Intervention de Annelise Tran

Réunion du vendredi 14 février 2020 à 9h30
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Annelise Tran :

Je vous remercie. Le Powerpoint que je vous ai transmis me servira de support à la présentation de mes travaux de modélisation.

AlboRun est un outil de modélisation spatiale qui produit des cartes de densité des populations de moustiques-tigres – les Aedes albopictus ; il est opérationnel à La Réunion depuis 2017, et désormais utilisé en routine. Je vous présenterai le projet Arbocarto, qui lui fait suite.

L' Aedes albopictus est le vecteur du virus de la dengue, du chikungunya et du Zika. Très adapté au milieu urbain, il est présent dans les départements et régions d'outre-mer, mais aussi dans les départements français métropolitains ; devenu une forte nuisance, il présente un risque sanitaire important.

Le projet Arbocarto repose sur les résultats des expériences menées à partir d'AlboRun, un outil de cartographie prédictive pour la surveillance des maladies à transmission vectorielle – utilisé par les services de lutte antivectorielle (LAV). Il a été développé en collaboration avec l'Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen (EID) et l'agence régionale de santé (ARS) de l'océan Indien.

Arbocarto s'intègre dans une convention-cadre de la direction générale de la santé (DGS), du Centre national des études spatiales (CNES) et du service de santé des armées (SSA), relative à l'e-santé, sur le développement d'un outil opérationnel pour la modélisation spatiale des populations d' Aedes albopictus en France métropolitaine et en outre-mer.

Comme AlboRun, il s'agit d'un outil de cartographie prédictive à une échelle spatiale adaptée pour les actions de surveillance et de contrôle des services de LAV, qui intègre des données météorologiques et environnementales.

Quel est son principe de fonctionnement ? Le modèle générique de la dynamique de population de moustiques a été développé en partant du postulat qu'il devait être adaptable à différentes espèces de moustiques – Aedes albopictus, Aedes aegypti, Anophèles, Culex, etc. – dans diverses zones géographiques.

Ce modèle est alimenté par deux entrées. D'abord, par un fichier environnemental précisant le découpage du territoire en zones d'intervention. Pour chacune de ces parcelles, il est important de décrire la capacité de charge de l'environnement, à savoir la disponibilité en gîtes larvaires – récipients d'eau dans lesquels les Aedes albopictus femelles peuvent pondre leurs œufs. Ensuite, par les données météorologiques journalières – pluie et températures.

En sortie, nous obtenons un fichier géographique capable de prédire, pour chacune des parcelles, le nombre de moustiques présents. Il est possible de visionner les données dans Google Earth ou de les utiliser dans des systèmes d'information géographiques (SIG). Et les données du SIG peuvent, par exemple, être croisées avec les données de localisation d'un cas de dengue.

Le modèle est fondé sur le cycle de vie du moustique – commun à toutes les espèces. Le moustique se développe en deux phases. D'abord, une phase aquatique, avec les œufs, les larves et les nymphes ; ensuite, le moustique émerge et connaît une phase aérienne qui, pour les femelles est la suivante : reproduction, repas de sang, maturation et ponte des œufs.

Les gîtes larvaires d' Aedes albopictus et Aedes aegypti sont très petits, il s'agit de contenants d'eau stagnante, tels que les pots de fleurs, les pneus ou autres objets abandonnés qui se remplissent de pluie.

Le modèle de la dynamique de population de moustiques respecte ce cycle de vie, en définissant un modèle en compartiments – pour les œufs, les larves, les nymphes, etc. Dans le compartiment adulte, nous trouvons les femelles émergentes, les nullipares – qui n'ont jamais pondu – comme les pares. Et pour toutes les femelles, nous avons défini différents stades suivant leur activité, : il y a celles qui sont en recherche d'hôtes, celles qui sont gorgées de sang et celles qui sont en recherche d'un site de ponte.

De sorte que le modèle, fondé sur un système d'équations différentielles ordinaire, permettra d'estimer le nombre d'individus dans chacun de ces compartiments, en calculant la différence entre le nombre d'individus le jour précédent, le nombre d'entrants et le nombre d'individus morts ou passés au stade suivant.

Un tel modèle nécessite des paramètres et des fonctions décrivant à quelle vitesse les moustiques passent d'un compartiment à l'autre. À ces transitions – changement de compartiment –, nous ajoutons des données relatives à la température, à la pluie et à la capacité de charge de l'environnement, à savoir à la disponibilité en gîtes larvaires.

Toutes les fonctions de transition dépendent de la température : plus il fait chaud, plus elles sont rapides. La pluie peut entraîner un lessivage des gîtes et donc une forte mortalité. Ces connaissances, relatives à l'impact des conditions météorologiques et environnementales sur les transitions d'un stade à l'autre du moustique, peuvent être intégrées dans les équations du modèle.

Les paramètres et les fonctions ont été définis à partir de la littérature, d'études expérimentales ou d'expertises ; de fait, nous n'avons pas besoin de nouvelles données entomologiques pour calibrer le modèle.

Le modèle générique de la dynamique de population de moustiques a fait l'objet de plusieurs publications, tout comme le modèle appliqué à l' Aedes albopictus en zone tempérée – à Nice –, et celui appliqué à l' Aedes albopictus en zone tropicale – à La Réunion.

Je l'ai dit, les sorties du modèle sont des fichiers géographiques pouvant être intégrés à un SIG ou visualisables sur Google Earth. Sur ces cartes prédictives, les densités de moustiques sont signalées par des couleurs, allant du vert au rouge – faible à forte densité.

En métropole, nous avons testé le modèle élaboré pour Nice, à Montpellier, Grenoble et Bordeaux. Ces cartes ont pour vocation d'aider les services de LAV ou les ARS à orienter leurs actions de surveillance et de prévention. Il est important, lorsque nous disposons de données de terrain, de valider le modèle. Vous pouvez constater qu'à Montpellier, la corrélation entre la prédiction et les observations sur le terrain est très satisfaisante.

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Pour Grenoble et Bordeaux, nous disposions de moins de données de terrain, mais le modèle reproduit tout de même la dynamique de population dans les zones où le moustique est installé.

Concernant l'interface utilisateur du modèle, elle permet de piloter le modèle et de l'utiliser en routine, avec un fichier environnemental des différents gîtes larvaires et les données journalières de Météo France. En sortie, l'utilisateur obtient un fichier géographique des densités de moustiques.

À ce modèle, nous avons ajouté des fonctionnalités, notamment la possibilité de paramétrer le fichier environnemental en prenant en compte l'occupation et l'usage du sol et la végétation – estimation de la capacité de charge de l'environnement. Nous disposons, à La Réunion, de nombreuses données de terrain, le nombre de gîtes larvaires par parcelles étant relevé depuis plusieurs années par les équipes de terrain ; nous pouvons ainsi valider les prédictions du modèle. Ce qui n'est pas le cas en métropole. De sorte que nous avons procédé à des estimations en fonction de la typologie urbaine et de la végétation – un nombre de gîtes par hectare – que nous appliquons au fichier.

(image non chargée)

En outre, l'utilisateur peut souhaiter, en fonction des observations de terrain, connaître les endroits très productifs de gîtes larvaires, comme des maisons abandonnées ou des décharges sauvages, que nous avons appelés des « points noirs ».

Enfin, dernière fonctionnalité – matérialisée par des points verts –, la possibilité de simuler une action de prévention, telle que la diminution, par exemple, de 50 % du nombre de gîtes larvaires, après une campagne d'information et de sensibilisation, visant à motiver la population à vider l'eau de leurs récipients laissés dans leur jardin.

Arbocarto est une application Java « packagée » ; il s'agit uniquement d'un exécutable. Dans l'interface de démarrage, le menu comporte plusieurs modules, dont l'« initialisation », qui permet de définir l'espèce sur laquelle l'utilisateur souhaite travailler, la « simulation », destinée à être utilisée en routine, et un certain nombre d'autres servant à paramétrer le fichier environnemental. Ce démonstrateur peut être utilisé de façon opérationnelle toutes les semaines, en intégrant les nouvelles données météo, en mode « analyse » pour le suivi, ou encore en mode « test » ou « communication ».

Je ne sais pas comment cet outil a, pour l'instant, été utilisé.

Une documentation a été élaborée et des formations ont été délivrées, entre décembre 2018 et décembre 2019, à Grenoble, Bordeaux, Montpellier et en Martinique, aux personnels des ARS et aux opérateurs des services de lutte antivectorielle. C'est ma collègue Marie Demarchi, ingénieure indépendante à la Maison de la télédétection, qui s'est occupée de son transfert et qui assiste actuellement l'ARS Occitanie pour de nouveaux sites – Toulouse et Perpignan. Il n'est pas encore utilisé en routine.

Il a été procédé à une diffusion plus large de ce démonstrateur Arbocarto, en dehors des sites pilotes. Il est notamment en ligne sur le site de dépôt de données du CIRAD Dataverse. Son utilisation est soumise à l'autorisation de la DGS, son propriétaire, il convient donc de remplir un formulaire avant de le télécharger et de l'utiliser.

Concernant AlboRun, cette diapositive explique comment mes collègues de l'ARS océan Indien l'utilise, en le combinant avec un certain nombre d'informations qu'ils croisent dans le SIG du service de la LAV.

Durant une épidémie de dengue, il est notamment combiné avec les données épidémiologiques sur la localisation des cas. Il peut également être combiné avec des informations sur l'historique des interventions sur le terrain. Ou encore avec des données externes, telles que la localisation des ruchers, afin de ne pas pulvériser d'insecticide à proximité de zones sensibles. Au final, la combinaison des informations permet de prioriser les zones sur lesquelles les services interviendront, et de définir leurs actions.

Enfin, les perspectives.

Concernant la recherche, nous travaillons en ce moment sur le couplage du modèle de la dynamique de population de moustiques avec des modèles de transmission, notamment sur la dengue. Nous utilisons ces modèles combinés pour étudier les effets des actions de contrôle, en lutte intégrée, ou avec des méthodes de lutte innovantes, comme la technique de l'insecte stérile ou la technique d'auto-dissémination.

S'agissant des perspectives opérationnelles, il est prévu de déployer l'outil en Asie du Sud-Est. Pour la métropole, je vous l'ai dit, c'est Marie Demarchi qui s'occupe de son transfert. Enfin, des discussions sont en cours entre la DGS et le CNES pour financer l'amélioration de l'outil.

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