Intervention de Frédéric Bizard

Réunion du jeudi 30 septembre 2021 à 16h00
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Frédéric Bizard, professeur d'économie associé à l'école supérieure de commerce de Paris et à l'université Paris-Dauphine, président de l'Institut Santé :

Mes réflexions depuis plusieurs années au sein de l'Institut Santé m'amènent à considérer le problème industriel comme un problème de système. Je constate une diminution de la performance, pour ne pas parler d'effondrement, de notre industrie pharmaceutique en corollaire de notre système de santé en crise. Ce processus de désindustrialisation est relativement global, la part de l'industrie dans le produit intérieur brut (PIB) ayant été quasiment diminuée par deux en une quinzaine d'années. La production pharmaceutique connaît un problème de coûts de production et surtout de niveau de gamme. Il est antinomique de produire des produits pharmaceutiques bas ou milieu de gamme dans un pays avec un modèle social qui nécessite un coût du travail relativement élevé. Enfin, notre industrie est plombée par un système archaïque de gouvernance, de régulation et de fiscalité, pensé il y a une trentaine d'années, voire une cinquantaine d'années pour certaines choses. Une refonte systémique de notre système de santé est essentielle pour relancer une production pharmaceutique de haut niveau comme en Suisse, en Italie ou aux États-Unis.

Pour permettre une production pharmaceutique plus haut de gamme, il nous faut repenser notre système de recherche. Considérons tout d'abord l'abaissement de la gamme de production : 3 % des anticorps monoclonaux consommés en France sont produits sur le territoire national. Nous produisons en revanche plus de 50 % des médicaments non remboursés par la sécurité sociale, à service médical rendu faible. Les innovations, en particulier biothérapeutiques, sont très majoritairement produites à l'étranger. Plus de 80 % de nos sites de production pharmaceutique sont tournés vers les médicaments à base chimique, autrement dit vers les vieux médicaments de plus de dix ans. Une vraie restructuration industrielle est donc nécessaire.

Il faut relancer la recherche médicale qui, de même que la recherche en général, n'a pas été jugée comme une priorité des politiques publiques depuis vingt ans. Alors que la part de la recherche dans le PIB était de 2,1 % il y a vingt ans et se donnait pour but d'atteindre 3 % du PIB, la recherche publique et privée représente aujourd'hui 2,2 % du PIB. L'Allemagne est passée de 2,1 à 3 % pendant cette période.

Sur le plan de la recherche en santé, nous avons désinvesti au moment d'un changement de paradigme technologique où l'on passait de médicaments à base chimique à des médicaments biotechnologiques. 3,5 milliards d'euros en 2011 étaient investis dans la recherche médicale contre 2,5 milliards aujourd'hui, soit une baisse de 28 %. L'Allemagne investit 6 milliards d'euros dans ce domaine. Ce désinvestissement a contribué à la dégradation des conditions de travail des chercheurs. Nous n'avons pas été capables de retenir quelques grands chercheurs, comme Mme Emmanuelle Charpentier, en créant des packages dédiés à des cerveaux hors du commun afin qu'ils puissent mettre en place leurs propres équipes et écosystèmes.

Nous avons également un problème organisationnel et institutionnel. Les institutions sont relativement faibles. Le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation rencontre un problème organisationnel dans la sélection de projets, comme l'a montré la question des vaccins contre la Covid-19. La Cour des comptes a publié le 29 juillet 2021 un rapport sur le financement de la recherche publique dans la lutte contre la pandémie de Covid-19 très critique sur l'utilisation des deniers publics. Les agences en matière de recherche mais aussi en matière de gouvernance du médicament sont disséminées. En matière de gouvernance du médicament, les missions de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), de la Haute autorité de santé (HAS) et du Comité économique des produits de santé (CEPS) s'enchevêtrent. La création d'une agence de l'innovation en santé pour travailler de manière transversale est une bonne idée, à condition qu'elle remplace les agences existantes, et non pas qu'elle ajoute, comme il est prévu, une couche bureaucratique sans restructurer l'existant. Cette gouvernance faible a un poids important sur la performance du système. Cette réorganisation institutionnelle peut certes rencontrer des résistances sur le plan de la haute fonction publique.

Toutefois, la réorganisation dans le sens d'une simplification est une démarche purement politique, qui permettra de voir plus loin. Chaque année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) est l'alpha et l'oméga de la feuille de route à la disposition de l'ensemble des acteurs, y compris des industriels. Au sein de l'Institut Santé, nous allons présenter un nouveau modèle de santé, proposant par exemple une loi de programmation sanitaire à cinq ans, de même qu'il existe une loi de programmation en matière de défense. Cette vision à moyen ou long terme est nécessaire, car la santé publique n'est pas l'affaire d'un an et parce que les industriels ont besoin de temps pour effectuer des choix technologiques. L'Agence nationale de la recherche (ANR) avait vocation à sélectionner les projets en dehors des institutions du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) pour éviter des conflits d'intérêts avec des experts et permettre à des chercheurs innovants d'accéder à des financements assez rapidement. C'était une bonne idée, mais l'ANR, créée en 2005 et qui devait avoir un budget de 1,3 milliard d'euros, a été en quelque sorte absorbée depuis par les deux autres institutions et a désormais un budget de 600 millions d'euros. Surtout, l'ANR est tombée dans une bureaucratie qui ne lui a pas permis d'apporter l'élan qu'elle promettait, mais elle pourrait y parvenir si on la repensait.

Pour avoir une production pharmaceutique d'un niveau de gamme suffisant, il me paraît essentiel de relancer la recherche. La relocalisation de la fabrication du paracétamol prévue pour relancer la production française ne me semble pas susceptible de créer un élan très important. J'avais proposé avec l'Institut Santé de créer un « Airbus de l'acide ribonucléique (ARN) messager ». Il faut pour rattraper notre retard envisager des partenariats publics-privés avec une vision de l'État qui doit avoir une politique industrielle en santé. Nous avons des opportunités. La France était leader dans la recherche génomique et nous pouvons faire revivre cette expertise. Toutefois, ce ne sera pas Sanofi seul qui relancera la production pharmaceutique en France. Un consortium combinant la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement pour constituer un hub avec des sociétés de biotechnologies me paraît être un bon exemple de relance de la recherche et de la production pharmaceutique en France.

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