Intervention de Lucie Guimier

Réunion du jeudi 13 février 2020 à 17h00
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Lucie Guimier, responsable scientifique en charge des questions de science et de société (HCB) :

Je déclare n'avoir aucun conflit d'intérêts.

Sur le travail qu'a fait le comité économique, éthique et social (CEES) du HCB sur les moustiques, on lit en filigrane sa détermination à mesurer les avantages et les inconvénients des moustiques modifiés par les biotechnologies en fonction des critères suivants : quels bénéfices pour la santé publique ? Quelles implications socioéconomiques ? Quels impacts environnementaux ? Enfin, quelles exigences démocratiques et éthiques ?

L'appréciation et la prise en considération de ces différents critères ont conduit le CEES à préconiser un certain nombre de mesures conjuguées sur les plans administratif et politique. L'encadrement technique et juridique des moustiques GM n'est pas encore stabilisé. Certaines techniques donnent clairement lieu à l'obtention de moustiques « organismes génétiquement modifiés » (OGM) rentrant dans le cadre de la réglementation OGM, mais le statut juridique de certains moustiques fait parallèlement l'objet d'incertitudes.

En matière juridique, les approches diffèrent selon les États. Par exemple, en Australie, les moustiques transinfectés par Wolbachia relèvent de la réglementation vétérinaire, tandis qu'aux États-Unis ou au Brésil, cela relève de la réglementation biocide. Dans ce cadre, le CEES recommande de préciser le cadre juridique applicable, en prenant en considération la pluralité des qualifications juridiques de ces moustiques et donc des réglementations applicables (biocide, vétérinaire, OGM) et en retenant, en cas de doute sur la qualification juridique, la réglementation la plus contraignante.

Dans sa recommandation, le CEES préconise ensuite de clarifier le processus administratif de recours aux moustiques GM et d'imposer un suivi rigoureux des utilisations de ces moustiques, en mobilisant notamment les réseaux de santé publique existants, tels que les agences régionales de santé (ARS) et les instances en charge de l'évaluation des risques liés aux biotechnologies qui sont actuellement le HCB et l'ANSES.

Le CEES rappelle l'importance de considérer l'utilisation de moustiques modifiés par les biotechnologies comme un outil complémentaire dans la panoplie des stratégies de lutte antivectorielle, et non comme une stratégie de remplacement des autres méthodes. Les choix de ces technologies doivent être replacés dans une vision d'ensemble prenant en compte la notion de dynamique évolutive du vivant. Le CEES recommande d'intensifier les connaissances, notamment universitaires, sur les complexes vecteurs pathogènes hommes, et de poursuivre les recherches sur l'influence des choix technologiques sur les politiques de santé et les innovations.

Le CEES recommande évidemment la transparence sur les argumentaires sous-tendant la décision publique et les procédures assurant leur prise en compte. Il souligne également l'importance de la mise en débat des alternatives aux moustiques GM.

Pour finir – c'est le point le plus saillant du rapport – le CEES souligne l'importance d'associer la société civile au processus de décision et de suivi des stratégies reposant sur l'utilisation de moustiques GM. Il rappelle que l'utilisation de moustiques modifiés par les biotechnologies suscite des polémiques liées d'une part aux controverses qui ont marqué les OGM alimentaires, et il est à prévoir que l'usage d'insectes modifiés dans le cadre de la lutte antivectorielle ravive ces controverses.

Néanmoins, l'objectif de santé publique visé par l'utilisation de moustiques GM, et le fait que ces moustiques ciblés par la stratégie de réduction de populations soient porteurs d'une pathologie peut influencer plus positivement la population que dans le cas d'OGM à visée alimentaire. D'autre part, ces dernières années, plusieurs expériences de lutte antivectorielle se basant sur le recours à des moustiques GM ont montré une absence de débat avec les populations concernées, ce qui a pu exacerber les positions et engendrer des conflits.

Pour pallier ces situations, le CEES préconise de mettre en œuvre des moyens permettant aux citoyens de s'approprier les enjeux liés à ces technologies et d'en débattre, via notamment des campagnes d'information, des sites internet dédiés, l'organisation de débats publics, et de mettre en œuvre les formes appropriées de consultation et de concertation de la population. Le CEES propose aussi de moduler l'échelle de ces débats en fonction des caractéristiques et des stratégies nationales déployées au niveau local. Enfin, le CEES précise rester conscient que les projets co-construits n'offrent pas de garantie contre les éventuelles dissensions.

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