Je vais répondre à la question de notre collègue Marianne Dubois sur les « trous capacitaires ». Je distingue deux grandes lacunes. Le premier, qui touche toutes nos armées, est le manque de stocks de munitions, qu'elles soient simples ou complexes. Le second est relatif au manque de moyens pour l'entraînement. Pour prendre un exemple, l'armée de Terre atteint péniblement 64 % des normes définies en LPM pour la préparation opérationnelle des forces terrestres. Certes, les résultats progressent mais la marge de progression reste importante. En Estonie, avec ma co-rapporteure, nous avons appris qu'eu égard au potentiel insuffisant de nos chars Leclerc sur place, ils ne pouvaient pas être utilisés autant que souhaité. Lors d'une discussion avec un capitaine du 1er régiment de chasseurs de Conti Cavalerie, nous avons ainsi appris qu'à l'entraînement, celui-ci ne commandait pas à l'avant comme il le ferait en opérations, et ce afin de garder du potentiel au profit de l'entraînement de ses hommes. Voilà typiquement le genre de lacunes devant être comblées. Je cite l'armée de Terre mais on pourrait décliner ce type d'exemples dans les autres armées.
Je développerais peu sur le spatial et le cyber. Il s'agit moins de combler des lacunes capacitaires que d'accélérer des évolutions et de conduire des réflexions. Par exemple, pour avoir une résilience des réseaux satellitaires, il conviendrait sans doute d'avoir davantage de satellites en propre mais il serait aussi intéressant de s'appuyer sur les constellations de satellites civils. Cela offrirait de la redondance. Sur le cyber, l'enjeu est finalement moins d'investir dans des capacités que d'avoir des ressources humaines au bon niveau.
Pour l'armée de Terre, quelques trous capacitaires ont été clairement identifiés. Premier élément, les capacités de frappe dans la profondeur, en clair les lance-roquettes unitaires et les canons Caesar, avec toute l'architecture permettant la gestion des feux dans le combat collaboratif. Deuxième élément, la défense sol-air basse couche, puisque nous ne sommes plus certains d'avoir la supériorité aérienne et qu'à cela s'ajoute la menace générale des drones. Enfin, je citerai les capacités de minage-bréchage, que nous avons quasiment abandonnées, ainsi que la chaîne logistique et le système d'armes du maintenancier. Voilà les lacunes à combler aujourd'hui, sachant que nous restons dans l'obligation de préparer le renouvellement du segment lourd, c'est-à-dire, pour faire simple, la succession du char Leclerc par le Main Ground Combat System (MGCS) si ce projet parvient à son terme.
Concernant ensuite l'armée de l'Air, nous sommes préoccupés de la taille de notre flotte de Rafale, amputée – et on s'en félicite – par les ventes à l'export. Il faut remédier à la situation actuelle qui est extrêmement tendue. Les avions ravitailleurs, les MRTT, sont en nombre insuffisant. Nous manquons d'avions de cargo de taille intermédiaire. Nous avons nos A400M mais nos CASA arrivent en bout de course et une solution devra être trouvée. À ce titre, un projet européen de petits A400 – que j'appelle A200, bien que je serais sans doute désapprouvé par les industriels – pourrait nous intéresser. J'ajoute que nous n'avons plus du tout d'hélicoptères lourds, dont on a pourtant vu l'intérêt pour l'opération Barkhane. Aucune production européenne n'existe dans ce domaine. Mais vous le verrez dans le rapport, certains pays pourraient vendre leurs flottes d'occasion ou les louer. Doit-on s'y intéresser ? C'est une question à se poser.
Enfin, pour la Marine, les lacunes sont de deux ordres : premièrement, la densité de l'armement de nos bateaux et quelques capacités insuffisantes ; deuxièmement, le format de la flotte de surface. À propos de l'armement de nos bateaux, je précise que nos navires sont relativement sous-armés en nombre de tubes – puisqu'on raisonne désormais davantage en nombre de tubes qu'en tonnage. Notre pratique actuelle des refontes à mi-vie conduit malheureusement à ce que nos navires soient déclassés trop rapidement ; une refonte plus régulière de nos bateaux serait dès lors souhaitable. Nous devons aussi avancer rapidement sur le successeur de l'Exocet, un excellent missile mer-mer mais dont la conception date des années 1970. Nous avons besoin d'une allonge de plus de 100 kilomètres aujourd'hui . Le projet franco-britannique de guerre des mines doit être accéléré. Il reste du travail à faire sur les drones, etc.
À propos du format de la flotte de surface, la question est la suivante : est-ce que notre format à quinze frégates de premier rang est suffisant ? Si je m'en tiens aux ambitions du livre blanc – et nous pensons tous les deux qu'elles sont justifiées – de rester une grande puissance navale au regard des enjeux dans le Pacifique, nous devons augmenter le format de quinze à dix‑huit frégates, afin de conserver une permanence à la mer en différents endroits, et grâce aussi à des bateaux plus petits et moins chers. Je pense au programme européen de patrouilleurs (European Patrol Corvette) qui peut nous offrir une présence à la mer complémentaire tout en étant une belle opportunité de coopération européenne. Voilà un panorama très bref, très rapide mais qui retrace ce que nous avons identifié et que vous retrouverez beaucoup plus en détails dans le rapport.