Intervention de Pr Jean-Christophe Pagès

Réunion du jeudi 13 février 2020 à 17h00
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Pr Jean-Christophe Pagès, président par intérim du HCB et président du comité scientifique du HCB :

Je n'ai, pour ma part, aucun intérêt dans les questions de lutte antivectorielle. Par ailleurs, nous publions une déclaration publique d'intérêts sur le site du HCB si vous aviez besoin d'avoir des éléments complémentaires.

Le cadre de notre avis avait été défini par une saisine qui nous avait été transmise le 12 octobre 2015 par Ségolène Royal, alors ministre de l'environnement, et qui nous demandait d'établir un état des lieux de la recherche en matière de commercialisation de moustiques GM, de techniques de production et de l'intégration de ces moustiques dans le cadre de la lutte antivectorielle. Le deuxième point concernait les systèmes d'évaluation pour ces moustiques GM, tant sur le plan international, européen, que national. Le troisième point portait sur l'utilisation de ces moustiques dans des phases expérimentales. À l'époque, une société unique pour les moustiques GM s'était positionnée. Enfin, comme il est de tradition pour les avis du Haut Conseil, nous pouvons être interrogés sur les aspects de bénéfice et de risque de l'utilisation de ces moustiques en France métropolitaine et sur l'ensemble des départements et régions d'outre-mer et collectivités d'outre-mer (DROM-COM).

Pour répondre à cette saisine, qui était particulièrement complexe et d'un genre relativement nouveau pour le Haut Conseil où nous avons l'habitude de traiter des saisines plutôt réglementaires plantes et thérapies géniques, nous avons constitué un groupe de travail en collaboration étroite avec un organisme qui n'existe plus aujourd'hui, mais dont les prérogatives ont été reprises en grande partie par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), et le Centre national d'expertise sur les vecteurs (CNEV). Ce groupe de travail était relativement large. Nous avions sollicité des membres supplémentaires pour des questions particulières, notamment pour les maladies, les impacts sur la transfusion sanguine, les impacts en anthropologie, de façon à couvrir à la fois les aspects scientifiques, mais également les aspects socioéconomiques qui se liaient à cette lutte antivectorielle.

Comme vous le savez, le territoire français est bien au-delà de la métropole. Cela couvre une diversité biologique qui est particulière en matière de lutte antivectorielle. Les moustiques et autres insectes qui peuvent être des vecteurs de maladies virales ou parasitaires sont extraordinairement divers et selon les territoires, ont une répartition parfois isolée pour le genre Aedes et parfois groupée pour d'autres genres.

La situation était particulièrement compliquée. Nous avons dû aborder un très grand nombre d'aspects de la biologie de ces maladies vectorielles, qui va concerner à la fois les moustiques vecteurs, leur rapport au territoire français, l'hétérogénéité en matière de compétence vectorielle, la distribution, les considérations bioécologiques, ainsi que les considérations d'écologie fonctionnelle de ces vecteurs.

Pour essayer de simplifier cette diversité, nous avons sélectionné des techniques, puisqu'il nous était demandé une analyse comparative. Il n'était pas uniquement question de se pencher sur les moustiques transgéniques. Nous avons regroupé onze techniques différentes et trente paramètres qui étaient regroupés dans quatre grandes catégories :

– les objectifs visés, qui sont particulièrement importants selon que l'on cherche à réduire ou éliminer une population de vecteurs ou à la remplacer ;

– les objectifs en matière d'efficacité et de durabilité, à la fois sur le plan entomologique, dans le temps et l'espace ;

– les contraintes techniques qui étaient liées à ces différentes techniques de lutte antivectorielle ;

– les risques pour l'environnement et la santé.

Les moustiques transgéniques s'inscrivent dans l'ensemble de l'arsenal thérapeutique et de moyens de prévention pour les maladies vectorielles. Pour un grand nombre de ces maladies, malheureusement, il n'y a pas de ressources thérapeutiques étiologiques, et donc nous sommes obligés de faire appel à des moyens de prévention. Les traitements préventifs sont d'usage relativement limité selon les maladies. Les vaccins n'existent pas pour l'ensemble des viroses concernées. Nous faisons donc appel à des moyens de lutte antivectorielle. Nous n'allons pas travailler sur le pathogène, mais sur son vecteur. Il existe des méthodes que vous connaissez parfaitement – chimique, biologique, physique et environnementale – et des techniques dites émergentes, qui faisaient appel aux moustiques transgéniques.

Les moustiques transgéniques qui nous ont intéressés étaient ceux qui utilisaient la technique « Release of Insects carrying a Dominant Lethal » (RIDL) de réduction de population développée par la société Oxitec. Nous avons malgré tout étudié les questions de forçage génétique, quand bien même à l'époque il n'y avait pas de modèle qui soit utilisable en dehors des laboratoires. Nous avons comparé cela à des techniques relativement proches, comme celle de l'insecte stérile par irradiation ou celle qui repose sur la bactérie endogène Wolbachia. Relativement complexe, cette bactérie peut avoir deux types d'actions : une action de réduction de population par incompatibilité cytoplasmique, donc de reproduction, et une action de diminution des capacités vectorielles des moustiques.

Pour synthétiser et replacer les techniques que nous avons étudiées, je vous présente ici un cycle de vie des moustiques avec l'état adulte, l'état larvaire, la reproduction.

(image non chargée)

Sont surlignés les systèmes d'insecte stérile RIDL et d'incompatibilité qui ne touchent que les moustiques adultes, bien que pour la technique RIDL, l'impact soit sur le développement larvaire. Les autres moyens de lutte, eux, peuvent toucher les différents stades du développement du moustique.

Nous avons fait une typologie de chacune des techniques relativement précise en reprenant les éléments saillants qui sont communs à ces différentes techniques – la technique de l'insecte stérile (TIS), la technique de l'insecte incompatible (TII) et la technique RIDL – et qui reposent toutes sur le lâcher de mâles stériles ou stérilisants qui vont bloquer la chaîne de reproduction des moustiques dans un endroit donné.

(image non chargée)

Ce qui va être important dans chacune de ces techniques, c'est par exemple la vigueur des mâles irradiés, de sorte qu'ils aient des capacités reproductives et que cela puisse contribuer à diminuer les populations, et les éléments de résistance comportementale, puisque dans les mâles irradiés, on peut suspecter un manque de vigueur du fait de l'irradiation. Pour les techniques comme le TII et RIDL, les moustiques sont théoriquement en bonne santé. En revanche, il pourrait y avoir des biais de reproduction et c'est ce qui est regroupé dans les techniques de résistance comportementale qui peuvent altérer l'efficacité de ces relargages.

Notre rapport était relativement complet. Je vous invite à nous poser des questions et à vous y reporter.

Il est important de comprendre que toutes ces techniques s'inscrivent dans des objectifs partagés, soit de réduction de population que l'on va retrouver pour la technique de l'insecte stérile RIDL ou une des techniques Wolbachia et une partie des techniques de forçage génétique, soit de modification de population que l'on va retrouver essentiellement pour Wolbachia et pour le forçage génétique. Ce qui peut permettre également de regrouper de grandes catégories est de savoir si ces techniques vont se déployer dans l'environnement comme les techniques dites autoentretenues qui concernent le forçage génétique et les techniques Wolbachia, ousi elles vont être plutôt limitées dans un espace, comme les techniques TIS, RIDL et une partie de Wolbachia. Des luttes conventionnelles, comme la lutte biocide ou la lutte biologique ont aussi ce type de répartition, donc sont essentiellement limitées. On va pouvoir développer les luttes environnementales à l'échelle temporaire. C'est ce que font les personnes en vidant par exemple les petits gobelets d'eau dans leur jardin ou en utilisant des moustiquaires. Elles vont être plus permanentes s'il s'agit d'épandage d'insecticides à grande échelle.

(image non chargée)

Il n'y a pas de réel clivage d'objectifs entre les techniques qui mettent en œuvre des moustiques GM ou non GM, ni même entre les techniques qui sont dites classiques et les techniques innovantes. En matière de caractéristiques, elles ont aussi des points communs qui reposent donc sur les lâchers de moustiques et des objectifs de réduction ou de modification également. Nous mettons en exergue une complémentarité de ces techniques, notamment pour les techniques d'insectes stériles et de moustiques GM. Il faut les mettre en œuvre à des temps particuliers et éventuellement préparer le terrain pour les rendre efficaces.

Un autre point qui est très important à comprendre, c'est la spécificité d'action. Toutes ces techniques qui vont mettre en jeu une espèce particulière de moustique seront spécifiques de cette espèce. Cela a un avantage en matière environnementale qui est de préserver le reste de la biodiversité. Cela peut avoir un inconvénient de libérer une niche qui pourrait être occupée par d'autres espèces qui seraient elles-mêmes vecteurs. Là aussi, il va falloir bien étudier les territoires. En fonction des territoires, il y avait ou non coexistence d'Aedes albopictus et d' Aedes aegypti. Dans ces situations-là, il va falloir bien prendre garde à élargir ou utiliser quelque chose de très ciblé.

Les délais d'efficacité de ces techniques sont relativement longs. Nous ne pouvons pas les utiliser en période d'urgence sauf si nous avions la capacité d'avoir des lâchers extraordinairement massifs de moustiques. Même dans ces conditions-là, ce serait un petit peu difficile puisqu'il faut attendre au moins un cycle. De toute façon, les contraintes techniques sont pour l'instant trop importantes pour l'envisager.

Pour atteindre ces faibles densités, il va falloir soit préparer le terrain dans des périodes où les moustiques ne sont pas encore présents ou réduire la densité par des luttes plus conventionnelles.

Enfin, il y a des contraintes logistiques d'élevage et de sexage puisque l'on cherche à libérer des mâles stériles. Le sexage n'est pas une chose triviale pour les moustiques. Des techniques ont été développées et sont en constante amélioration. Ce n'est pas, notamment pour les moustiques transgéniques, un réel problème de libérer des femelles si ce n'est que cela augmente le risque de piqûre et les femelles ne seraient pas plus vecteurs que celles déjà présentes dans l'environnement. Néanmoins, il est important de libérer essentiellement des mâles.

Quand nous avons étudié le forçage génétique, il était vraiment à des stades de développement très en amont. Ce sont des techniques qui sont utilisées essentiellement en recherche. À l'époque, il n'y avait pas de réel gène cible qui puisse être utilisé dans des conditions ouvertes. Depuis, les choses ont un peu évolué. Catherine Golstein était récemment en Italie sur un site dans lequel il y a une expérience en grande cage qui est menée avec une souche de moustique de forçage génétique.

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