Intervention de Amiral Pierre Vandier

Réunion du mercredi 13 octobre 2021 à 9h10
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Pierre Vandier, chef d'état-major de la Marine :

Je le répète, les moyens de la Marine ont été définis par le Livre blanc de 2013. Les POM seront renouvelés en 2025. Il y en aura deux à la Réunion, deux en Nouvelle-Calédonie et deux en Polynésie. Nous disposons également, outre-mer, de deux BSAOM ; l'un est établi à Papeete, l'autre à Nouméa. La passerelle du BSAOM positionné en Nouvelle-Calédonie, le D'Entrecasteaux, a d'ailleurs été victime d'un incendie, le lendemain du 14 juillet. Le feu, d'origine électrique, s'est propagé alors que le navire était à quai. Les dommages causés nécessiteront quatre à cinq mois de réparations.

Ce dont nous devons nous préoccuper, c'est le devenir des frégates de surveillance (FS), conçues dans les années 1990. Construites aux normes civiles pour en réduire le coût et équipées d'un système d'armement léger, ces frégates étaient parfaitement adaptées à la situation internationale post-guerre froide. Aujourd'hui, leur principal système d'arme est leur pavillon, c'est-à-dire le droit du navire d'État, reconnu par la convention de Montego Bay. Ces frégates ont fait leur temps : Leurs tourelles de 100 millimètres ont été conçues dans les années 60 et les hélicoptères Alouette III dont elles sont pourvues étaient déjà en service au temps du général de Gaulle. Ils seront bientôt remplacés par des Dauphin. En résumé, ces frégates ne disposent ni de sonars, ni de défense aérienne, ni de moyens d'écoute. Dès lors, quand les renouveler, et à quelle hauteur ? Voilà la question qu'il faudra se poser ces prochaines années, d'autant que le réarmement naval dans les zones où elles naviguent est sans précédent au cours de la dernière décennie.

Le programme European Patrol Corvette (EPC), un programme européen associant les Italiens, les Espagnols et les Grecs a récemment été lancé. Remplacer nos FS par ce type de bateaux rendrait notre présence militaire outre-mer plus crédible, notamment en indo-pacifique.

J'en viens à la question de la maintenance de nos navires en indo-pacifique. Une étude a été menée au sein du ministère pour déterminer les localisations appropriées. Concrètement, il s'agit de trouver des bassins de radoub pour y caréner les navires subissant des problèmes techniques. Ces facilités de maintenance supposent un tissu industriel local qui soit en mesure de réparer nos navires, au moins pour ce qui concerne la coque, les machines et les installations électriques. Elles posent aussi la question de la capacité à ravitailler le navire en munitions et d'opérer des rotations de personnels. L'étude qui a été menée avait conduit à se tourner vers l'Australie, choix tout à fait cohérent compte tenu du FSP et des paramètres géographiques. Cette option sera-t-elle maintenue après l'AUKUS ?

D'autres pays comme Singapour possèdent aussi des facilités industrielles. Plusieurs de nos navires comme le PA y ont déjà fait escale. Un partenariat stratégique nous lie avec ce pays depuis 2012, notre coopération opérationnelle est d'excellent niveau et les liens qui unissent nos deux marines sont solides et de confiance.

Vous m'avez interrogé sur la gestion du corps des officiers. Aujourd'hui, 153 officiers sont inscrits chez Défense mobilité. La moyenne des départs est stable depuis trois ans. Nous assistons, dans les faits, à un changement de trajectoire général, lié à la stabilisation et à la reprise de croissance des effectifs, depuis que nous avons mis fin à la déflation en 2016. Cependant, les effets d'inertie de la déflation, qui ont persisté en dépit de la stabilisation, nous ont conduits à partir de plus bas. En conséquence, nous disposons de moins de marins qu'autorisé. Nous devons donc prêter davantage attention aux départs non sollicités, en particulier dans le grade de capitaine de corvette, correspondant aux emplois de conception, de direction ou d'expertise. Nous, marins, avons tous vocation à partir. Mais l'objectif, pour la Marine, est de se séparer de ses officiers seulement lorsqu'il est utile qu'ils partent, dès lors qu'ils n'ont plus de perspectives d'emploi dans nos rangs, par exemple.

Pour les inciter à rester, nous avons plusieurs éléments à leur proposer, à commencer par la formation. Je travaille beaucoup au renforcement de la formation continue en dehors des écoles : par exemple, le Massachusets Institute of Technology (MIT) dispense des cours en ligne permettant d'acquérir des crédits ECTS. L'idée est que nos marins développent de nouvelles compétences utiles. Je peux aussi citer des cas d'usage, par exemple, dans le cyber, pour un membre de l'équipe cyber du Charles de Gaulle : chaque formation élargit l'employabilité du marin, fait valoir ses talents et l'aide à s'épanouir davantage dans la Marine. Notre but est bien de garder nos officiers suffisamment longtemps pour qu'ils soient utiles à la Marine.

Concernant le dialogue de gestion, la Marine s'adapte pour mieux prendre en compte les aspirations personnelles et familiales des officiers, en particulier des officiers féminins, tout en leur aménageant des parcours professionnels stimulants et dynamiques. Le rythme des entretiens de carrière, enjeu majeur dans l'accompagnement des officiers, a été ajusté en fonction des grands jalons des cursus de carrière. Ainsi l'objectif est d'accroître, de renouveler les perspectives d'emploi, en fidélisant et en allongeant la durée moyenne de service des officiers.

La limite d'âge de 59 ans pour les officiers pose question. Nous devrons, un jour, la reconsidérer. C'est essentiel, surtout pour les femmes. Si nous voulons atteindre des niveaux de mixité élevés dans les postes terminaux, nous devons éviter l' opt-out. Aujourd'hui, l'âge moyen de la maternité est de 32 ans. C'est aussi l'âge qui correspond à la période charnière, du point de vue opérationnel, dans la carrière des officiers. Il est souvent difficile pour les femmes que nous employons de réintégrer la marine à l'issue de leur congé maternité, car les choses évoluent très vite. La carrière d'un officier de marine de 30 à 40 ans ressemble véritablement à un marathon ; il est indispensable d'accompagner leur retour, au risque de les voir quitter la course.

Nous devons enfin prêter la plus grande attention à la directive européenne sur le temps de travail (DETT), qui fait peser une véritable épée de Damoclès RH au-dessus de notre Marine.

Une question m'a été posée au sujet de la Station spatiale internationale. Le navire Monge est chargé de suivre les essais de missiles balistiques. Il est, à cette fin, équipé de lasers de haute puissance servant aux mesures télémétriques, de téléradars extrêmement performants, qui aident à suivre des objets dans l'espace, et de théodolites, lesquels permettent de filmer l'entrée d'objets dans l'atmosphère, lors de simulations de tir de M51. Le commandant du Monge m'a communiqué sa vidéo de la Station spatiale internationale, que nous avons ensuite relayée sur Twitter, en lançant un « défi » à Thomas Pesquet.

Quel signal a-t-on voulu donner ? L'évolution de la conflictualité en mer nous oblige à considérer l'intégralité du spectre. Pour combattre en mer, nous devons être capables de maîtriser les fonds marins, les espaces sous-marins, la surface des mers, l'espace aéromaritime, l'espace exo-atmosphérique et l'espace numérique. Nos navires doivent tenir compte de ces différents espaces lorsqu'ils exécutent leurs manœuvres. Par exemple, dans la nuit de dimanche à lundi, j'ai assisté à l'exercice Cormoran 21 à bord du PHA Tonnerre, au cours duquel des raids de dix hélicoptères de l'armée de terre ont été réalisés, de nuit, dans la région de Béziers. Les heures des raids ont ainsi été calculées en fonction des fauchées des satellites français : le défi était d'opérer des raids indétectables pour nos propres satellites.

Le but est de pouvoir continuer à nous battre dans notre milieu en contrant les technologies déployées depuis l'espace. La vidéo de la Station spatiale internationale était donc destinée à montrer que la marine s'intéresse de très près aux affaires spatiales. J'ai récemment discuté du développement d'interfaces plus puissantes avec le nouveau chef d'état-major de l'armée de l'air et de l'espace.

La marine a lancé une stratégie spécifiquement dédiée aux fonds sous-marins, que j'ai présentée en octobre 2020 au général Lecointre, le précédent chef d'état-major des armées. Plusieurs axes d'action sont définis en la matière, notamment dans les domaines de l'exploitation des fonds sous-marins et du renseignement. La Marine s'organise donc pour répondre à ces menaces.

Le développement de missiles hypersoniques illustre la montée en gamme que j'évoquais précédemment. Jusqu'à présent, nos systèmes d'armes étaient conçus pour détruire des missiles subsoniques. Aujourd'hui, nous travaillons à la transformation de nos navires, de sorte qu'ils soient capables d'intercepter les missiles hypersoniques en augmentant la vitesse de réaction de nos systèmes de combat. Nous mettons ainsi en œuvre des programmes d'amélioration de nos navires par la veille coopérative navale. En quoi consiste cette dernière ? Concrètement, une force navale coopère en transmettant les cibles élaborées par chaque bateau. L'élaboration des cibles nécessite environ quatre à cinq secondes, ce qui induit un décalage temporel des données partagées. Et cinq secondes de décalage, alors qu'il s'agit d'appréhender des missiles filant à Mach 7, c'est beaucoup. Les radars doivent donc être capables de coopérer entre eux, indépendamment des systèmes d'armes, de façon à identifier les cibles beaucoup plus rapidement. Cette technique de guerre coopérative implique d'utiliser le segment spatial, en exploitant les données des satellites de basse orbite, dont le temps de latence est très inférieur à celui des satellites géostationnaires. Nous voilà déjà engagés dans l'utilisation de l'espace à des fins de guerre navale.

Qu'en est-il de l'avenir de la PATMAR ? Les Allemands ont fait l'acquisition d'avions américains P-8, préférant une solution intérimaire américaine. Reste-t-il de la place pour la coopération franco-allemande dans ce domaine ? Ce que je peux vous dire c'est que la durée de vie de la turbine Tyne de l'Atlantique 2 est bornée. Nous ne disposons donc que de sept ans pour nous décider à lancer un programme de renouvellement de notre PATMAR, qui concourt à la sureté de la Force Océanique Stratégique (FOST). Si les Allemands tergiversent, nous devrons le lancer seuls.

Reste la question de l'Europe. La ministre des armées a beaucoup œuvré pour embarquer les marines de pays européens dans des opérations maritimes. La mission Agénor est un très bon exemple de ce qui fonctionne en Europe. La présidence française du Conseil de l'Union européenne sera l'occasion de remettre ces sujets sur la table. Cette dynamique doit perdurer. C'est la conscience d'un destin partagé qui est vitale pour les Européens. Comme je le disais dans mon propos liminaire, dans un monde où le nombre et la puissance de tyrannosaures navals augmentent très significativement sur la période 2008 – 2030, l'Europe et les pays européens doivent impérativement veiller à ne pas se retrouver en bout de chaîne alimentaire.

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