Intervention de le général Luc de Rancourt

Réunion du mercredi 13 octobre 2021 à 11h10
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général Luc de Rancourt, directeur général adjoint des relations internationales et de la stratégie :

En Nouvelle-Calédonie, la pédagogie qui a été faite sur les conséquences du « oui » ou du « non » contribue à bien éclairer le débat. J'ignore quelle sera l'issue du référendum. Quand bien même le « oui » viendrait à l'emporter, cela ne signifierait pas nécessairement la fin de notre présence, qui est aussi une garantie de ne pas voir des puissances étrangères s'y implanter – élément que l'Australie regarde de très près. Je ne peux pas préjuger des décisions qui seraient prises dans un tel scénario, mais la présence étrangère en Nouvelle-Calédonie est prise en considération dans les réflexions et les discussions. La désinformation fait également partie des sujets de préoccupation, mais elle n'entre pas dans le champ de compétences de la DGRIS.

La Fabrique Défense se tient, pour sa deuxième édition, depuis le mois de septembre et jusqu'à la présidence française de l'Union européenne. Cela représente près de 80 projets qui sont labellisés Fabrique Défense et près de 240 partenaires – plus que lors de la première édition – dont vingt-six du côté du ministère des armées, contre vingt-trois lors de la première édition. Cette initiative est très florissante mais sa pérennisation au niveau européen demeure à confirmer. Nous verrions bien les Espagnols reprendre le flambeau à l'occasion de leur présidence de l'Union en 2023.

Quant au SNU, je ne peux que regretter qu'il ne fasse pas référence à la Fabrique Défense. Toutefois, il ne devrait pas être très compliqué d'y remédier. J'aborderai le sujet avec le général Batut pour comprendre pourquoi aucune publicité n'est faite pour ce programme. Il faut cependant avoir à l'esprit que la Fabrique Défense vise à promouvoir une culture stratégique européenne pour les jeunes de 15 à 30 ans. Son ampleur est donc bien plus large que la simple cible nationale. Sa précédente édition avait d'ailleurs concerné une dizaine de pays et nos postes s'étaient également impliqués. Il ne faut donc pas enfermer la Fabrique Défense dans une relation exclusive avec le SNU.

Concernant l'Afghanistan, souvenez-vous des propos du président Hollande lors du retrait de notre contingent. Il considérait qu'il était temps de quitter ce pays puisque nous étions présents par solidarité avec les Américains et pour lutter contre le terrorisme. Ben Laden ayant été neutralisé par les Américains, la mission était en quelque sorte terminée. La difficulté de ce genre de mission – pour reprendre vos propos quant aux puissants devenus impuissants –, tient à ce que l'état final recherché doit être réaliste sur le plan militaire mais surtout politique. En l'occurrence, la question à laquelle nous devrons répondre est de savoir si l'objectif politique que nous cherchions à atteindre en Afghanistan était réaliste. La situation amène aussi à s'interroger sur le rôle des États-Unis dans le monde. L'Afghanistan s'est effondré dès lors que le départ des Américains était certain. Les talibans ont eu le sentiment d'avoir les coudées franches, sans compter qu'ils ont très habilement su retourner les responsables afghans et ne pas se faire piéger par la stratégie dont ils avaient été victimes en 2001, en particulier en verrouillant l'accès aux frontières du Nord. Il faut aussi mentionner, d'une part, les considérations liées à la politique vis-à-vis de la Chine : en quittant l'Afghanistan, les Américains ont aussi libéré des ressources pour se consacrer à la compétition avec ce pays ; d'autre part, ce départ répondait également pour eux à des préoccupations de politique intérieure qu'il ne faut pas mésestimer. Enfin, dernière question, depuis un certain temps, n'avons-nous pas tendance à projeter nos propres schémas mentaux sur les crises que connaissent les pays comme l'Afghanistan ? Il faudra bien réfléchir à toutes ces questions.

Quant aux risques régionaux, ils sont de plusieurs natures. Le risque de voir l'Afghanistan redevenir un sanctuaire du terrorisme dépendra beaucoup de la relation que les talibans auront avec Al-Qaïda – qui est une relation non pas fusionnelle, mais très proche – et avec Daech, qu'ils combattent. En outre, la manière dont les talibans géreront leur relation avec les talibans pakistanais – le TPP – aura aussi des conséquences pour la stabilité du Pakistan. Les répercussions peuvent aussi affecter la Chine, tant à cause des Ouïghours que de la menace que peut faire peser le TTP sur les intérêts chinois. Enfin, l'expansion de la menace terroriste peut aussi inquiéter la Russie.

En tout état de cause, cette affaire montre clairement que le départ des Américains crée un vide stratégique qui est très rapidement comblé. Il faut l'avoir à l'esprit lorsque l'on analyse la situation internationale de manière plus générale – je pense au Golfe ou à d'autres parties du monde.

J'en viens au bilan du Pacte Enseignement Supérieur. Depuis son lancement, 120 chercheurs ont été soutenus. Le PES s'articule autour de quatre axes. Il vise d'abord à s'assurer de la place des études de défense à l'université. C'est l'ambition de l'accord tripartite entre le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), la DGRIS et la Conférence des présidents d'université. La création d'un groupement d'intérêt scientifique (GIS), doté de 50 000 euros, permettra de soutenir cette initiative. L'entretien du vivier des jeunes chercheurs, à travers plusieurs initiatives, telles que les centres d'excellence de Lyon III et Paris VIII, constitue un autre axe. La dotation de 1,5 million d'euros pour cinq ans, pour chaque label, leur permettra de développer des recherches respectivement dans le champ de l'interconnexion des hautes fonctions stratégiques et dans celui de la géopolitique de la datasphère, lequel est encore inexploité. Le troisième axe est le soutien aux doctorants et post-doctorants – la DGRIS finance ainsi une dizaine de doctorants et deux post-doctorants – ainsi qu'un rapprochement entre l'IRSEM et l'École de guerre. Un autre enjeu réside dans le rayonnement international. Je citais tout à l'heure la création d'un réseau de structures homologues, il y a moins de quinze jours, baptisé NESSI – Network of European Strategic Studies Institutes. Un autre programme dénommé Young Leaders, dont la première édition se tiendra début 2022, a pour but d'identifier les jeunes universitaires dont on pressent qu'ils auront un avenir dans le domaine de la défense. Tout cela contribuera à constituer un réseau très dense.

Parmi les sujets d'étude peuvent être mentionnés des sujets structurants comme la Russie, le cyber, la Chine, l'énergie ou l'environnement. Nous devons aussi nous intéresser à l'hybridation des sciences dures et des sciences humaines et sociales. De fait, ces deux champs d'étude sont trop souvent séparés. Enfin, la création de nouveaux labels permettra de continuer à entretenir une dynamique de recherche.

Quant à Chypre, je ne connaissais pas la carte de la Méditerranée orientale sur laquelle le pays n'apparaît pas. Le QUAD MEDOR, mis sur pied depuis un peu plus d'un an et qui assure une présence navale permanente en Méditerranée orientale, témoigne de la solidarité entre les partenaires italiens, chypriotes, grecs et français. Nous y attachons une attention toute particulière, qu'il s'agisse du respect de la liberté de navigation ou de toutes les incartades turques en matière d'exploration dans les eaux chypriotes. La plus grande prudence est de mise pour ne pas être instrumentalisé dans la confrontation entre les Chypriotes et les Turcs ou les Grecs et les Turcs, et éviter ainsi d'être pris dans un engrenage avec un allié difficile au sein de l'OTAN. La France s'est toutefois montrée assez vocal – comme le disent les Anglo-Saxons – en la matière, ce qui a permis de faire prendre conscience à l'Alliance du sujet turc.

Enfin, le traité « ciel ouvert » est important pour la France. Nous souhaitons rester partie, et le voir perdurer. Il apporte des moyens alternatifs de vérification et fait partie des mesures de confiance nécessaires face à la déconstruction des architectures de sécurité en Europe. C'est aussi, de manière assez indirecte, un moyen d'entretenir des échanges informels, avec les Russes en particulier, et de lever des ambiguïtés lors de crises – je pense notamment à la Géorgie.

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