec l'Italie pour décarboner le maritime, qui pourraient aussi s'appliquer aux navires militaires. L'acceptabilité de ceux-ci dans la société de demain imposera, de fait, une décarbonation. Ils ne pourront pas tous être à propulsion nucléaire, laquelle est extrêmement complexe et ne concerne que quelques bâtiments. La décarbonation des navires de surface est un autre exemple de projet de recherche et développement pouvant être accéléré. Voilà quelques composantes de notre plan de rebond, qui s'inscrit dans le cadre de notre stratégie industrielle.
Le contrat avec notre client australien décrit clairement le processus de la résiliation pour convenance. Le travail de recensement est en cours chez nous et chez nos fournisseurs et nos sous-traitants, en France comme en Australie. Le client analysera nos propositions, avant qu'une négociation ne démarre. Nous souhaitons aller vite, mais il nous faudra encore du temps pour avoir sur la table l'ensemble des conditions de résiliation, compte tenu de la complexité du programme.
Le transfert de technologies est un chapitre fondamental du programme, mais je rappelle que nous n'étions qu'aux prémices de celui-ci. Le transfert de technologies s'est d'abord traduit, pendant les phases d'ingénierie, par la transmission de documents dont le client, en vertu du contrat, a acheté une partie de la propriété intellectuelle. Nous sommes précisément en train de recenser, en faisant preuve d'une extrême vigilance, ce qui relève du foreground – ce qui est donc acheté par le client – et du background – ce qui nous appartient et que le client n'a pas le droit d'utiliser librement.
Sur le nucléaire civil, nous faisons partie avec TechnicAtome du projet NUWARD, piloté par EDF, qui porte sur la conception d'un réacteur de petite taille, et qui constitue une vraie réussite industrielle de la France.
Naval Group emploie 16 000 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 4 milliards d'euros, dont une part importante à l'export. L'export nous offre la possibilité d'avoir un modèle complet et équilibré. Elle est nécessaire à notre équilibre – à moins qu'on augmente notre budget à concurrence de ce que nous rapportent les exportations… La France soutient pleinement les exportations. Nous avons dû nous engager à ce que le contrat soit réalisé en Australie pour 60 % de sa valeur, à ce que l'industrie australienne soit impliquée et que l'on respecte nos délais. Nous avons dû évaluer l'industrie australienne, interroger 2 000 entreprises sur leurs capacités. Cela nous a pris du temps de souscrire cet engagement et, in fine, nous l'avons pris et nous l'avons contractualisé.
Nous avons surmonté les difficultés inhérentes à un tel programme par nos actions. S'agissant des délais et des coûts, nous avons été à l'heure, malgré le covid et l'impossibilité pour les équipes de se déplacer. Nous avons contré tous les signaux d'alerte les uns après les autres, et tous les indicateurs sont progressivement passés au vert. Cette rupture stratégique donc ne peut être qu'une surprise
La guerre économique est notre lot commun. En la matière, rien n'est facile, notamment lors des campagnes à l'exportation. À cet égard, je tiens à remercier nos ambassadeurs de leur remarquable travail de soutien. Chaque fois que nous nous rendons quelque part, nous commençons et terminons par l'ambassade : nous leur rendons compte de ce que nous faisons, et ils nous font part de leur compréhension du contexte. C'est avec une telle équipe que nous pouvons avancer.