Longtemps, les moustiques ont été considérés avant tout comme une source de nuisance personnelle. Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que la médecine a établi que certaines espèces constituaient les vecteurs de transmission de nombreuses maladies infectieuses. D'objet d'études entomologiques, ils sont devenus un enjeu sanitaire.
Les Aedes ne sont qu'un des genres de moustiques, mais plusieurs espèces d' Aedes ont conquis la planète en accompagnant les déplacements des hommes. En entrant en contact avec eux dans les forêts tropicales, qui sont leur habitat originel, en les suivant dans leurs déplacements, ils sont devenus anthropophiles. Leur prolifération n'est donc pas due à une évolution naturelle, mais à leur adaptation à un milieu urbain où, par ses aménagements, volontaires ou fruits de négligences, et la concentration de sa population, l'homme leur fournit, en quelque sorte, le gîte et le couvert.
Depuis lors, certaines espèces de moustiques Aedes utilisent les moyens de transport employés par les humains pour conquérir la planète. Aedes aegypti a profité de la première mondialisation en voyageant d'Afrique aux Amériques et en Asie dans les cales et les réserves d'eau des navires esclavagistes, amenant avec lui la fièvre jaune. Ces quarante dernières années, à partir de l'Asie du Sud-Est, les larves d' Aedes albopictus se sont répandues autour du globe, en utilisant les pneumatiques usagés ou les plants de « bambou de la chance » comme réservoirs permettant à ses œufs de survivre pendant plusieurs mois. On le retrouve souvent en premier lieu sur les étapes des grands axes de communication – ports, aéroports, stations d'autoroute –, d'où il colonise les espaces urbanisés.
Les maladies vectorielles que le moustique Aedes emporte avec lui ont longtemps été qualifiées de maladies tropicales ; il faudrait désormais les qualifier de maladies globales. Ces maladies vectorielles – ou « arboviroses », comme les scientifiques les appellent – sont essentiellement des infections causées par des virus.
Selon l'Organisation mondiale de la santé, les principales maladies à transmission vectorielle représentent environ 17 % de la charge mondiale estimée des maladies transmissibles et sont responsables de plus de 700 000 décès annuels. Les zones tropicales et subtropicales sont les plus touchées. Plus de 80 % de la population mondiale vit dans des zones où il existe un risque de contracter l'une des principales maladies à transmission vectorielle.
Les vecteurs et la transmission des maladies vectorielles forment un cycle dans lequel interviennent trois acteurs : le moustique femelle, qui a besoin d'un repas de sang pour acquérir les protéines nécessaires à sa reproduction et au développement de ses œufs ; l'humain, qu'il pique pour s'alimenter ; le parasite, souvent un virus, qui se développe dans le système digestif et salivaire du moustique et qui peut ensuite être transmis à un autre humain lors d'un repas sanguin ultérieur.
L'objet de la commission d'enquête nous a conduits à nous concentrer sur les moustiques Aedes albopictus et Aedes aegypti et les principales maladies qu'ils transmettent : la dengue, le chikungunya, le Zika. Nous nous sommes également intéressés aux moustiques Culex, vecteurs du West Nile, et aux anophèles, vecteurs du paludisme.
Problème global, la prolifération des moustiques Aedes représente un enjeu de santé publique, notamment dans les territoires ultramarins, de plus en plus confrontés à des épidémies propagées par les moustiques. Le chikungunya a touché Mayotte et La Réunion en 2005-2006 ; la pandémie de Zika a atteint l'océan Pacifique et les départements français d'Amérique de 2014 à 2016 ; la dengue est endémique à Mayotte et à La Réunion.
Mais la colonisation progressive du territoire métropolitain par le moustique-tigre Aedes albopictus depuis 2004 en fait également un problème sanitaire hexagonal. En 2019, Santé publique France a recensé 657 cas importés de dengue, 56 cas importés de chikungunya, 6 cas importés de Zika, mais également 9 cas autochtones de dengue et 3 cas autochtones de Zika. Sur l'ensemble du territoire français, il faudra désormais apprendre à vivre avec les moustiques Aedes et les maladies qu'ils transmettent.
Les travaux de la commission d'enquête ont été perturbés par une autre épidémie. Les auditions prévues ont dû s'interrompre pendant la période du confinement. Une session d'auditions, consacrée à la prise en compte du risque vectoriel dans différents secteurs d'activité, a été annulée et remplacée par l'envoi d'un questionnaire aux parties prenantes. Les déplacements envisagés ont également dû être annulés. L'institut Pasteur de Paris a cependant bien voulu nous accueillir pour présenter ses recherches en cours et à venir, ce dont je le remercie. Prenant acte de ce contretemps, la loi du 23 mars 2020 a porté de six à huit mois la durée maximale des commissions d'enquête en cours. Au total, la commission d'enquête a réalisé 28 auditions et entendu près de 60 personnes.
J'ai également demandé communication des rapports inédits de trois missions distinctes conduites récemment par l'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection générale de l'administration sur des sujets entrant dans le champ de la commission d'enquête. Je regrette que le fruit de ces excellents travaux n'ait pas été publié en amont des auditions.
Celles-ci ont montré que le Gouvernement et le Parlement ont pris conscience des enjeux. Il importe dorénavant de refonder une politique nationale de lutte antivectorielle, pilotée par l'État mais déclinée au niveau local pour tenir compte de la diversité des territoires et des difficultés spécifiques des territoires ultramarins.
Le décret du 29 mars 2019 relatif à la prévention des maladies vectorielles a entrepris une salutaire remise à plat en faisant de la surveillance et de la lutte contre les moustiques vecteurs une politique nationale confiée par l'État aux agences régionales de santé. Cependant, faute d'avoir articulé cette recentralisation avec les compétences des départements et des maires, cette réforme est restée au milieu du gué.
La politique de lutte antivectorielle ne peut pas reposer uniquement sur une lutte insecticide. Son premier volet doit consister à refonder une politique de prévention : grâce à une information et une mobilisation sociale repensées, le citoyen doit être le premier acteur de la lutte contre les moustiques et, ainsi, devenir acteur de sa propre santé. Il n'est pas admissible que l'information délivrée par les médias sur le moustique-tigre provienne, pour une large part, du dossier de presse annuel d'un fabricant d'insecticides.
Dans un deuxième temps, il faut que la protection primaire contre le risque moustiques – c'est-à-dire l'absence de gîtes larvaires où les moustiques Aedes peuvent se reproduire – soit prise en compte dans l'ensemble des politiques publiques, notamment en matière d'urbanisme, de construction et de transports.
Dans un troisième temps, il faut articuler les interventions des différents acteurs publics, à savoir le maire, détenteur des pouvoirs de police administrative et seul à même d'être vigilant, les départements, chargés de la lutte de confort, les agences régionales de santé, qui mènent la lutte antivectorielle, les préfets, responsables de la mobilisation des moyens en cas d'épidémies, et les agences chargées de piloter cette politique.
Quatrième volet de cette politique : consolider le dispositif de surveillance épidémiologique, mieux former les professionnels de santé à la détection et au traitement des formes chroniques de chikungunya et de Zika et mieux lutter contre les épidémies avérées, en s'appuyant notamment sur les retours d'expérience.
Pour que cette politique se développe, il faut lui donner des outils. La lutte chimique dispose de moins en moins de solutions ; l'utilisation d'un nombre limité de produits ne peut que conduire au développement de résistances. La recherche fondamentale et appliquée travaille à de nouvelles approches dans la lutte contre les moustiques et contre les maladies vectorielles : il importe que ces projets de recherche soient soutenus de manière plus importante, notamment pour que les décideurs disposent d'une palette d'outils plus diversifiée. Il faut également veiller à informer les populations sur les potentialités et les risques de ces techniques, afin de favoriser l'engagement personnel et l'acceptabilité des moyens de lutte antivectorielle.
Comment lutter contre les Aedes ? Il ressort de nos auditions qu'un changement d'approche s'impose. Traditionnellement, lorsque l'on pense à la lutte contre les moustiques, on pense aux produits insecticides. C'est un réflexe que l'on peut comprendre, car les insecticides ont été beaucoup utilisés par le passé et continuent de l'être sous diverses formes. Du reste, ils fonctionnent plutôt bien contre les moustiques Culex ou les anophèles, qui vivent dans des zones humides, en milieu naturel, où ces produits peuvent être utilisés sans difficulté et avec un impact limité sur l'environnement.
Mais, nous devons, dans une certaine mesure, « désapprendre » ce réflexe pour ce qui concerne les moustiques Aedes, qui sont des moustiques urbains. Ils ne vivent pas dans de grandes étendues d'eau mais dans des gîtes de petite taille, liés à l'activité humaine et à proximité des habitations. L'utilisation massive d'insecticides serait donc dangereuse. Elle serait aussi totalement inefficace à terme car les moustiques développent rapidement des résistances aux produits utilisés.
Actuellement, les produits insecticides sont utilisés dans des cas précis. Lorsqu'un cas humain de maladie vectorielle est détecté, l'agence régionale de santé programme un traitement local d'épandage d'insecticide dans le voisinage de la personne malade. C'est une intervention d'envergure très réduite, dont le but est d'éliminer tous les moustiques adultes potentiellement porteurs de la maladie. En dehors de cette hypothèse, nous n'utilisons pas de produit insecticide contre les Aedes, pour les raisons que j'évoquais à l'instant. D'autres techniques sont en cours de développement mais elles ne sont pas, pour l'instant, utilisables à grande échelle.
Le premier volet d'une politique publique doit donc reposer sur la mobilisation sociale contre les gîtes larvaires, afin de prévenir la prolifération des moustiques. C'est ma première préconisation. Cela signifie que chacun doit vider les récipients d'eau et veiller à ce que les moustiques ne puissent pondre nulle part dans sa propriété. Coupelles de fleurs, bassines, bidons, gouttière, terrasse : il est du devoir de chacun d'éliminer toutes les eaux stagnantes. Il faut également se protéger contre les piqûres en portant des vêtements adaptés et des répulsifs.
Nous ne pouvons plus nous contenter de réagir aux épidémies quand elles surviennent. La crise du covid-19 nous l'a montré, nous devons nous préparer. S'agissant des maladies vectorielles, nous privilégions encore trop le curatif plutôt que la prévention. Il manque une vision d'ensemble, qui soit focalisée, non pas sur la lutte contre les foyers épidémiques quand ils apparaissent, mais sur la réduction durable du nombre de moustiques Aedes. Il nous faut donc, dès aujourd'hui, définir un plan national de prévention fondé sur la mobilisation sociale et décliné au niveau local. Ses objectifs devront tenir en trois mots-clefs : communication, implication, urbanisme.
Communication, d'abord, car c'est l'élément le plus important de la lutte contre le moustique-tigre : il faut communiquer, encore et toujours. Il faut expliquer à nos concitoyens que les moustiques Aedes ne sont pas les moustiques Culex : ils vivent chez nous, et pas dans les zones humides. Beaucoup pensent que l'on ne peut pas prévenir la prolifération des moustiques ; beaucoup connaissent les bons gestes mais ne les appliquent pas.
Pour agir de façon efficace, nous émettons, dans le rapport, un certain nombre de propositions. Il faudra, en premier lieu, adapter le registre de discours à la situation sanitaire de chaque territoire. En métropole, il est difficile de mobiliser la population en parlant des maladies vectorielles : les gens ne savent pas ce que sont la dengue, le chikungunya et le Zika, qui demeurent pour eux des maladies tropicales. C'est pourquoi insister sur la nuisance, dont tout le monde peut faire l'expérience, est souvent une piste à privilégier.
Il faudra également adapter la communication à chaque territoire. C'est, dans les outre-mer, un point essentiel qui a malheureusement souvent été négligé, voire bâclé. Il faut communiquer de la bonne manière, en s'appuyant sur les codes culturels et les acteurs locaux.
Il faudra enfin mobiliser les enfants. Si nous formons aujourd'hui les enfants à la lutte contre les gîtes larvaires, nous aurons demain des citoyens bien informés, mobilisés, et nous aurons moins de moustiques. On nous a parlé des remarquables résultats obtenus grâce aux campagnes menées dans les écoles au Vietnam. Je souhaite que l'on s'en inspire et que des actions soient menées dans toutes les classes.
Deuxième mot-clef : l'implication de la société, de toute la société. Il est en effet apparu, au cours des auditions, que si les particuliers sont responsables de la majorité des gîtes larvaires, les organismes publics sont également concernés. Les services de démoustication doivent souvent intervenir dans les lycées, par exemple. Ce n'est pas normal : les pouvoirs publics doivent être exemplaires. Aussi l'implication de tous les organismes publics devra-t-elle constituer un volet essentiel du plan national de prévention.
Enfin, troisième mot-clef : l'urbanisme. Le moustique-tigre raffole des coupelles des pots de fleurs et des bidons d'eau, mais il raffole tout autant, voire plus, des ouvrages mal entretenus dans lesquels l'eau peut stagner pendant des semaines. Le plan national de prévention devra en tenir compte, en identifiant dans chaque territoire les ouvrages à risque et en proposant des solutions. Nous avons constaté que ce n'étaient pas toujours les normes en elles-mêmes qui posaient problème, mais leur respect par les constructeurs. De ce point de vue, il convient également de former les paysagistes, les architectes et les ingénieurs du bâtiment au risque vectoriel.
Passons maintenant à une autre question essentielle, celle de l'organisation de la lutte contre les moustiques et du cadre juridique en vigueur. Cette question a été au cœur de nos travaux. Rappelons qu'elle est à l'origine de cette commission d'enquête, à la suite du décret du 29 mars 2019, sur lequel je reviendrai. Pour bien comprendre la répartition des compétences en vigueur, il faut faire deux distinctions : entre l'Hexagone et l'outre-mer, d'une part, entre la lutte antivectorielle et la lutte « de confort », d'autre part.
Il existe en effet plusieurs systèmes de lutte contre les moustiques en France : l'un dans l'Hexagone, et l'autre, voire les autres, dans les outre-mer. En outre-mer, les moustiques et les maladies qu'ils transmettent sont un problème ancien. À Mayotte, le paludisme est présent de longue date. En Guyane, la fièvre jaune sévit encore. Pour y faire face, des services de démoustication ont été créés, parfois gérés par l'État, comme à Mayotte, à La Réunion ou en Guadeloupe, parfois par la collectivité, comme en Guyane, parfois de façon conjointe, comme en Martinique. Cette organisation ne pose pas, en soi, de problème, si ce n'est peut-être dans deux territoires, où les relations entre l'État et la collectivité ne sont pas toujours au beau fixe.
Dans l'Hexagone, en revanche, la lutte antivectorielle est une politique plus récente. Si l'on a démoustiqué, à partir des années 1960, c'est pour rendre le littoral méditerranéen plus vivable et plus attractif pour les touristes. Pour ce faire, les départements se sont alliés et ont mis en place des organismes spécifiques, communément appelés « opérateurs publics de démoustication », dont le premier fut l'entente interdépartementale de démoustication du littoral méditerranéen. Ces opérateurs étaient chargés d'une lutte de confort, déconnectée des problématiques sanitaires. La loi du 16 décembre 1964 a confié un certain nombre de prérogatives aux départements et à leurs opérateurs, constituant ainsi le socle juridique de la démoustication. Pour résumer, la situation a été pendant plusieurs décennies la suivante : un cadre juridique et des organismes dédiés exclusivement à la lutte de confort dans l'Hexagone, tandis que la question des « moustiques vecteurs » était circonscrite aux outre-mer.
La situation a toutefois évolué avec l'arrivée d' Aedes albopictus dans l'Hexagone en 2004. Pour la première fois depuis plusieurs décennies, le moustique redevenait un risque sanitaire en métropole. Avec ce risque est apparu un nouvel impératif : celui de répondre à un éventuel foyer épidémique par des mesures de lutte contre les moustiques.
C'est là que les difficultés ont commencé. Le législateur a choisi, en 2004, de modifier la loi de 1964 pour y introduire des dispositions relatives à la lutte antivectorielle. De fait, celle-ci a été transférée aux organismes départementaux tout en demeurant, malgré tout, sous la supervision de l'État. Seize ans plus tard, nous sommes encore dans ce schéma juridique, malgré tous ses défauts. Les auditions et les documents recueillis aboutissent tous au même constat : ce schéma est confus et assez inefficace.
Pour y remédier, des efforts ont été entrepris au cours des dernières années. Un décret du 29 mars 2019 a ainsi recentré la compétence en matière de lutte antivectorielle autour des ARS. Il permet notamment à celles-ci de confier le traitement insecticide des zones où ont été détectés des cas humains de maladie vectorielle à des organismes publics ou privés habilités à cet effet. Cette possibilité a suscité des réserves de la part de plusieurs personnes auditionnées, qui craignent une utilisation excessive d'insecticides en cas de délégation à une entreprise. Une proposition de loi relative à la sécurité sanitaire, adoptée en première lecture au Sénat en janvier, reprend ces éléments.
Ces textes vont dans le bon sens, mais ils peuvent être étoffés. La solution que nous appelons de nos vœux pourrait être résumée par les quatre principes suivants.
Premièrement, il convient de centraliser la surveillance sanitaire, en confiant la compétence de la lutte antivectorielle aux agences régionales de santé, qui ont l'expertise nécessaire et la légitimité pour surveiller les départs d'épidémie et prendre les mesures qui s'imposent.
Mais centraliser la surveillance ne signifie pas que les ARS doivent tout faire elles-mêmes, d'où le deuxième principe : la délégation de l'exécution. En effet, il n'est pas normal que, dans un certain nombre de territoires – notamment le mien, Mayotte –, l'ARS doive prendre en charge en interne toutes les opérations de lutte contre les moustiques ; ce n'est pas son rôle. Il faut donc poursuivre sur la lancée du décret de 2019, en inscrivant la capacité de délégation dans la loi.
Troisièmement, il faut préserver l'expertise publique en matière de lutte contre les moustiques et s'assurer que la maîtrise acquise par les opérateurs publics n'est pas perdue. En effet, et j'insiste sur ce point, confier la lutte anti-vectorielle aux opérateurs existants présente l'avantage de mutualiser lutte de confort et lutte anti-vectorielle. Cette mutualisation est d'autant plus importante que ce que nous considérons aujourd'hui comme une lutte de confort pourrait devenir une lutte anti-vectorielle puisque le moustique Culex est vecteur du virus West Nile, qui pourrait très bien émerger dans l'Hexagone.
Enfin, il convient d'impliquer les communes. Il s'agit, là encore, globalement, d'un point à améliorer. Si certaines communes, qui s'appuient sur les pouvoirs de police du maire, sont très engagées dans la lutte contre les moustiques et mènent des actions remarquables en la matière, d'autres le sont moins : elles n'ont ni les effectifs ni la compétence technique pour s'armer contre les moustiques Aedes. Quoi qu'il en soit, il faut confier aux communes et intercommunalités un rôle de veille et d'alerte.
À cet égard, trois des propositions inscrites dans le rapport me semblent particulièrement importantes.
La première consiste à donner aux agents communaux la capacité de pénétrer dans les propriétés privées, notamment en cas d'urgence et lorsque personne ne peut les y autoriser, pour y surveiller l'apparition de gîtes larvaires. Cette mesure doit être entourée de toutes les garanties légales nécessaires.
Deuxièmement, nous préconisons que toutes les communes, même les plus petites, désignent un référent « santé environnementale » ou « vecteurs » qui participerait aux réunions et formations organisées par les services de l'ARS. Lutter efficacement contre le moustique-tigre, c'est d'abord, nous l'avons dit, changer les mentalités ; dans les territoires, ce référent y contribuerait.
Troisièmement, nous proposons d'impliquer dans la lutte non seulement les communes mais aussi les intercommunalités, qui exercent des compétences larges ; je pense notamment à la compétence « déchets », s'agissant de la lutte contre les moustiques Aedes. Cependant, elles ne disposent pas des pouvoirs de police du maire.
Un travail complémentaire sera nécessaire pour adapter ce dispositif aux territoires d'outre-mer où les rapports entre l'État et les collectivités sont parfois difficiles – c'est le cas en Guyane et en Martinique – et où les communes ne sont pas assez actives contre les moustiques. Il faudra que cela change.
Autre élément essentiel mis en évidence par les travaux de la commission d'enquête : le rôle crucial de la recherche en matière de lutte contre les maladies vectorielles. Si le niveau d'excellence de la recherche française sur les arboviroses est internationalement reconnu, celle-ci demeure peu structurée malgré les différentes initiatives prises par les chercheurs en ce sens. Trop souvent, les financements arrivent lorsqu'une épidémie est avérée puis se tarissent lorsque celle-ci est terminée, de sorte qu'ils manquent pour les projets à long terme. Par ailleurs, l'approche de ces projets est encore trop disciplinaire : l'interdisciplinarité doit être un préalable.
Il ne me semble pas utile de créer une nouvelle agence. Cependant, la création d'une alliance « Vecteurs et arboviroses », sur le modèle d'Aviesan (Alliance pour les sciences de la vie et de la santé) ou de ZIKAlliance, permettrait d'animer et de dynamiser la recherche. Pourraient ainsi être organisés à échéances régulières des échanges entre chercheurs, médecins, sociologues, professionnels de la lutte antivectorielle et d'autres acteurs potentiellement intéressés, afin de définir les priorités de la recherche et, à terme, fédérer une communauté technique « vecteurs ». L'ensemble des pôles organisant la recherche auraient vocation à y participer, notamment le réseau Arbo-France, le futur centre de recherche sur les maladies vectorielles de l'Institut Pasteur et le pôle d'excellence que représente le service de santé des armées. Les territoires ultramarins devraient, du fait de leur exposition au risque endémique des maladies vectorielles, bénéficier également d'un renforcement de leurs capacités de recherche.
Au plan fonctionnel, cette structure pourrait prendre une forme souple et être dotée de moyens financiers propres, sans que soient pour autant remises en cause les missions actuellement confiées à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), notamment en matière d'évaluation des mesures de lutte, dont l'indépendance fonctionnelle vis-à-vis des opérateurs paraît indispensable. En tout état de cause, le financement de la recherche ne saurait se limiter à celui qui intervient en réaction aux événements épidémiques. Les travaux de notre commission d'enquête ont en effet montré que les maladies vectorielles étaient dues davantage à une réémergence qu'à une émergence.
Il faut notamment confier à la recherche publique la tâche de développer de nouveaux outils de lutte antivectorielle. Actuellement, la lutte insecticide repose sur l'utilisation d'une seule molécule, la deltaméthrine. Nous ne pouvons pas nous en satisfaire. Seule la mise au point de nouveaux outils nous permettra de surmonter les résistances à cette molécule qui, à terme, ne manqueront pas d'apparaître.
La recherche de nouvelles techniques de lutte contre les vecteurs doit également être encouragée. Actuellement, quatre d'entre elles sont particulièrement prometteuses. Celles de l'insecte stérile et de l'insecte incompatible porteur de la bactérie Wolbachia sont encourageantes ; les deux autres utilisent des moustiques génétiquement modifiés : la méthode RIDL ( Release of insects carrying a dominant lethal ) et la technique dite du forçage génétique. Prometteuses, ces techniques soulèvent néanmoins des problèmes éthiques qu'il s'agit d'évaluer. Si je préconise d'encourager leur expérimentation, j'insiste sur la nécessité de prendre toutes les précautions nécessaires tant vis-à-vis des territoires que de l'environnement, en s'assurant du plein consentement des populations concernées.
Je soutiens la création d'un prix de recherche « maladies vectorielles et vecteurs » financé par un grand institut de recherche ou une fondation regroupant l'ensemble de ces instituts. Ce prix permettrait d'attirer davantage de crédits internationaux ainsi que des financements privés.
Mes chers collègues, au terme de ces huit mois de travaux, je tiens à remercier ceux d'entre vous qui m'ont accompagnée lors des auditions ainsi que les administrateurs de l'Assemblée nationale, sans qui ces travaux n'auraient certainement pas abouti.
Nous sommes encore au milieu du gué : la politique de lutte contre les moustiques et les maladies vectorielles doit être refondée. Aussi, je vous propose d'interroger le Gouvernement dès que possible afin que le Parlement puisse être saisi d'un texte reprenant nos préconisations.