Intervention de le général Luc de Rancourt

Réunion du mercredi 13 octobre 2021 à 11h10
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général Luc de Rancourt, directeur général adjoint des relations internationales et de la stratégie :

Notre réseau international – missions de défense et personnels dans les organisations internationales – représente un peu plus de 1 400 personnes.

Il a connu de singulières évolutions dans les années passées, en particulier à la suite de la réforme des réseaux de l'État à l'étranger, mais également lors de la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN. En effet, il a subi une réduction de 34 % de sa masse salariale entre 2008 et 2019, puis de 5 % en vertu de la réforme actuelle. Cette évolution est compensée par le fait qu'un plus grand nombre de personnel français fait partie des structures de l'OTAN où il continue à agir, à porter la voix de la France et à défendre ses intérêts.

S'agissant des évolutions annuelles et des besoins d'ouvertures ou de fermetures éventuelles, le comité directeur des postes permanents à l'étranger, présidé par la directrice générale des relations internationales et de la stratégie et l'inspecteur général des armées, fait des propositions au cabinet de la ministre des armées, qui les entérine. Du fait de la réforme du réseau à l'étranger, ces propositions sont tenues de respecter l'objectif de réduction de 5 % de la masse salariale fixé par la ministre. Cela signifie que lorsque l'on ouvre un poste dans une mission de défense, on est généralement contraint d'en fermer un autre. La question se pose pour nos partenaires baltes, en particulier pour l'Estonie avec laquelle nous travaillons énormément. Elle est impliquée dans la Task Force Takuba et nous y sommes présents dans le cadre des missions de réassurance de l'OTAN, mais aucune mission de défense n'y est implantée. La chute de Kaboul cet été ayant remis en cause notre mission de défense en Afghanistan, nous devrions pouvoir dégager quelques ressources pour ouvrir un poste en Estonie. Nous devrons aussi tirer les conséquences du partenariat AUKUS, ce qui devrait également donner des marges de manœuvre. Ce sont des pistes de réflexion qui doivent être soumises au cabinet de la ministre pour être validées.

S'agissant des propos du général Lecointre, nous comptions précisément nous appuyer sur l'Australie pour mettre pleinement en œuvre notre stratégie indo-pacifique. Nos objectifs étaient de renforcer notre partenariat avec les Australiens et d'avoir accès de manière permanente à leurs bases ainsi qu'à leur soutien logistique. Tout n'était pas encore complètement figé, qu'il s'agisse du concept ou des réalisations futures. Le partenariat AUKUS remet entièrement en cause cette approche. Nous devons réfléchir à la manière avec laquelle nous étayerons notre stratégie indo-pacifique puisque malgré cette triste affaire, nos intérêts et la légitimité de la France dans la zone demeurent. Aussi continuerons-nous à développer les partenariats que nous avons déjà noués, en particulier avec l'Inde et le Japon. En outre, notre stratégie indo-pacifique offre à certains partenaires prisonniers de la rivalité sino-américaine et qui subissent des pressions chinoises fortes – Singapour, Malaisie, Indonésie – un modèle alternatif permettant d'échapper à la logique binaire. Du point de vue diplomatique, c'est un atout à manier.

S'agissant de l'ONERA, l'année dernière a été marquée par des difficultés liées à la crise du covid-19. Ses ressources ont diminué et nous avons été contraints de les abonder à hauteur de 3,5 millions d'euros, puisque les contrats n'étaient pas au rendez-vous. Le contrat d'objectifs et de performance (COP) ne prévoit pas de changement de modèle. L'ONERA est soumis à des contraintes particulièrement fortes dans le secteur aéronautique d'autant que la loi de programmation est ambitieuse. Nous n'envisageons pas de rehausser ses dotations, qui s'élèvent à 108,4 millions d'euros dans le PLF 2022. En revanche, pour répondre aux contrats à venir, la masse salariale devra être financée en mobilisant les ressources contractuelles de l'ONERA. Cet organisme est reconnu pour ses compétences et son niveau technologique. Il est apprécié et reconnu par les chercheurs. Un plan de réinvestissement est prévu dans le domaine de l'infrastructure, (installation des équipes à Palaiseau, souffleries…). L'ONERA ne me semble pas en danger face à la concurrence allemande. En tout état de cause, nous suivons de très près son activité, que nous soutenons lorsque des difficultés conjoncturelles le requièrent.

J'en viens à la Russie et à Wagner. Si le gouvernement malien s'engage effectivement dans la voie d'un partenariat avec Wagner, plusieurs problèmes se poseront, ne serait-ce que parce que certains de nos partenaires européens ont déjà annoncé leur intention de remettre en cause leur présence dans la Task Force Takuba si un tel partenariat devenait réalité. Que faire face à l'arrivée de Wagner sur le territoire malien ? Il ne faudrait pas que les Russes jouent sur du velours en suivant une logique du « tout ou rien » qui nous mettrait dos au mur. La stratégie que la France adoptera vis-à-vis de Wagner au Mali doit être pensée à l'aune de notre confrontation stratégique et de notre dialogue avec les Russes, mais aussi des positions de nos partenaires européens. Nous avons établi un dialogue étroit avec eux pour que les décisions soient claires et prises de manière concertée, contrairement à ce que nous avons connu en Afghanistan ou en Australie.

Par ailleurs, le recours à des sociétés militaires privées françaises, constituées d'anciens militaires, ne me semble pas une option souhaitable. D'une part, le recours à de telles sociétés relève des stratégies hybrides que nous critiquons chez nos compétiteurs. D'autre part, nous avons d'autres moyens de répondre à ces stratégies hybrides.

En ce qui concerne les signaux faibles et l'anticipation, pour ce qui concerne la DGRIS, nous y contribuons à travers les moyens qui nous sont dévolus dans l'action 08 (soutien de notre réseau diplomatique de défense), mais surtout dans l'action 7-1, qui a pour objet d'éclairer la ministre sur l'évolution du contexte stratégique en général et plus particulièrement dans sa dimension internationale. Celle-ci permet de soutenir un réseau de chercheurs et d'assurer le renouvellement d'un vivier pertinent. C'est l'un des grands enjeux de l'action que mène la DGRIS depuis un peu plus de cinq ans à travers le PES. Quelles que soient les sources qu'ils utilisent et grâce aux contacts qu'ils établissent avec leurs camarades européens ou venant d'autres parties du monde, nos chercheurs contribuent à façonner ou préciser notre appréciation des grands enjeux stratégiques auxquels nous pouvons être confrontés. Le PES facilite la perception d'un certain nombre de signaux faibles. À cet égard, l'action est plutôt bien dotée, et elle a d'ailleurs donné plusieurs résultats concrets. Je pense aux labels « centre d'excellence » que nous avons décernés aux universités Lyon III et Paris VIII, mais aussi au club Phoenix qui permet à nos jeunes chercheurs d'être mieux connus, de découvrir toutes les opportunités qu'offre le monde industriel et de brasser les cultures universitaires, institutionnelles et des think tanks. La consolidation du vivier pour lequel le ministère consent des efforts singuliers depuis 2015 est l'un des éléments clés pour nous aider à mieux capter les signaux faibles. Enfin, je ne voudrais pas oublier le réseau diplomatique de défense.

S'agissant de la zone indo-pacifique et des conséquences du partenariat AUKUS, je soulignerai en reprenant les propos de Jean-Yves Le Drian que nous avons reçu un véritable « coup de poignard dans le dos ». Face à une telle situation, la première réaction consiste à marquer clairement son mécontentement. C'est ce qui a été fait avec le rappel de notre ambassadeur. Il faut maintenant regarder la situation du point de vue à la fois politique, diplomatique et opérationnel. Du point de vue politique, la confiance a été rompue et son rétablissement prendra du temps – mais cela ne dépend pas de moi. Du point de vue opérationnel, nous avons, du fait de la présence de nos forces en Nouvelle-Calédonie et à Tahiti, des interactions assez fréquentes avec les Australiens. Celles-ci sont d'ailleurs programmées : je pense à l'exercice Pitch Black à venir en 2022 ou à des exercices concernant la marine nationale, l'armée de terre et d'autres. Il y a aussi des enjeux dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Les coopérations opérationnelles ou les exercices doivent s'adapter à l'évolution de la situation politique. Pour le moment, il n'est pas question de les remettre en cause. Nous devons aussi définir une politique assumée vis-à-vis de l'Australie, ce qui donne lieu actuellement à de nombreuses réflexions. Quant au partenariat industriel, la confiance de nos industriels est largement entamée. Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas pour autant profiter des opportunités qui pourraient se présenter.

S'agissant des accords FRANZ, ces accords multilatéraux sont essentiellement orientés vers le HADR – Humanitarian Assistance and Disaster Relief. Dans tout le Pacifique Sud, la France a un important rôle à jouer et est particulièrement attendue – je suppose que l'amiral Vandier vous l'a dit avant moi lors de son audition. Qui plus est, cette zone est plus facilement à sa portée que le Nord du Pacifique. La position des Australiens n'est pas non plus facile dans cet environnement. Ce qui s'est passé entre la France et l'Australie ne remet absolument pas en cause nos liens avec les Néo-Zélandais et les îles du Pacifique Sud dont les attentes sont fortes dans les domaines du HADR et de la sécurité environnementale. Les accords FRANZ sont donc le moyen de pousser les feux. Nous avons des éléments concrets à faire valoir afin de montrer que notre stratégie indo-pacifique demeure, que notre légitimité dans la région ne peut pas être mise en doute et que nous avons des intérêts à défendre.

S'agissant des Britanniques, le partenariat AUKUS a changé la donne en dépit du cadre politique dans lequel sont inscrites nos relations depuis les accords de Lancaster House. Nous nouons des discussions ainsi que des coopérations sur le terrain dans le domaine militaire. Nous sommes très proches à travers tant notre culture opérationnelle que notre perception de notre rôle dans le monde. Nous devons repenser notre relation avec les Britanniques et ce, d'autant plus que l'accord de retrait conclu dans le cadre du Brexit ne prévoit pas de volet consacré à la défense. Nous devons réfléchir à la manière dont nous associerons les Britanniques à la construction de l'Europe de la défense, sans naïveté.

Dans le domaine spatial, nous souhaitons voir aboutir une stratégie européenne, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne. La France est très en pointe, avec la création du commandement de l'espace et l'implantation d'un centre d'excellence OTAN (CEO) à Toulouse. Grâce à cet effort significatif, la France est regardée par nombre de ses partenaires comme un exemple à suivre. Les crédits pour l'espace prévus dans le PLF 2022 s'élèvent à plus de 600 millions d'euros.

Dans le domaine cyber, l'accroissement des effectifs se poursuit. Dans ce secteur très concurrentiel, les enjeux liés aux compétences sont forts. Il importe donc de fidéliser nos spécialistes. Le domaine cyber est également pris en considération dans le cadre de la construction du Fort Neuf de Vincennes ainsi qu'à la DRSD. Un effort important est donc consenti en faveur du cyber sur lequel une stratégie a été publiée.

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