Intervention de Général d'armée Pierre Schill

Réunion du mardi 12 octobre 2021 à 17h35
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général d'armée Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de Terre :

Je vous remercie pour l'initiative concernant le DuoDay, qui permettra de mettre en valeur le travail remarquable de la cellule d'aide aux blessés de l'armée de Terre (CABAT). Les hommes et les femmes qui y servent font un travail extraordinaire au service des blessés physiques ou psychiques.

La réorganisation au Sahel est en cours de définition. L'évolution escomptée des effectifs déployés est de l'ordre de 50 % mais des modalités sont encore en cours d'étude s'agissant, notamment, de la force Barkhane. La Task Force Takuba pour l'appui aux forces maliennes, qui fait appel au concours de nos partenaires européens, perdurera.

La réorganisation de la force Barkhane, qui prendra plusieurs mois en raison du poids logistique du redéploiement de nos trois bases du nord – Tessalit, Kidal et Tombouctou – aura un effet en termes d'effectifs au Sahel. En France, elle permettra de réduire la pression de l'engagement global des militaires qui, l'an dernier, ont passé en moyenne 143 jours hors de leur domicile, alors que nous estimons à 120 jours d'entraînement et de mission par an le bon niveau de fonctionnement de long terme de l'armée de Terre. Grâce à ce moindre engagement au Sahel, il sera possible d'actionner ce premier levier en vue de préparer un engagement ultérieur.

Ce temps supplémentaire et le retour d'équipements déployés au Sahel seront également profitables à la préparation opérationnelle. Ceux-ci seront réintégrés au sein des forces après une remise en condition qui durera entre quelques mois et deux ans, de sorte que l'effet ne sera pas immédiat.

L'effet bénéfique de la réorganisation des forces au Sahel entraînera probablement une réduction des surcoûts OPEX mais avec un décalage lié au coût des manœuvres logistiques et de régénération des équipements.

Concernant l'étalement du programme SCORPION, comme cela a été dit lors d'une audition précédente, nous avons acté dans la loi de programmation militaire une baisse du point de passage 2025 du programme de livraisons. Alors que 50 % des livraisons de l'ensemble étaient prévues à cette date, ce chiffre pourrait être ramené à 45 %, sachant que la cible reste de 100 % en 2030.

Cette baisse est liée à la prise en compte des impératifs industriels de livraison pour certains segments de ces véhicules et à la possibilité, pour nous primordiale, de financer en contrepartie la pérennisation du char Leclerc, le lancement du programme de l'engin de combat du génie et le lancement du programme VBAE successeur de nos véhicules blindés légers (VBL) dans un souci de protection de nos équipages – ces dernières années, la plupart des soldats en opération ont été tués par des mines.

Cet ajustement opéré à la demande de l'armée de Terre a également permis de renforcer les moyens d'entraînement et de préparation opérationnelle, notamment, en termes de disponibilité des équipements. L'équilibre entre les investissements et l'activité (carburant, munitions, etc.) permettant de transformer ces équipements en véritables capacités opérationnelles, constitue une nécessité importante pour l'armée de Terre.

Il ne suffit pas d'acquérir des équipements, encore faut-il permettre un bon niveau d'entraînement de nos hommes. La fin de la LPM prévoit un effort conséquent pour la préparation opérationnelle et la disponibilité des équipements mais, dès aujourd'hui, nous avons besoin que les hommes puissent s'entraîner sur les matériels puisque l'ambition de l'armée de Terre n'est pas d'être prête à s'engager en haute intensité en 2030 mais, si nécessaire, demain matin, quelles que soient les conditions.

J'en viens ainsi à l'hypothèse d'un engagement majeur. Le terme de « haute intensité » a frappé les esprits. Le durcissement est un élément essentiel de l'ambition de l'armée de Terre de manière à ce qu'elle puisse s'engager jusqu'à ladite haute intensité, laquelle demande un effort particulier en termes de forces morales, de procédures et de capacités. Cette formule ne doit pas occulter l'ensemble du spectre d'engagement car l'armée de Terre doit pouvoir s'engager dans toutes les circonstances et toutes les hypothèses, de la compétition jusqu'à l'affrontement.

L'hybridité n'est pas la menace la plus probable : elle est certaine. Sous nos yeux, des États sont tentés d'intervenir, y compris dans les processus électoraux de nos pays, de mener des attaques cyber ou des politiques de fait accompli plus ou moins affirmées. C'est une réalité de l'état du monde, y compris en Afrique, à travers l'intervention de sociétés militaires privées soutenues par des États. Face à cette réalité, l'armée de Terre doit proposer des solutions pour l'ensemble du spectre des engagements, y compris sur le territoire national.

Cet engagement majeur éventuel ne peut se concevoir comme en 1991, lors la guerre du Golfe, où l'on pouvait envoyer un détachement d'intervention au loin tandis que nous vivions en paix sur le territoire national. Un adversaire poussant à l'affrontement mènerait immanquablement différentes formes d'attaques chez nous. Face à un tel engagement, la protection du territoire national serait indispensable. Il importe donc de poursuivre les études concernant la défense opérationnelle du territoire parallèlement aux scénarios qui sont déjà connus, comme ceux d'une crue centennale à Paris ou d'une crise épidémique – la crise du COVID a d'ailleurs montré comment les armées peuvent contribuer à la résilience de la Nation.

Le format de nos armées en 2030 ne soulève pas de question particulière. Deux lois de programmation militaire se sont succédées. La première, dite d « réparation » et de « modernisation », permettra de disposer approximativement, en 2025, des mêmes capacités d'intervention qu'en 2019 avec des équipements et des capacités entièrement modernisés et renouvelés. La seconde vise à répondre à un engagement de haute intensité grâce aux capacités complémentaires par rapport à celles dont nous disposerons en 2025 et, en termes de munitions, au liant que j'ai évoqué.

Il n'y a pas de plan caché. L'actualisation en 2021 de la perspective tracée par l'évaluation du contexte stratégique élaborée en 2017, le rapport annexé de la loi de programmation militaire et les perspectives qu'elle trace pour une LPM suivante exposent l'ensemble des éléments et du plan idéal prévu. On ne découvrira pas demain tel ou tel pan oublié, ce qui n'empêchera pas de revisiter les modalités ou certains équilibres.

En 2017, même si nous étions conscients des enjeux cyber et de la politique d'influence, les guerres du Donbass et du Haut-Karabagh, la multiplication de l'usage des drones ont montré que des ajustements seront nécessaires.

Au chapitre des adaptations, l'ensemble des armées accuse une faiblesse en matière de défense sol-air, depuis les drones commerciaux jusqu'à la maîtrise aérienne la plus élevée. Un problème se pose également avec les feux dans la profondeur. Lors de la guerre du Donbass et en observant les tactiques développées par d'autres pays, dont les États-Unis – je songe au retour d'expérience de l'exercice Warfighter 2021 – nous avons mesuré combien le feu dans la profondeur est décisif dans les conflits de haute intensité.

La loi de programmation militaire a conforté l'effort cyber en décidant d'un recrutement accru dans la cyberdéfense. Son volet « armée de Terre » nous convient, même s'il faudra examiner son application et obtenir de nouvelles capacités sur un segment aussi nouveau et évolutif. C'est pourquoi nous développons des moyens de recrutement et de fidélisation dans ces spécialités, notamment avec la création du BTS cyberdéfense à Saint-Cyr-l'École.

Une armée de Terre durcie, la lutte contre les faits accomplis, des déploiements moins longs et une capacité de réaction accrue : ce sont les véritables enjeux. L'armée de Terre est capable de faire preuve de volonté dans la durée, de tenir le terrain, d'être présente sur place et conteste l'illusion de pouvoir agir seulement à distance. Inversement, elle sait aussi combien il est difficile de retirer les forces déployées. L'enjeu est de gagner en réactivité, d'être capable de proposer aux forces en opération des ajustements de volume, de qualité, de quantité, de modalité d'action, afin qu'elles s'adaptent plus rapidement. Ce n'est pas aussi facile que pour un avion ou un bateau : nous devons préparer les hommes ! Cela passe par la formation individuelle et collective mais, surtout, par la préparation coordonnée des unités avant leur déploiement.

Le cycle de l'armée de Terre, et sa capacité d'adaptation doivent être améliorés. C'est ce que nous faisons au Sahel. La réorganisation de nos forces, en effet, ne se limite pas à une question de volume mais passe aussi par la modification du type de nos unités. Au lieu d'unités combattantes, nous aurons des unités d'accompagnement au combat des forces partenaires, unités plus encadrées et regroupant des spécialités diverses. Il ne s'agit plus d'envoyer en mission l'unité d'un régiment mais d'opérer une combinaison préalable tout en veillant à ne pas déstructurer durablement nos régiments ni à se constituer une armée de cadres, qui serait inopérante en cas de besoin d'action de masse.

Nous poursuivons la verticalisation des contrats de maintien en condition opérationnel (MCO) pour les hélicoptères. En 2022, nous conclurons des marchés pluriannuels. Cela se traduira, pour les industriels, par une meilleure anticipation, une meilleure visibilité de leurs plans de charge et donc un meilleur équilibre physico-financier permettant d'obtenir le juste prix ; de notre côté, la visibilité des crédits consacrés au MCO sera plus grande. Il en va de même pour les grands marchés que nous passons pour le MCO terrestre. Nous restons toutefois attentifs à la hausse de son coût. L'entretien des équipements modernes, probablement plus coûteux, ne doit pas être l'occasion d'augmentations inconsidérées. Je le répète, nous avons besoin d'assurer un équilibre entre les investissements, la possession des équipements et leur coût de préparation opérationnelle, d'emploi et de déploiement.

Nous surveillons la diminution des crédits consacrés au soutien des bases de défense. Elle s'explique à ce jour par un effet positif concernant le coût des facteurs. Le soutien doit rester à un niveau correct afin que la vie quotidienne, la gestion « à hauteur d'homme » soient cohérentes avec nos ambitions de remontée en puissance et d'armée de premier rang.

Enfin, s'agissant du MGCS, les crédits de ce programme proviennent cette année du P144 au titre des études amont. Nous sommes suspendus à la formation du gouvernement allemand mais, à mes yeux de chef d'état-major de l'armée de Terre, dès que la situation politique sera stabilisée dans ce pays, nous devrons absolument relancer notre coopération. Nous avons besoin du MGCS pour succéder au Leclerc. Nous ne sommes pas en retard mais nous devons progresser.

Dans l'armée de Terre, nous avons toujours eu des difficultés pour acheter les équipements. Ceux qui sont attribués sont-ils vraiment les bons ? Ne pourrait-on pas acheter des bâches ou des réchauds plus performants ? Il n'en reste pas moins, objectivement, que les équipements fournis à nos soldats – habillements, paquetages – sont d'excellente qualité. Un soldat ou un réserviste revient de sa première convocation avec six sacs !

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