Intervention de Dr Marie-Claire Paty

Réunion du mardi 9 juin 2020 à 17h15
Commission d'enquête chargée d'évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques aedes et des maladies vectorielles

Dr Marie-Claire Paty, coordonnatrice de la surveillance des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies vectorielles au sein de la direction des maladies infectieuses de Santé publique France :

Comme vous l'avez dit, Henriette de Valk et moi-même sommes toutes les deux médecins épidémiologistes. Personnellement, après quelques années de pratique clinique, j'avais travaillé dans les années 2000 à la direction générale de la santé (DGS) sur les premiers plans contre les maladies à transmission vectorielle.

Henriette de Valk, qui est responsable de l'unité depuis plusieurs années, a connu la plupart des crises liées aux maladies à transmission vectorielle.

Les maladies à transmission vectorielle, vous le savez, présentent de nombreux défis, parmi lesquels leur expansion, des émergences ou réémergences répétées et leurs liens très forts à l'environnement et aux activités humaines. Elles réservent aussi des surprises, comme des modes de transmission pas uniquement vectorielle : la transmission par les produits humains tels que la transfusion sanguine et la greffe, ainsi que, parfois, la transmission sexuelle.

Je commencerai par décrire les compétences de Santé publique France en matière de lutte contre les maladies vectorielles. Santé publique France n'est pas à proprement parler en charge de la gestion ni de ce qu'on appelle la lutte anti-vectorielle au sens strict, qui comprend la démoustication et des actions de mobilisation sociale. Mais par ses missions, Santé publique France participe au pilotage et à la gestion de la lutte contre les maladies vectorielles.

La surveillance épidémiologique consiste principalement, dans ce sens, en la détection et l'investigation des cas d'arboviroses en lien avec les services de lutte anti-vectorielle qui vont intervenir autour de ces cas pour prévenir une dissémination. Cette fonction de surveillance a aussi une visée d'alerte et d'orientation des politiques publiques.

La prévention repose en premier lieu sur la détection précoce des éventuels cas, de façon à faire des actions de contrôle comme la lutte anti-vectorielle. Concernant la prévention, Santé publique France élabore et met à disposition des outils d'information du public, en particulier des voyageurs et des professionnels de santé. Nous menons aussi des études qui permettent de décrire et de comprendre les comportements, comme les baromètres santé, qui peuvent d'ailleurs être réalisés à l'échelle régionale. Il faut néanmoins souligner le rôle prépondérant des agences régionales de santé (ARS) dans le domaine de la prévention, au travers des actions qu'elles financent, via des appels à projets par exemple, et au travers de leurs propres partenariats.

Enfin, en cas de crise, notamment d'épidémie pour ce qui nous concerne, après avoir lancé l'alerte, Santé publique France participe à la gestion de crise, dans le domaine de la communication au travers de la réalisation de spots télévisuels ou radiophoniques, ainsi qu'en réalisant le suivi épidémiologique de l'épidémie. Les travaux de modélisation réalisés avec nos partenaires modélisateurs scientifiques au cours de la crise, ont à plusieurs reprises permis d'anticiper les besoins en termes de soins, de structures sanitaires et de lutte anti-vectorielle. Enfin, lorsque c'est nécessaire, la réserve sanitaire peut être sollicitée et faire appel à des réservistes formés en lutte anti-vectorielle.

Pour réaliser la surveillance épidémiologique, nous utilisons différents outils : la déclaration obligatoire, le partenariat avec des réseaux de médecins sentinelles et des réseaux de laboratoires. Nous utilisons aussi les données hospitalières. Nous avons donc toute une palette d'outils, qui vont être utilisés ou non en fonction du niveau de circulation d'une infection. S'il n'y a pas de cas d'une maladie, nous allons utiliser des outils très sensibles qui chercheront à détecter le premier cas, et ce ne seront pas tout à fait les mêmes que lorsque l'on fait face à une épidémie. Les manifestations cliniques et les complications d'une maladie vont aussi guider les outils que nous utilisons. Une maladie grave avec des complications menant à l'hospitalisation ou à la réanimation va mener à des surveillances spécifiques avec les partenaires réanimateurs ou à des surveillances hospitalières. Lors de l'épidémie de Zika, des complications fœtales avaient amené à développer des partenariats pour la surveillance des complications obstétricales et fœtales.

Ces stratégies d'utilisation des différents outils sont définies dans des protocoles et dans des plans, notamment les programmes de surveillance, d'alerte et de gestion des épidémies (PSAGE), qui sont appliqués depuis plusieurs années aux Antilles. À la Réunion et à Mayotte, c'est dans le cadre d'un plan ORSEC. En métropole, c'était dans le cadre du plan anti-dissémination du chikungunya et de la dengue jusqu'en 2019. La disparition de ces plans, avec les nouveaux textes réglementaires de 2019, pose quelques questions sur les outils de type protocoles et plans que l'on pourra utiliser à l'avenir, et sur la manière de les élaborer.

Enfin, les données de surveillance font l'objet de rétro-informations régulières ; elles visent à être partagées. L'information s'adresse aux décideurs, aux professionnels, notamment de santé, et à la population, sous forme de points épidémiologiques. Le rythme de publication de ces points épidémiologiques est adapté à la situation ; il est accéléré en situation épidémique.

Enfin, nous organisons régulièrement des bilans et des retours d'expérience afin de faire évoluer si besoin nos outils et nos stratégies de surveillance.

Comment ces protocoles et ces plans sont-ils élaborés ? En raison du défi des maladies à transmission vectorielle – cet aspect lié aux activités humaines, à l'environnement, aux réservoirs animaux –, nous travaillons avant tout sur un mode collaboratif avec nos réseaux de partenaires, tant au niveau national que régional. Nos partenaires, ce sont en premier lieu les centres nationaux de référence, en particulier le centre national de référence des arbovirus, puisque nous parlons des maladies transmises par les Aedes. Ce sont aussi les opérateurs publics de démoustication, les autres agences sanitaires comme l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l'Établissement français du sang (EFS). Ce sont des chercheurs dans divers domaines : l'entomologie, les sciences environnementales, les modélisateurs, mais aussi les sciences humaines et sociales qui sont fondamentales notamment quand il s'agit de prévention et de promotion de la santé. Nous avons ainsi de nombreuses collaborations avec l'Institut de recherche pour le développement (IRD), l'Institut Pasteur, l'École des hautes études en santé publique, ainsi que l'unité de recherche mixte sur les virus émergents à Marseille, où est d'ailleurs situé le Centre national de référence des arbovirus. Ces collaborations visent à un partage d'informations et un partage de connaissances, à une analyse partagée du risque de ces maladies vectorielles, ainsi qu'à la réalisation d'études. Nous participons de plus à des travaux de recherche.

Pour mener à bien ce travail, nous disposons d'un programme maladies vectorielles qui inclut les actions que nous menons et nos partenariats. Santé publique France est organisée d'une part, à un niveau national, avec des directions métiers, dont la direction des maladies infectieuses, mais aussi la direction Prévention et promotion de la santé, la direction Alertes à crise et une direction Appui, traitement et analyse de données ; et d'autre part, avec des cellules en région qui sont qui sont réunies au sein d'une direction des régions.

Nous avons un niveau national, et un niveau régional qui est une grande richesse et une grande force pour des pathologies comme les maladies vectorielles. Depuis quelques années, nous avons organisé un groupe d'échanges de pratiques afin de collaborer au sein même de Santé publique France. Ce groupe est piloté par la direction des maladies infectieuses et la cellule régionale métropolitaine qui a le plus d'expérience et d'historique de ces maladies, qui est celle de Provence-Alpes-Côte d'Azur – Corse. L'objectif de ce groupe et de cette méthode de travail est de mutualiser nos expériences, nos expertises, de monter en compétences. Il nous a permis jusqu'à présent une assez bonne adaptabilité et réactivité. Nos échanges sont constants. Nous avons régulièrement, chaque année ou à l'occasion de nos bilans, des propositions d'évolution de nos dispositifs et de nos outils.

Vous nous aviez interrogées sur l'architecture institutionnelle. Je commencerai par les régions, puisque nous parlons, comme vous le souligniez, de pathologies à forte dimension territoriale. Au sein des régions, les interlocuteurs principaux des cellules de Santé publique France sont les ARS. Les modalités de collaboration entre les cellules en région et les ARS peuvent varier localement selon les régions. De façon générale, la cellule de Santé publique France élabore le dispositif de surveillance, apporte son appui et des conseils à l'ARS ; elle organise et mène les investigations en collaboration avec l'ARS, par exemple quand il y a une investigation à faire sur le terrain. C'est la cellule de SPF qui assure la rétro-information.

La prévention sur le terrain est vraiment davantage le domaine de l'ARS. C'est aussi une activité des opérateurs de démoustication. Les liens avec les mairies, pour ce qui nous concerne, sont rares. De la même manière, les interlocuteurs des mairies et des préfets sont les ARS. Dans les départements d'outre-mer, cette répartition des tâches et d'organisation est concrétisée par des comités d'experts qui sont animés par la cellule d'intervention en région (CIRE) de Santé Publique France, qui analysent et qui proposent ; et des comités de gestion qui décident, et qui sont, eux, animés par l'ARS. En cas de crise, la gestion relève du préfet. Par exemple, déclarer le passage en phase épidémique, disons en Guadeloupe, où existe en ce moment une épidémie de dengue, relève du préfet.

Au niveau national, la tutelle de Santé publique France est la direction générale de la santé (DGS) et les acteurs concernés par les maladies vectorielles au niveau national sont aussi les autres ministères, je le disais tout à l'heure, en particulier le ministère de l'Agriculture et le ministère de l'Environnement. Ce sont aussi les autres agences sanitaires. À l'Anses, il y a le laboratoire de référence de la fièvre West Nile et il y a aussi un groupe d'experts, le groupe de travail sur les vecteurs que vous allez auditionner bientôt, il me semble. Ce sont pour nous des interlocuteurs, des partenaires institutionnels. Il y a aussi l'ANSM, l'EFS et l'Agence de la biomédecine, parce que les risques de maladies vectorielles, comme je vous le disais tout à l'heure, sont également liés à la transfusion et à la greffe, en particulier l'infection à virus West Nile. C'est un vrai sujet, qui impose la protection des donneurs mais aussi l'assurance d'avoir des stocks de produits sanguins suffisants en situation épidémique. Bien entendu, nous travaillons aussi avec le Haut Conseil de la santé publique. Les experts cliniciens, virologues et les équipes de recherche peuvent être des partenaires, tant à l'échelle nationale, sur des projets nationaux, qu'à l'échelle régionale, sur des projets régionaux.

J'ai repris une question de votre questionnaire, où vous relevez une recommandation d'un article du Bulletin épidémiologique hebdomadaire, qui recommandait d'adapter la stratégie de lutte aux nouveaux enjeux écologiques et climatiques. Nous tenons beaucoup à cela à Santé publique France et que nous avons toujours argumenté et milité pour un dispositif qui soit adapté aux risques vectoriels. Pour nous, il s'agit, malgré l'augmentation des cas d'arboviroses et des épisodes épidémiques, comme on les connaît tous, d'être en mesure de limiter l'utilisation des insecticides, c'est-à-dire de ne pas les utiliser larga manu, mais de les utiliser d'une façon proportionnée au risque. Par exemple, nous avions fait des travaux et nous avions proposé de limiter, dans la situation métropolitaine notamment, l'utilisation des insecticides aux cas humains confirmés et probables, de ne pas mettre d'insecticides avant d'être sûr du diagnostic, et aussi d'avoir une utilisation efficiente de ressources humaines et techniques, qui sont quand même assez contraintes, en particulier en métropole – mais ce constat ne vaut pas que pour la métropole – où il n'y a pas des milliers d'agents de lutte anti-vectorielle ni d'éléments techniques. Pour cela, nous pratiquons une évaluation constante de nos pratiques et du risque de maladies vectorielles. Notre travail est interdisciplinaire et en réseau, dans une logique de santé globale. Nous menons donc des études de terrain ; nous participons et collaborons avec la recherche.

Cette préoccupation se traduit aussi par le souci de s'adapter aux spécificités régionales, puisque la situation épidémiologique et le risque de maladies vectorielles ne sont pas les mêmes dans toutes les régions du territoire national. Ceci est possible grâce à l'implantation des cellules d'intervention en région, qui sont vraiment une force, avec en particulier les comités d'experts locaux que je mentionnais tout à l'heure, qui sont animés par les CIRE et qui ont une connaissance locale adaptée à la situation locale ; des plans et des protocoles locaux – je parle des PSAGE aux Antilles – qui permettent une déclinaison des actions selon le niveau de transmission et la situation locale, et aussi des actions de recherche. Je parlais beaucoup de recherche opérationnelle jusqu'à présent. Je pense par exemple à une étude sur la séroprévalence du chikungunya à Saint-Martin, quand il y avait une épidémie en 2013 dans les Caraïbes et en Amérique latine. Je pense aussi à une étude de séroprévalence du Zika à Hyères. Lorsque nous avons détecté trois cas de Zika à Hyères, nous avons pu rapidement faire une enquête de séroprévalence, dont l'objectif était de connaître la diffusion exacte de cette infection dans la population. Ces recherches opérationnelles permettent aussi de bien caractériser les risques locaux. Nous avons aussi des travaux de modélisation de l'épidémie de dengue qui sévit à La Réunion – nous sommes à la troisième vague épidémique en trois ans. À l'époque de l'épidémie de Zika aux Antilles, des études de modélisation avait permis de caractériser le risque et aussi d'anticiper les besoins en lutte anti-vectorielle, mais aussi en lits de réanimation pour les syndromes de Guillain-Barré, ainsi qu'en matériels et en compétences obstétricales.

Les spécificités régionales, c'est aussi l'environnement régional international. Nos collègues en région nouent des partenariats, par exemple avec l'Agence de santé publique pour la Caraïbe – Caribbean Public Health Agency (CARPHA), l'Organisation panaméricaine de la santé – Pan American Health Organization (PAHO) en Amérique latine, le réseau de surveillance des épidémies et gestion des alertes (SEGA) pour l'océan Indien. En métropole, nous travaillons beaucoup avec le Centre européen de prévention et contrôle des maladies – European Centre for Disease prevention and Control (ECDC).

Par ailleurs, en métropole, il nous paraît aussi important d'adapter la surveillance et d'accompagner les équipes selon l'expansion du vecteur Aedes albopictus. Vous le savez, Aedes albopictus sera bientôt sur tout le territoire métropolitain ; pour l'instant, il ne se trouve que dans 58 départements, et la situation en Bretagne n'est probablement pas la même qu'en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA). Ce sont des choses que nous souhaitons analyser avec nos partenaires de façon à avoir des actions et des mobilisations de ressources qui soient proportionnées au risque et à la situation locale.

Au terme de cette présentation, je vais partager quelques éléments de bilan. Ce sont des éléments plutôt positifs, mais nous pouvons les mettre au crédit du dispositif existant. Nous avons une capacité de détection précoce des cas. Si nous avons détecté en métropole beaucoup plus d'épisodes de transmissions autochtones de dengue, de chikungunya et de Zika, c'est parce que nous avons une capacité de détection précoce des cas, et non parce que nous avons plus d'épisodes. L'exemple du chikungunya l'illustre bien. Nous avons mis en évidence trois petits foyers de chikungunya, de deux cas en 2010 et d'une dizaine en 2014 et 2017, en Occitanie puis en région PACA. En Italie, il y a eu deux épidémies de chikungunya qui ont atteint plus de 300 personnes en 2007 et plus de 500 personnes en 2017. Nos situations ne sont pas très différentes. On peut penser qu'aujourd'hui, nous avons une capacité de détection assez rapide. De la même manière, en 2013, l'arrivée du chikungunya dans la Caraïbe et l'Amérique latine avait été détectée assez vite par nos collègues sur l'île de Saint-Martin, où le chikungunya était arrivé. À l'époque de l'épidémie de Zika, nous avions mis en évidence plusieurs cas de transmission sexuelle en métropole. Dans nos éléments de bilan, je l'ai déjà mentionné, les collaborations avec les modélisateurs deviennent une habitude et sont une grande aide pour anticiper et dimensionner le dispositif sanitaire et de lutte anti-vectorielle en cas d'épidémie.

S'agissant des souhaits d'évolution, c'est un peu le fil de mes propos, il paraît important de développer, au-delà des mots, l'approche qu'on ne qualifie plus de « One Health » mais de santé planétaire. Vis-à-vis de ces maladies, il est fondamental de faciliter les échanges interdisciplinaires et les bilans, adaptations, réflexions, en particulier au niveau décisionnaire national. Il ne faut pas trop fonctionner en tuyaux d'orgue, mais faciliter les échanges et les approches interdisciplinaires. Dans la même logique, il faut renforcer la coordination de tous les acteurs de la lutte contre les maladies vectorielles, les scientifiques, les décisionnaires, les opérateurs de démoustication, compétents en santé humaine, animale et environnementale, et à tous les niveaux ; favoriser les partages d'expérience, qui d'après notre expérience sont fondamentaux pour comprendre, faire évoluer et être en mesure de réagir ; et sécuriser les moyens humains, la formation et les compétences des acteurs de la lutte anti-vectorielle.

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