Effectivement, pour une bonne gestion lorsque l'on utilise des techniques d'application de produits, il est important d'avoir plusieurs molécules actives pour éviter la génération de phénomènes de résistance de l'espèce. La stratégie habituelle consiste à alterner les produits dans l'espace et dans le temps.
Dans le cas des moustiques, nous sommes confrontés à un double problème. Le premier est la possibilité de n'utiliser qu'une famille d'insecticides – celle des pyréthrinoïdes à laquelle appartient la deltaméthrine – pour gérer les aspects de santé publique. Cela nous expose, en cas d'apparition de résistances, à être démunis pendant un moment avant d'avoir recours à d'autres produits.
Le même problème se pose avec le BTI ; la petite différence est qu'il comporte en fait quatre toxines – bien qu'il ne s'agisse que d'un seul produit – ce qui réduit les possibilités d'apparition de résistances.
Lorsque l'on doit lutter contre Aedes albopictus, il nous faut des techniques efficaces donc étudier d'autres molécules pour garantir cette efficacité. Par ailleurs, puisqu'aucun pays n'arrive à gérer Aedes albopictus de façon satisfaisante, il faut également ouvrir son esprit et essayer d'avoir recours à des techniques qui ne sont pas encore présentes sur le marché ou, en tout cas, qui ne sont pas efficaces clés en main et qu'il faut développer.
La première, parmi celles que vous avez citées, est l'auto-dissémination. Nous sommes particulièrement concernés par cette stratégie puisque c'est justement l'une des stratégies alternatives étudiées à l'EID Méditerranée en recherche appliquée, donc pour un développement et une application réelle dans des conditions opérationnelles. Nous sommes une des très rares équipes à travailler sur cette technique, qui est nouvelle puisqu'elle fera intervenir directement le comportement du moustique dans sa stratégie de contrôle. C'est quelque chose qu'il convient de continuer à développer et nous travaillons actuellement dessus.
Vous avez parlé également de barrières de pièges. Ce sont des techniques alternatives qui ont été étudiées dans notre laboratoire. Cela présente quelques intérêts dans des contextes particuliers. De toute façon, pour les autres techniques, il est nécessaire de bien les connaître parce que, finalement, aucune technique ne sera satisfaisante à 100 % utilisée seule. Il faudra toujours composer une stratégie de lutte avec différents outils en fonction des contextes.
Nous avons utilisé les techniques de piégeage pour des espèces de marais dans des contextes particuliers avec une certaine efficacité. En ce qui concerne le moustique tigre, les techniques de piégeage sont beaucoup plus compliquées à utiliser : le moustique se déplaçant peu, il est nécessaire pour faire des captures, d'une part d'avoir des pièges qui sont efficaces ce qui n'est pas le cas de tous les pièges vendus actuellement dans le commerce, d'autre part, de les disposer avec une réelle cohérence, en tenant compte de la biologie de l'espèce.
Parmi les pistes de méthodes de lutte alternative qui relèvent encore de la recherche et ne sont pas appliquées massivement, la technique de l'insecte stérile présente énormément d'intérêt mais il faut encore faire la démonstration de son efficacité concrète sur le terrain. Elle est actuellement testée à La Réunion. La technique de l'insecte stérile vise à diminuer énormément, voire à éradiquer localement, une espèce de moustique dans un territoire donné, à condition que l'espèce ne soit pas constamment réintroduite. Il convient donc d'abord d'étudier cette technique dans des contextes insulaires, dans des milieux fermés, avant de pouvoir l'envisager à plus grande échelle sur des secteurs de continents comme notre zone d'action.
Ensuite, d'autres problèmes vont se poser : puisque le moustique se déplace peu et que les reproductions ont lieu de façon très régulière, utiliser la technique de l'insecte stérile nécessite de relâcher de grandes quantités de moustiques, très fréquemment, sur des distances relativement courtes. Il faut donc disposer en amont de tous les moyens pour pouvoir développer sur le terrain cette stratégie. Nous travaillons avec des laboratoires qui étudient cette stratégie et nous nous tenons au courant de ces avancées.
Nous pouvons arriver à générer des insectes stériles de trois façons différentes. La première est l'irradiation. C'est la technique réunionnaise qui est à mon sens la meilleure. Elle consiste à prendre des populations locales qui seront stérilisées et relâchées.
Nous pouvons aussi obtenir des insectes stériles par l'utilisation de bactéries endosymbiotes, des Wolbachia, ce qui pose un peu plus de questions parce qu'il s'agit presque d'organismes génétiquement modifiés (OGM). Les Wolbachia peuvent présenter des avantages, dont la fameuse incompatibilité cytoplasme qui génèrera des descendants non viables, mais elles peuvent aussi considérablement modifier l'insecte et augmenter sa longévité, voire favoriser ou diminuer – diminuer serait plutôt une bonne chose – sa capacité à acquérir des pathogènes. Il faut donc faire attention lorsque l'on manipule ces stratégies.
Les dernières stratégies, à mon sens, accroissent encore le risque. La première est la technique RIDL. Cette technique consiste à prendre des moustiques de la même espèce mais qui ne viennent pas forcément du même endroit et sont porteurs d'un gène délétère pour leur survie. Cette technique a été développée par Oxitec. Même s'ils continuent leurs essais, nous voyons que, d'une part, cela pose de gros problèmes en termes d'acceptation sociale puisque ce sont des moustiques génétiquement modifiés et que, d'autre part, les résultats de terrain qui ont été obtenus, en tout cas sur la première génération de moustiques OGM RIDL, ne sont pas vraiment satisfaisants et manquent de transparence.
À l'extrême, la deuxième stratégie est celle des techniques de forçage génétique. Ce sont des possibilités que la science ouvre aujourd'hui et pour lesquelles il faut, à mon sens, prendre énormément de précautions puisque, théoriquement en tout cas, nous allons pouvoir modifier complètement une population sans avoir de recul sur les conséquences de ces modifications.
Je pense que, pour des techniques à court ou moyen terme, l'auto-dissémination, la technique de l'insecte stérile par irradiation et, éventuellement, les pièges sont les techniques qui semblent les plus prometteuses.
Les réflexions qu'il est nécessaire d'avoir en amont de l'utilisation d'OGM sont quand même importantes. Je pense que c'est plutôt pour beaucoup plus tard et je ne suis pas sûr que nous ayons une réponse opérationnelle à court et moyen terme avec ces méthodes.