Intervention de Bruno Tourre

Réunion du lundi 8 juin 2020 à 17h05
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Bruno Tourre, directeur général de l'EID :

Le sujet est vaste, madame la rapporteure.

Comme je l'indiquais à l'instant, plus que la recentralisation, ce sont les conditions de cette transition qui sont importantes pour nous, c'est-à-dire les conditions dans lesquelles s'exercera désormais la lutte anti-vectorielle, et surtout les modalités qui seront mises en œuvre pour conserver les compétences et les capacités des opérateurs publics.

Nous vous avons dit que les opérateurs publics avaient développé des compétences fortes depuis longtemps. Ils étaient jusqu'à présent quasiment les seuls à intervenir sur le territoire national. Il s'agit donc bien de conserver ces capacités et ces compétences des opérateurs, sans oublier leur déontologie d'acteurs publics, en particulier en matière de limitation du nombre de traitements. Il faut en effet absolument limiter le nombre de traitements pour éviter le développement potentiel de résistances aux insecticides.

Sur le principe d'un appel à candidatures, nous ne sommes pas contre l'intervention d'autres opérateurs et en particulier d'opérateurs privés, ne serait-ce tout simplement que parce qu'il n'y a pas d'opérateur public de démoustication sur la totalité du territoire national. Seule une petite partie territoire national est couverte par des opérateurs publics.

Il se trouve que c'est sur cette même partie du territoire national que le moustique tigre s'est d'abord implanté, c'est-à-dire sur la façade méditerranéenne avec l'EID Méditerranée, la vallée du Rhône et Rhône-Alpes avec l'EID Rhône-Alpes et la façade atlantique, vers Toulouse et Bordeaux, avec l'EID Atlantique. À terme, le moustique tigre colonisera la totalité du territoire national, il ne faut pas se leurrer. Il n'y a pas d'opérateur public sur le reste du territoire national ; par ailleurs, la génération d'opérateurs publics de démoustication est intimement liée à la lutte contre les nuisances ; elle est en effet leur vocation principale et leur a permis d'avoir des forces de frappe pour développer une activité secondaire de lutte anti-vectorielle. En conséquence, la création ex nihilo d'un opérateur public uniquement pour la lutte anti-vectorielle n'est pas totalement justifiée.

J'insiste toutefois sur le fait qu'il faut veiller à conserver les savoir-faire, les compétences et les capacités des opérateurs. L'Anses, dans un avis qu'elle a rendu le 19 juillet 2019, l'a souligné explicitement. Les collectivités membres de l'EID Méditerranée l'ont aussi exprimé, tant auprès des ministres de la Santé que des directeurs généraux des ARS, en particulier du directeur général de l'ARS Occitanie. Je crains hélas que nous n'ayons pas été extrêmement écoutés.

Pourquoi conserver ces compétences ? La question n'est pas uniquement de réaliser des traitements ponctuels contre des cas importés par des malades rentrant de la zone intertropicale. Elle est surtout de savoir faire face lorsqu'interviendront des épisodes autochtones, parce qu'il y en aura, que ce soient des foyers uniques ou des foyers multiples, c'est-à-dire grosso modo savoir faire face à ce qui correspond aujourd'hui aux niveaux 3 et 4 du plan national anti-dissémination.

Il y a eu des foyers autochtones : un foyer de chikungunya en 2014 en Occitanie à Montpellier, un foyer de dengue en 2015 également en Occitanie à Nîmes, un foyer de chikungunya en 2017 dans le Var, un foyer extrêmement important de West Nile en 2018 dans les Alpes-Maritimes et le Var, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le Président.

Il y a et il y aura de plus en plus d'épisodes autochtones. Lorsqu'il s'agit de foyers autochtones, ce n'est plus du tout la même chose. Il faut envoyer des moyens importants pendant un certain laps de temps qui peut être une semaine, dix ou quinze jours. Il faut mobiliser des moyens opérationnels sur le terrain pour faire des enquêtes, mobiliser des laboratoires. Il faut mobiliser nos entomologistes du siège et, pour l'instant, seuls les opérateurs publics en disposent. Si on les élimine de la lutte anti-vectorielle, je ne sais pas qui fera cela à leur place. Ces épisodes autochtones nécessitent donc une forte capacité de mobilisation de moyens telle que celle dont dispose l'EID Méditerranée.

Je vous donne un exemple. En 2019, nous avons réalisé 185 traitements dans la totalité de nos 17 départements, dont une soixantaine dans le département de Haute‑Garonne. Dans ce seul département de Haute-Garonne, nous avons fait quasiment la totalité des traitements au mois d'août et, en une seule semaine, nous en avons organisé un nombre extrêmement important, plus que tout ce qui était fait ailleurs dans tout le reste de la France. Cela a nécessité que nous mobilisions plusieurs équipages, tous les jours de cette semaine en Haute-Garonne. Il fallait toute la logistique, les matériels et toute la logistique humaine. Pour l'instant, seul un opérateur public est capable de faire face ainsi.

Pour les foyers autochtones, la question n'est pas de savoir s'il y en aura, mais plutôt quand et où il y en aura. Nous pensons, ainsi que l'a dit le Président de la République dans son premier discours du 12 mars sur la crise sanitaire due à la Covid-19, qu'il est des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. La lutte contre la transmission des maladies vectorielles par les moustiques doit peut-être, au moins en partie, être placée en dehors des lois du marché. C'est ce que nous pensons à l'EID Méditerranée ; c'est ce que pensent de nombreux opérateurs publics de démoustication, si ce n'est leur totalité.

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