C'est un très grand honneur pour moi de venir m'exprimer devant votre commission. C'est la première fois que je me présente à vous dans ce format, avec la lourde responsabilité de représenter Mme Alice Guitton, directrice générale.
Conformément à la tradition instaurée par la directrice générale, je vous propose de commencer mon propos en brossant à grands traits ce qu'est la DGRIS, qui a désormais atteint une certaine maturité institutionnelle et s'efforce, plus que jamais, de fournir des clés de compréhension d'un contexte stratégique international qui n'a jamais paru plus incertain. C'est cet environnement stratégique que je m'emploierai à décrypter et à analyser dans un deuxième temps, avant de terminer par une présentation du programme 144. J'espère ainsi vous livrer les sous-jacents et rendre l'exercice d'autant plus intéressant que les choix budgétaires ne sauraient être compris sans être replacés dans leur contexte.
Créée en 2015 et placée sous l'autorité directe de la ministre des armées, la DGRIS assume deux grandes missions. Le premier volet, dédié aux relations internationales, consiste au pilotage de l'action internationale du ministère des Armées. Le second, consacré à la stratégie, recouvre la coordination des travaux nécessaires à la préparation des documents d'orientation de notre stratégie de défense, le pilotage ministériel de la réflexion stratégique et prospective, et, enfin le pilotage ministériel de la maîtrise des armements, de la lutte contre la prolifération et le contrôle des transferts sensibles.
Ce que d'aucuns pourront qualifier de diplomatie de défense doit s'entendre comme un tout articulé de façon indissociable : les relations internationales sont au service de notre stratégie autant qu'elles la façonnent, et la stratégie guide et oriente nos relations internationales autant qu'elle s'en nourrit.
La DGRIS mobilise dans une même structure l'expertise technique et l'expertise régionale. Elle s'appuie sur une équipe civilo-militaire à parité pour ses 218 agents parisiens. À l'étranger, elle assure la tutelle du réseau des 88 missions de défense et représentations militaires de défense, soit plus de 335 agents. Ceux-ci constituent des relais autant que des capteurs. Ils agissent auprès de 165 pays, dont 77 sont suivis depuis un autre pays, en non résidence, mais aussi auprès d'organisations internationales telles que l'Union européenne, l'OTAN et l'ONU. C'est un réel atout français. Il s'agit du troisième réseau de défense au monde, derrière les États-Unis et la Chine, comparable à celui du Royaume-Uni, et ce, malgré la déflation de 5 % liée à la réforme des réseaux de l'État à l'étranger en 2019.
Nos missions de défense animent la coopération de défense avec nos partenaires, en s'appuyant sur les moyens de l'État-major des armées (EMA) et de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Cela représente 118 plans de coopération en 2021.
À ce réseau, il faut ajouter les 258 officiers de liaison et les 64 officiers d'échange relevant de l'EMA et des armées, présents dans sept pays.
Réciproquement, la DGRIS fait le lien avec les attachés de défense en France dont elle est le point de contact.
Au-delà du ministère, la DGRIS mobilise et soutient les acteurs de la recherche stratégique afin de garantir la pérennité d'une expertise nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. Elle assure la tutelle de l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM), qui développe actuellement ses partenariats internationaux ainsi qu'un réseau européen d'instituts de recherche similaires. La DGRIS commande également des études prospectives et stratégiques à des instituts de recherche. Enfin, elle soutient jusqu'à quarante chercheurs par an dans le cadre du Pacte enseignement supérieur (PES).
Cette diplomatie de défense passe par des échanges continus avec nos partenaires européens et internationaux à propos de sujets stratégiques d'intérêt commun. La maturité institutionnelle que j'évoquais trouve notamment à s'illustrer dans notre rythme de croisière que la crise sanitaire n'a nullement ralenti contrairement à ce que l'on pourrait imaginer. Elle l'a même accéléré du fait de l'émergence d'une diplomatie de la visioconférence. Ce sont ainsi quelque cinquante dialogues stratégiques qui ont été menés en un an, soit près d'un par semaine.
J'appelle également votre attention sur la préparation de rencontres menées conjointement avec le Quai d'Orsay – par exemple la semaine prochaine avec nos interlocuteurs japonais à Tokyo. La bonne cohésion entre le Quai d'Orsay et le ministère des Armées est un atout dont ne bénéficient pas nécessairement nos partenaires.
Nous organisons également des séminaires dits Track 1.5, qui réunissent notamment des parlementaires français et étrangers – je pense au séminaire franco-balte qui s'est tenu au début de l'été et au Track 1.5 Finlande de début octobre. Permettez-moi de saisir cette occasion pour vous remercier de votre participation à ces événements qui œuvrent à une meilleure compréhension mutuelle à tous les niveaux. Il est nécessaire, pour faire face aux turbulences de l'environnement dans lequel nous évoluons, de resserrer tous les liens qui nous unissent. Les liens parlementaires sont, à cet égard, absolument indispensables.
Vous l'aurez compris, la DGRIS est un outil résolument tourné vers l'action. Nous ne pouvons pas faire moins dans un contexte sécuritaire plus incertain que jamais.
Si la Revue stratégique de 2017 mettait en lumière un environnement stratégique instable et incertain, l'actualisation effectuée en 2021 relevait, pour sa part, l'accélération des tendances qui le rendent plus volatil et plus dangereux encore.
De fait, s'il fallait qualifier l'année qui vient de s'écouler, je dirais qu'elle illustre singulièrement le dérèglement du monde et l'époque de profondes ruptures dont le Président de la République faisait état devant les stagiaires de la vingt-septième promotion de l'École de guerre le 7 février 2020. Force est de constater que les repères traditionnels à partir desquels s'organisent les lignes de force structurant les relations internationales et sur lesquels était fondée notre vision du monde ont, cette année, particulièrement volé en éclats – et parfois, très douloureusement.
Songeons à la persistance de la pandémie de covid-19, dont nous n'envisagions pas qu'une troisième puis une quatrième vague continuerait de désorganiser nos sociétés ainsi que nos modes de vie, et d'affecter profondément nos économies.
Le Haut-Karabakh a été le théâtre d'un conflit de haute intensité entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan en 2020. Après l'accord de cessez-le-feu conclu le 9 novembre 2020, la France reste vigilante et continue de se mobiliser pleinement pour favoriser la désescalade des tensions et l'établissement d'une paix durable dans le Caucase du Sud, en particulier dans le cadre du groupe de Minsk. Les tensions aux frontières azerbaïdjanaises et iraniennes nous appellent, à ce titre, à la plus grande attention.
Au Sahel, les facteurs d'instabilité tant politiques que sociaux, économiques, géopolitiques et sécuritaires ne cessent de s'accumuler. Cela justifie pleinement l'engagement de la France et celui de la communauté internationale, européenne en particulier. Nous y connaissons des succès significatifs, comme la neutralisation par la force Barkhane d'Abou Walid Al Sahraoui, émir de l'État islamique au Grand Sahara, le 16 septembre dernier.
Le 20 avril 2021, la mort du président Déby au Tchad a fait courir le risque d'une déstabilisation d'un partenaire stratégique dans la région.
Au Mali, le coup d'État du 24 mai 2021 après celui du 21 avril 2020 a, là encore, affecté un partenaire majeur de la France, aux côtés duquel elle est engagée, à sa demande, depuis 2013 pour lutter contre le terrorisme. Contrairement aux propos inacceptables et emplis de contre-vérités du premier ministre Choguel Maïga à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies le 25 septembre dernier, il n'y a aucun abandon du Mali et aucun départ de la France. Elle y reste pleinement engagée, avec ses partenaires européens, au sein de la Task Force Takuba. Je souligne deux sujets de préoccupation. D'une part, le processus de transition doit être achevé conformément aux engagements pris par la junte auprès de la communauté internationale. D'autre part, le Mali risque de s'isoler et de perdre le soutien de la communauté internationale s'il engage effectivement un partenariat avec des mercenaires.
Le 29 juillet dernier, au large des côtes d'Oman, l'attaque contre un navire marchand – le Mercer Street – a coûté la vie à un ressortissant roumain et un ressortissant britannique. Les représentants du G7 et le haut représentant de l'Union européenne ont condamné cette violation manifeste du droit international et indiqué que tous les éléments de preuve disponibles désignaient l'Iran. De tels actes sont contraires au droit international et menacent non seulement la liberté de navigation mais aussi la paix internationale. À cet égard, on ne peut que déplorer les difficiles négociations autour du JCPoA et le franchissement par l'Iran, cette année, de seuils successifs de plus en plus significatifs.
La reprise des essais par la Corée du Nord constitue un nouvel exemple des enjeux de contre-prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. L'actualité récente parle d'elle-même. Entre le 12 et le 28 septembre, Pyongyang a testé pas moins de quatre technologies : tir d'un missile de croisière sol-sol, tir d'un missile balistique de courte portée sur rail, tir d'un missile de défense antiaérienne et tir d'un missile balistique avec tête manœuvrable, annoncé comme étant hypersonique sans que l'on puisse le confirmer à ce stade.
En matière d'hypersonique, il serait faux de parler de prolifération massive. Néanmoins, je note les progrès à la fois de nos compétiteurs et de nos partenaires. Le 4 octobre dernier, la Russie a tiré depuis un sous-marin un missile de croisière hypersonique antinavire, le 3M22 Zircon. De leur côté, les Américains ont franchi un jalon majeur le 27 septembre dernier avec le vol d'un missile de croisière hypersonique équipé d'un super statoréacteur dans le cadre d'un programme de coopération avec l'Australie. La Chine n'est évidemment pas en reste, que ce soit dans le domaine des planeurs ou des missiles de croisière.
La chute de Kaboul et la prise de pouvoir par les talibans le 15 août dernier, après vingt années d'engagement continu de la communauté internationale, rebattent fortement les cartes. Au-delà de l'absence de concertation réelle des États-Unis avec leurs partenaires, nous devons évoluer et prendre en compte les conséquences de ce retrait brutal – qu'elles soient géopolitiques, liées au terrorisme ou humanitaires, sans bien sûr parler du sort peu enviable auquel se trouvent exposés, sous la férule de talibans dont je demande toujours à voir en quoi ils sont différents de leurs prédécesseurs des années 1990, nombre d'Afghans et, surtout, d'Afghanes.
Enfin, nous avons encore tous à l'esprit l'annonce de l'émergence du partenariat AUKUS, véritable coup de poignard dans le dos reçu des Australiens – qui pose aussi la question de nos relations avec les États-Unis et le Royaume-Uni, sur laquelle je reviendrai plus tard. La blessure est d'autant plus vive que nous tissions un partenariat stratégique que nous imaginions emblématique de notre stratégie dans la zone indo-pacifique, d'autant plus qu'il renforçait notre posture dans la région. Cette posture, si elle ne veut pas être otage d'une opposition sino-américaine de plus en plus tendue, ce que le partenariat AUKUS encourage, n'en est pas moins réaliste à l'égard d'une Chine de plus en plus agressive.
Ce ne sont là que quelques exemples significatifs dont la liste est malheureusement trop longue, et qui, tous, illustrent la triple rupture stratégique, politique et juridique, technologique à laquelle le Président de la République faisait référence devant les stagiaires de l'École de guerre en février 2020.
Au-delà de ces exemples, plusieurs tendances de fond ont été identifiées dans l'actualisation stratégique 2021. Elles contribuent à l'accélération de la dégradation du contexte stratégique en remettant en cause les équilibres existants, l'architecture internationale de sécurité et le multilatéralisme.
Tandis que les crises se multiplient, amplifiées par des facteurs structurels comme conjoncturels – changement climatique, pandémie, pression démographique, migrations –, les menaces contre les intérêts français perdurent.
Les groupes armés terroristes, bien qu'affaiblis par la perte de nombreux cadres, poursuivent leur stratégie d'enracinement local et de dissémination globale.
Qu'il s'agisse de la Russie ou de la Chine, le retour de la compétition stratégique et militaire est désormais pleinement assumé. Le renouveau de la puissance russe, contrastant avec un déclin économique et démographique, s'appuie sur le renouvellement des composantes nucléaires, le développement de nouveaux types de systèmes d'armes, et sur la modernisation des forces conventionnelles. La Russie a, par exemple, érigé des capacités de déni d'accès tout au long de ses frontières voire au-delà. Elles sont censées paralyser la liberté d'action de ses adversaires et contraindre ceux-ci à l'escalade. Ainsi, la Russie s'est dotée d'un moyen d'appuyer, en fonction des circonstances, des visées tant défensives que coercitives. Moscou peut désormais projeter des forces de manière plus agile, déployer une stratégie d'intimidation dans tout son voisinage et, au-delà, dégrader la liberté d'action des puissances occidentales. Elle a su se rendre incontournable dans la gestion des crises régionales et se positionner comme médiateur, alternativement en rupture ou en phase avec nos intérêts.
La Chine est devenue, pour la France et l'Union européenne, à la fois un rival systémique, un compétiteur économique et un partenaire diplomatique sur certains plans. En assumant désormais ouvertement sa rivalité stratégique avec Washington, Pékin déploie une diplomatie active, parfois agressive – et de plus en plus souvent –, avec une portée et une ambition globales. Principal vecteur de ses aspirations, le projet belt and road initiative est destiné à réduire les vulnérabilités chinoises essentiellement identifiées le long des routes commerciales et dans les détroits maritimes. Il se traduit par une augmentation des investissements et des prises de contrôle dans le domaine des infrastructures portuaires et digitales – réseaux de télécommunications, smart cities. Le projet doit permettre à Pékin d'acquérir une meilleure supervision, ainsi qu'une capacité d'action dans ses principales voies d'approvisionnement énergétique et commerciales. Toute sa sophistication réside dans l'entrelacs des opportunités économiques offertes et des modifications stratégiques réalisables. L'un des piliers du projet est la composante militaire. La Chine a doublé son budget de défense depuis 2012, développé une très large gamme de nouveaux systèmes de haute technologie et refondé son modèle d'armée autour de nouvelles capacités expéditionnaires dans une perspective assumée de défense de ses intérêts partout dans le monde. L'extension de l'influence internationale chinoise modifie profondément l'équilibre des ensembles régionaux dans la zone indo-pacifique et au-delà, comme en Afrique. Ainsi, pour la France, la régularité des interactions avec les forces chinoises en mer de Chine et dans l'océan Indien ainsi que la cohabitation de nos forces à Djibouti modifient profondément notre environnement stratégique. Non seulement nos intérêts fondamentaux divergent dans ces zones, mais la montée des tensions entre la Chine et les États-Unis peut désormais avoir des répercussions sur nos intérêts, nos zones de présence et nos territoires outre-mer.
En outre, l'enhardissement des puissances régionales est particulièrement notable au Moyen-Orient et en Méditerranée. C'est principalement le cas de l'Iran et de la Turquie. Aspirant à s'affirmer comme puissances régionales, ces dernières sont tentées de saisir des opportunités stratégiques pour conforter leur statut ou avancer leurs intérêts, et ce, au prix d'un aventurisme grandissant. Ces pays contribuent à la contestation d'un ordre mondial, au même titre que la Russie et la Chine, voire de concert avec elles. En effet, si ces puissances sont souvent concurrentes, elles ont montré qu'elles pouvaient dépasser leurs différends afin d'évincer les Occidentaux.
L'Iran cherche à entretenir son statut de puissance régionale à la faveur de son engagement dans les conflits syrien et irakien : dans le premier cas, afin de conserver son corridor stratégique vers le Liban ; dans le second, en sanctuarisant l'Irak comme sa marche stratégique et en s'évertuant à y provoquer un retrait américain. L'Iran entend d'ailleurs renforcer son ascendant : en liant entre eux les théâtres de crise, en soutenant la rébellion houthie et en capitalisant sur les frustrations des communautés chiites de la péninsule arabique ou encore sur celles des Palestiniens, Téhéran s'évertue à influencer ou à contraindre ses voisins du Golfe.
La Turquie, pour sa part, occupe une position clé pour la posture de défense et de sécurité de l'Alliance atlantique sur le flanc sud. En dépit de ses difficultés, le président Erdoğan veut rendre la Turquie incontournable en Asie centrale, au Moyen-Orient mais aussi en Europe. Ankara a ainsi développé une politique extérieure offensive et n'hésite pas à s'imposer en dominant le rapport de force en Méditerranée, en Libye et dans le Caucase. La Turquie use de tous les leviers à sa disposition, parfois au mépris de son appartenance à l'OTAN ou du droit international.
La globalisation de la compétition s'applique à tous les champs de confrontation, notamment là où règne l'ambiguïté ou l'anonymat. Le cyber et l'espace constituent désormais des champs assumés de rivalité stratégique permanente, voire de conflictualité. Certains compétiteurs, qu'ils soient étatiques ou non, ont développé des stratégies hybrides combinant des modes d'action militaires ou non militaires, directs ou indirects, légaux ou illégaux. L'ambiguïté avec laquelle ils agissent et les stratégies régulières qu'ils suivent leur permettent de situer leurs actions de contestation au-dessous du seuil de l'affrontement armé. Par ailleurs, l'emploi de groupes paramilitaires, mercenariat déguisé derrière un statut de sociétés militaires privées, offre de puissants leviers dans nombre de théâtres.
La nouvelle hiérarchie des puissances se traduit par une compétition stratégique désinhibée, faite d'intimidation et de coercition. Elle présente des risques sérieux d'escalade non maîtrisée.
En parallèle, la fragilisation de l'architecture de sécurité internationale se poursuit. En Europe, on assiste au délitement des cadres de régulation existants – suspension par la Russie, en 2007, de sa participation au traité sur les forces conventionnelles en Europe, violation du mémorandum de Budapest, remise en cause des principes de l'Acte final d'Helsinki, retraits russe et américain du traité « ciel ouvert » en 2020, blocage de toute refonte du Document de Vienne. Après la fin du traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (FNI) en août 2019 après sa violation par la Russie, le traité New Start reste le seul instrument bilatéral de maîtrise des armements nucléaires. Si l'accord américano-russe relatif à sa prolongation jusqu'en février 2026 doit être salué, l'incertitude demeure quant aux perspectives de maîtrise des armements nucléaires au-delà de cet horizon.
Enfin, la dynamique prohibitionniste, marquée par l'entrée en vigueur du traité d'interdiction des armes nucléaires (TIAN) en janvier 2021, participe de la remise en cause de l'ordre international et des équilibres inscrits dans les traités existants, en particulier du traité de non-prolifération (TNP), alors même que devrait se tenir en janvier 2022 sa dixième conférence d'examen.
Quelle peut-être la réponse à cette nouvelle donne géopolitique ? Celle-ci passe d'abord par une réflexion sur la relation transatlantique. Les États-Unis sont un grand partenaire et un allié historique de la France. Ils le resteront, bien évidemment. Pour autant, force est de constater que le pivot vers l'Asie est désormais une réalité. Le retrait d'Afghanistan comme le partenariat AUKUS attestent de la priorité exclusive donnée à la rivalité stratégique avec la Chine. Dans ce contexte, le Président de la République et le président Biden ont lancé des consultations approfondies qui devront permettre de réaffirmer les conditions garantissant la confiance, de construire un partenariat équilibré et respectueux des priorités stratégiques de chacun mais aussi de montrer de quelle manière la construction de l'Europe de la défense s'inscrit résolument dans un partenariat transatlantique rénové.
À l'OTAN, qui demeure le socle de notre défense collective, la France continuera de prendre toute sa part. C'est d'autant plus important que l'Alliance atlantique constitue pour nombre de nos partenaires la clé de voûte de leur stratégie et de leur politique de défense. La France poursuivra la promotion d'un pilier européen renforcé. Le développement dans les faits de la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne est d'autant plus important que se tiennent en parallèle les travaux de rédaction de la boussole stratégique de l'Union européenne et de révision du concept stratégique de l'OTAN.
Nous devons également repenser notre relation avec nos voisins britanniques, avec lesquels nous partageons beaucoup et nous avons beaucoup à faire en matière de défense, dans un contexte post-Brexit et désormais post-AUKUS. Le Royaume-Uni est un partenaire avec lequel nous avons une relation unique, encadrée par des traités d'une exceptionnelle dimension. Nous devons travailler conjointement pour savoir ce que nous attendons de cette relation bilatérale, et comment nous la voyons progresser à l'avenir.
Face à la réorientation des priorités américaines et dans un contexte stratégique mouvant, les Européens doivent, pour reprendre les termes du Président de la République, « sortir de leur naïveté ». Cela signifie, d'une part, au niveau national, poursuivre notre effort pour préserver un modèle d'armée complet et la trajectoire budgétaire ambitieuse fixée par la LPM 2019-2025 ; d'autre part, se mobiliser en tant qu'Européens. Nous devons continuer à renforcer l'Europe de la défense, en capitalisant sur les progrès sans précédent accomplis ces dernières années. La présidence française de l'Union européenne au premier semestre 2022 sera dédiée à cette ambition ainsi qu'à la démonstration de la capacité et la volonté de l'Union européenne d'agir de manière plus résolue. L'agenda français s'articulera autour de quatre grands objectifs : une Europe disposant des moyens nécessaires pour agir, une Europe résiliente face aux influences extérieures et aux crises, une Europe faisant preuve d'une ambition capacitaire renouvelée et une Europe jouant un rôle global.
Nous devons pleinement concrétiser toutes les opportunités offertes par les cadres ad hoc résolument flexibles et pragmatiques que nous avons mis en place avec succès. Je pense à nos initiatives les plus opérationnelles : la Task Force Takuba, qui rassemble aujourd'hui 9 partenaires et mène des missions de conseil, d'assistance et d'accompagnement au combat des forces armées maliennes ; la mission de surveillance maritime dans le golfe arabo-persique EMASoH / AGÉNOR ; le QUAD – quadripartite initiative – MEDOR qui assure une présence permanente en Méditerranée orientale, qui contribue, par sa portée dissuasive, à la préservation de nos intérêts dans la région et réaffirme l'attachement partagé avec nos partenaires grecs, chypriotes et italiens au respect du droit international et à la liberté de navigation. Je pense aussi à l'initiative européenne d'intervention (IEI), dont la dernière réunion ministérielle s'est tenue le 24 septembre, en Suède. Ferment de l'interopérabilité opérationnelle, elle permet aux États européens parmi les plus volontaires et capables de renforcer leur culture stratégique commune.
Les Européens doivent aussi s'assurer de peser sur la stabilité stratégique de leur continent, notamment en agissant pour préserver l'architecture de maîtrise des armements. D'ailleurs, dans cet esprit, la France a engagé des consultations stratégiques avec Moscou, de manière lucide et ferme. En complément, nous devons continuer de renforcer nos coopérations bilatérales. Le développement de nos dialogues stratégiques, incarnés par une pluralité de fora, est absolument essentiel à la convergence stratégique.
Ainsi, nous avons conclu avec la Grèce un partenariat stratégique le 28 septembre dernier. Cette relation privilégiée permettra à nos deux pays de contribuer davantage à la défense européenne, ainsi qu'à la sécurité euro-atlantique.
Avec l'Espagne, nous partageons de nombreux intérêts stratégiques – au Sahel, dans le golfe de Guinée, en Méditerranée – et une grande convergence de vues, qui nous permettra de promouvoir un agenda ambitieux pour l'Union européenne. Là encore, nous disposons d'un cadre de consultation stratégique à la hauteur de nos ambitions, avec le conseil franco-espagnol de défense et de sécurité dont la prochaine édition doit se tenir très prochainement.
Avec l'Italie, partenaire européen privilégié, la signature du traité du Quirinal prévu au deuxième semestre 2021 inscrira également notre coopération bilatérale dans une dynamique européenne renforcée.
Avec l'Allemagne, le conseil franco-allemand de défense et de sécurité ainsi que le traité d'Aix-la-Chapelle ont permis de redonner un souffle nouveau à notre coopération bilatérale, en particulier dans le domaine industriel. Le conseil des ministres franco-allemand de 2021 a notamment permis d'engager des actions et de faire progresser le programme SCAF – système de combat aérien du futur. Enfin, nous développons des projets structurants – outre le SCAF, le système principal de combat terrestre (MGCS) et d'autres encore – afin d'améliorer notre interopérabilité et de mieux agir ensemble.
Malgré le revers lié au partenariat AUKUS, notre industrie connaît de grands succès à l'export – je pense au Rafale et aux frégates de défense et d'intervention (FDI) – et cela contribue à crédibiliser notre action commune.
Au-delà de l'Europe, la France poursuit son action avec d'autres partenaires et interlocuteurs pour contribuer à la stabilité internationale, lutter contre le terrorisme, préserver le multilatéralisme et l'ordre international fondé sur le droit, ou encore défendre la liberté d'accès aux biens communs, aussi bien en Afrique qu'au Moyen-Orient, dans la zone indo-pacifique où la France poursuivra sa stratégie de coopération avec ses partenaires, conjointement aux efforts de l'Union européenne qui a publié une stratégie dédiée le 16 septembre dernier, ou encore en Amérique latine.
Pour en venir au programme 144, face à l'ensemble de ces ruptures, la LPM a fait du renseignement et de l'innovation deux priorités absolues. Les arbitrages budgétaires issus principalement de l'ajustement annuel de la programmation militaire pour 2021 confortent ces orientations. Dans le projet de loi de finances pour 2022 (PLF 2022), la dotation du programme 144 s'élève à 2 146,4 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE), et 1 778,4 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse de 6 % de ces derniers par rapport à la loi de finances pour 2021. Celle-ci permettra au ministère des armées de respecter l'engagement de porter à 1 milliard d'euros les crédits pour les études amont à partir de 2022, contre 700 millions d'euros en moyenne dans l'ancienne LPM, et de poursuivre la remontée en puissance capacitaire des services de renseignement comme en témoigne le lancement de plusieurs opérations d'infrastructures majeures.
Le programme 144, qui rassemble trois actions que sont le renseignement pour l'action 03, la prospective de défense pour l'action 07 et les relations internationales pour l'action 08, est placé sous la responsabilité, selon les cas, de la DGRIS, de la DGSE, de la DRSD, de la DGA et de l'EMA.
S'agissant de l'action 03, qui recouvre les besoins de la DGSE et de la DRSD, les crédits s'élèvent à 665,3 millions d'euros en AE et 409,5 millions d'euros en CP.
La DGSE, qui bénéficie de 641,2 millions d'euros en AE contre 374,1 en CP, poursuit, en 2022, la déclinaison de son plan stratégique. Ce plan a pour objectifs de renforcer son modèle intégré, de garantir la résilience de ses infrastructures, de répondre aux exigences de sécurité liées à sa mission et d'accroître ses capacités d'action. L'augmentation de son activité opérationnelle nécessite anticipation et réactivité afin de s'adapter aux menaces cyber et à l'accélération des cycles technologiques, en particulier dans les domaines numérique et spatial. Parallèlement, la DGSE maintient ses efforts en faveur des dispositifs techniques mutualisés au bénéfice de l'ensemble de la communauté du renseignement ainsi qu'en matière de cyberdéfense. Enfin, l'exercice 2022 est marqué par la poursuite des projets d'infrastructures : une base multiservices, le lancement du programme de rénovation des data centers et, surtout, la notification du marché principal du nouveau siège du service sur le site du Fort Neuf de Vincennes.
La DRSD, qui bénéficie de 24,1 millions d'euros en AE et de 35,4 millions d'euros en CP, connaît une évolution significative de ses crédits dans le PLF 2022, liée principalement au financement du nouveau bâtiment de la direction centrale, désormais inclus dans le périmètre budgétaire de la DRSD, avec effet dès la gestion 2021. Cette opération immobilière majeure permettra au service d'accueillir ses nouveaux agents et de disposer d'infrastructures optimisant et accélérant le flux du renseignement. La DRSD construit en 2022 sa remontée en puissance capacitaire, fondée sur trois axes stratégiques : garantir un renseignement performant, optimiser l'action dans le domaine de la protection et moderniser le service. Cela se traduit par le déploiement de sa base de données SIRSID et des investissements significatifs en équipements techniques ainsi qu'en capacités cyber. La DRSD poursuit aussi le développement de l'outil automatisant la réalisation d'empreintes numériques de surface.
L'action 07 correspond aux besoins de prospective de défense pour la DGRIS, l'EMA et la DGA. Les crédits connaissent une augmentation de 7 % en CP par rapport à 2021, pour s'élever à 1 327,7 millions d'euros en CP et 1 439,8 millions d'euros en AE. L'action 07 se décline en quatre sous-actions : les études prospectives et stratégiques, pilotées par la DGRIS, s'élèvent à 9,6 millions d'euros en AE et 8,7 millions d'euros en CP ; les études opérationnelles et technico-opérationnelles, pilotées par l'EMA au titre de la prospective des systèmes de force, dont les crédits sont portés à 22,6 millions d'euros en AE comme en CP ; pour les études amont, qui représentent le volume financier le plus important et sont sous la responsabilité de la DGA, les crédits sont de 1 113 millions d'euros en AE et 1 002 millions d'euros en CP, soit une hausse de plus de 101 millions d'euros. Celle-ci permet d'investir dans des technologies de rupture, de lancer des démonstrateurs innovants et de préparer de futurs systèmes d'armes. Les principaux engagements pour 2022 concernent la préparation du renouvellement des capacités de renseignement et des communications spatiales, les études du MGCS en coopération avec l'Allemagne, les technologies qui concourent au programme SCAF et aux évolutions du programme Rafale, ainsi que les planeurs hypersoniques. Les nouvelles thématiques d'innovation comprennent la lutte antidrones, l'hypervélocité, le quantique et l'énergie. Enfin, les efforts financiers relatifs au fonds innovation défense (FID) et au fonds d'investissement Definvest seront poursuivis. La dernière sous-action de l'action 7, comprenant la gestion des moyens et des subventions, est dotée de 294,6 millions d'euros en AE et en CP. Pilotée par la DGA, elle recouvre les subventions octroyées aux opérateurs participant à des études et des recherches en matière de défense, à l'instar de l'ONERA ou des écoles de la DGA dont l'École polytechnique.
L'action 08 est consacrée aux relations internationales et à la diplomatie de défense, dont la gestion relève de la DGRIS. Elle sera dotée en 2022 de 41,3 millions d'euros en AE et en CP. Ces crédits financent des actions de coopération et d'influence internationale, dont la contribution versée au gouvernement de la République de Djibouti au titre de l'implantation des forces françaises, la contribution française au budget de l'Agence européenne de défense, les actions de coopération bilatérale et multilatérale entreprises dans le cadre du partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive, ainsi que des dépenses liées au soutien de notre réseau diplomatique de défense.
Le principal fait marquant du PLF 2022 concerne la création d'un fonds de soutien et de modernisation des forces armées djiboutiennes. Ce nouveau dispositif s'inscrit dans une démarche dynamique de renforcement du partenariat franco-djiboutien.
Enfin, j'évoquerai les conséquences de la crise sanitaire pour le programme 144. En matière d'exécution budgétaire, nous prévoyons une consommation nominale sans risque particulier de sous-exécution en 2021. Nous n'identifions pas, à ce stade, de risque pour 2022, mais nous maintenons notre vigilance.