Je suis très heureuse de vous présenter mes conclusions sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Maurice relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces. Pour moi, qui suis née aux Seychelles, m'exprimer sur la coopération que mène la France dans l'océan Indien n'est pas anodin. Ce projet de loi, dont notre commission n'est saisie que pour avis, ne comporte qu'un seul article, qui procède à l'approbation de l'accord susmentionné, signé le 12 mars 2018 à Port-Louis.
Avant d'exposer plus en détail les dispositions de cet accord, il me semble important d'évoquer de manière générale l'état de notre relation bilatérale avec ce pays de 1 865 kilomètres carrés, qui possède une zone économique exclusive (ZEE) d'environ 1,1 million de kilomètres carrés. Cette superficie, supérieure à celle du territoire de l'Espagne ou de l'Italie, en fait la vingt-sixième zone la plus étendue au monde. La France est un acteur économique majeur à Maurice : elle est son troisième partenaire commercial après l'Inde et la Chine, son premier client, devant le Royaume-Uni et les États-Unis, son quatrième fournisseur, le premier investisseur étranger dans le domaine productif et le premier pourvoyeur de touristes, avec environ 440 000 Français, sur un total de 1,4 million de touristes par an en moyenne. La France est également le principal partenaire bilatéral de Maurice en termes d'aide publique au développement, l'Agence française de développement (AFD) intervenant en particulier pour accompagner le pays face aux enjeux du changement climatique. J'ajoute que les cinq établissements soutenus par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) accueillent 5 000 élèves, dont deux-tiers de nationalité mauricienne. Notre coopération bilatérale s'inscrit également dans un cadre régional, au travers de deux organisations, dont la France est membre. Tout d'abord, la Commission de l'océan Indien (COI), dont le siège se trouve à Maurice. Elle est la seule organisation politique du sud-ouest de l'océan Indien et la seule organisation africaine dont la France est membre. Notre pays préside d'ailleurs la COI depuis le 20 mai dernier, pour une année. Ensuite, l'Association des États riverains de l'océan Indien ( Indian Ocean Rim Association - IORA), dont la France est devenue membre à part entière en décembre 2020, après en avoir été observateur. L'IORA regroupe les États riverains de l'océan Indien, de l'Afrique du Sud à l'Australie, autour d'une structure légère et de projets concrets, notamment dans les domaines de l'environnement et du développement durable. Maurice en accueille le secrétariat général.
Après ce bref tour d'horizon, j'en viens à la coopération entre la France et Maurice dans le domaine de la défense et de la sécurité. Au préalable, il me paraît essentiel de dire un mot de l'environnement stratégique de Maurice comme de l'état de ses forces de défense et de sécurité. État pacifique, la République de Maurice ne fait l'objet d'aucune menace extérieure, d'autant qu'elle est éloignée des zones d'action des pirates qui sévissent au large des côtes d'Afrique orientale et donc préservée de leurs méfaits.
Les principales préoccupations des autorités mauriciennes sont d'ordre sécuritaire. En premier lieu, Maurice porte une attention à la surveillance et la protection de son espace maritime, en particulier en matière de lutte contre la pêche illégale et les trafics, dont celui de stupéfiants. En effet, Maurice fait notamment face au développement de la consommation de l'héroïne, pour beaucoup d'origine afghane. D'autres drogues sont également en circulation, parmi lesquelles le cannabis et la méthamphétamine. En outre, l'expansion d'un islam radical commence à inquiéter les autorités mauriciennes, bien qu'elle ne se traduise pas pour l'heure par un accroissement du niveau de la menace terroriste. Quelques ressortissants mauriciens auraient toutefois rejoint l'État islamique. Il convient également de rappeler qu'il y a quelques années, des tags contre la France ont été signalés et qu'un tir de calibre 12 a visé l'ambassade en 2016, dans le contexte de l'affaire des caricatures du prophète.
Maurice entretient de bonnes relations avec ses voisins, mais des contentieux l'opposent au Royaume-Uni et à la France. Maurice conteste en effet la souveraineté britannique sur l'archipel des îles Chagos, dont la plus importante, Diego Garcia, a été louée par le Royaume-Uni aux États-Unis depuis 1966. Maurice conteste également notre souveraineté sur le territoire de l'île de Tromelin et de sa ZEE. Comme certains d'entre vous s'en souviennent, l'Assemblée nationale avait fortement œuvré, à l'initiative de notre ex-collègue devenu sénateur Philippe Folliot, contre la ratification de l'accord de cogestion sur les ressources de l'île et de sa ZEE signé le 7 juin 2010.
Pour faire face à ces enjeux sécuritaires, Maurice ne dispose pas d'une armée, mais d'une force de police dotée de plusieurs composantes : la Mauritius Police Force, qui compte environ 13 400 hommes. Ses forces aéromaritimes disposent de trois avions mis en œuvre, majoritairement, par des militaires indiens. Elles s'appuient également sur six hélicoptères, dont deux Alouette III et un Fennec. Les Special Mobile Forces disposent quant à elles de onze véhicules de l'avant blindé (VAB), remis à niveau en 2008. La National Coast Guard possède une flotte moderne : sept patrouilleurs hauturiers dont trois équipements récents d'origine indienne et dix embarcations d'interception rapides livrées par l'Inde en mars 2016.
Au-delà de son emprise économique, l'Inde exerce une réelle influence sur les décisions de défense. En effet, la National Coast Guard est commandée par un officier indien, tout comme les principales unités maritimes et aéromaritimes. En outre, l'Inde octroie régulièrement des dons d'équipements ou des facilités financières et participe à des patrouilles en mer. Elle a également mis à disposition de Maurice une quinzaine de coopérants. L'Inde exerce ainsi une forme de tutelle, relativement bien acceptée puisque ce pays est encore souvent considéré comme la mère patrie. La présence croissante de l'Inde pourrait toutefois constituer un irritant à l'avenir, comme le montre le projet d'implantation indienne sur les îles d'Agaléga – une piste de 3 kilomètres sur une des îles de 12 kilomètres a déjà été construite – et la poursuite de sa politique d'implantation toujours plus à l'ouest dans le cadre de laquelle l'Inde s'est rapprochée de Madagascar et des Comores, en nouant avec ces pays des partenariats relatifs à la sécurité maritime.
Dans ce contexte, la coopération de défense entre la France et Maurice est d'une importance quasiment inversement proportionnelle à la taille du pays. Elle s'est notamment confortée depuis 2018 sous l'effet du rapprochement entre Paris et New Delhi, comme de l'affirmation de notre intérêt stratégique en Indo-Pacifique. Je ne m'étendrai pas ce matin sur la stratégie française dans cette région du monde, puisque tel est l'objet des travaux de la mission d'information que je conduis depuis plusieurs mois avec Laurence Trastour-Isnart. La proximité de Maurice et de La Réunion et, dans une moindre mesure, de Mayotte, explique pour beaucoup la vigueur de notre relation bilatérale dans le domaine de la défense et de la sécurité. La coopération bilatérale est essentiellement menée par les forces armées de la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI), basées à La Réunion, et par la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Cette coopération a été fortement affectée par la crise sanitaire, qui a entraîné la fermeture des frontières ; on ne dénombre ainsi que trois escales à Maurice depuis le printemps 2020. Les autorités mauriciennes affichent toutefois une forte volonté de la reprendre rapidement, tant du point de vue opérationnel que structurel. Ainsi l'exercice bilatéral interarmées Phoenix, prévu à la fin du mois de novembre 2021, marquera dès la semaine prochaine la reprise de la coopération opérationnelle. Plusieurs formations ont également été demandées par les autorités mauriciennes pour l'année 2022 et six escales sont programmées à Maurice pour l'année à venir.
En l'état actuel, la coopération bilatérale dans le domaine de la défense s'appuie sur deux accords. L'accord relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure du 13 juin 2008, destiné à donner une base juridique solide à la coopération opérationnelle et technique dans le domaine de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée transnationale, et l'accord en matière de recherche et de sauvetage maritimes du 21 juillet 2011, qui permet notamment de mieux coordonner l'action des centres de coordination de sauvetage maritime des deux pays en cas de situation de détresse en mer.
Je rappelle que la coopération en matière de défense avec la République de Maurice aurait dû être régie par un accord particulier de coopération militaire signé en 1979, mais jamais entré en vigueur faute de ratification par la partie mauricienne. Ceci n'a toutefois pas empêché le développement d'actions de coopération, grâce à l'implication des FAZSOI. Organisée autour de la lutte antiterroriste et de la sûreté maritime, notre coopération bilatérale vise à renforcer les capacités des forces de défense et de sécurité mauriciennes. Les relations entre les forces françaises et les forces mauriciennes, notamment avec la Special Mobile Force, qui est très francophile et dont nombre des cadres ont été formés en France, sont solides et empreintes de confiance mutuelle.
Sur le plan opérationnel, notre coopération concerne essentiellement la lutte contre le terrorisme, le renforcement de l'interopérabilité dans les trois milieux et l'amélioration de la sécurité maritime. Plusieurs actions de coopération ont ainsi donné lieu à des échanges avec les unités de neutralisation, d'enlèvement et de destruction des explosifs (NEDEX), des entraînements communs entre le 2e régiment de parachutistes d'infanterie de marine (RPIMa) et les forces spéciales mauriciennes ainsi que des stages d'aguerrissement au centre commando de La Réunion. Maurice participe également à des exercices régionaux majeurs des FAZSOI comme les exercices Papangue en 2018, à La Réunion, ou Varatraza en 2019, à Madagascar. En novembre 2019 a également eu lieu la première édition de l'exercice bilatéral interarmées Phoenix sur le thème de la lutte contre le narcotrafic. Cet exercice a été un réel succès en ce qu'il a notamment permis un rapprochement constructif entre les FAZSOI et les cadres indiens qui commandent les forces navales mauriciennes. Cet exercice sera reconduit la semaine prochaine, dans un format plus réduit en raison des contraintes sanitaires. En moyenne, les FAZSOI conduisent une dizaine d'activités annuelles et contribuent à la formation de 150 à 200 policiers mauriciens ; 430 officiers mauriciens ont ainsi été formés depuis 2015. Le nombre d'escales maritimes est variable : on en compte chaque année cinq à dix en moyenne. En tout, la présence des FAZSOI sur le territoire mauricien peut ainsi atteindre 120 jours, comme me l'a confirmé hier l'attaché de défense français compétent pour Maurice, déployé à La Réunion au sein de l'état-major des FAZSOI. Notre coopération a connu un brutal coup d'arrêt en mars 2020 avec la fermeture des frontières mauriciennes. Seules trois escales pour maintenance des bâtiments des FAZSOI ont été réalisées, soit 176 jours de présence à Maurice en 15 mois lorsque le Nivôse quittera Port-Louis le 9 décembre prochain.
Notre relation de défense est donc dynamique, mais elle pâtit de l'absence de couverture juridique des forces françaises déployées sur le sol mauricien. En 2012, l'état-major des armées avait même interdit aux FAZSOI de mettre en œuvre toute activité impliquant le déploiement de militaires français à Maurice en raison de l'absence de dispositif juridique permettant de leur assurer une protection nécessaire. La négociation et la signature d'un tel accord se sont ainsi révélées indispensables afin d'assurer une protection juridique adéquate aux militaires français déployés à Maurice et de permettre la mise en œuvre d'actions de coopération militaire avec ce pays.
L'accord compte vingt-deux articles. Il comporte des dispositions assez classiques, comparables à celles des accords de coopération habituellement conclus avec nos partenaires, en particulier africains. Il définit les principes généraux et les domaines de la coopération en matière de défense. Parmi les domaines de la coopération, citons notamment la politique de défense et de sécurité dans son ensemble, l'organisation et le fonctionnement des forces armées, les opérations de maintien de la paix et humanitaires ou encore les scolarités militaires. Ces domaines peuvent se décliner sous diverses formes de coopération telles que les activités de formation, d'entraînement des forces et de soutien logistique, l'organisation et le conseil aux forces mauriciennes, l'envoi ou l'échange d'experts techniques ou encore l'organisation de transits, de stationnement temporaire et d'escales aériennes et maritimes. L'accord prévoit que les modalités de mise en œuvre concrète de ces formes de coopération feront l'objet d'accords ou d'arrangements particuliers.
L'accord sécurise aussi le déploiement de membres des forces armées françaises en instituant un partage de juridiction en cas d'infraction conforme à nos exigences constitutionnelles et conventionnelles. La clause de juridiction, prévue à l'article 13, diffère d'ailleurs légèrement des accords similaires signés avec certains autres États. Maurice n'appliquant pas la peine de mort, la clause de juridiction ne contient pas de stipulation visant à la protection particulière du personnel français contre l'application de cette peine. L'accord est rédigé de manière réciproque pour couvrir les personnels français sur le territoire mauricien et les personnels mauriciens en France. Il prévoit en outre un certain nombre de facilités d'ordre administratif, notamment en matière de permis de conduire, de port d'armes, de démarches funéraires en cas de décès ou encore de fiscalité. Enfin, comme les nouveaux accords de coopération en matière de défense entre la France et ses partenaires africains, à l'exception de notre accord avec Djibouti, il ne comporte pas de clause d'assistance en cas d'agression armée au sens de l'article 51 de la Charte des Nations unies.
La négociation de cet accord n'a pas posé de difficulté particulière et c'est pourquoi je vous recommande d'émettre un avis favorable à son adoption.