Je suis d'accord avec ce constat. La France connaît un recul important sur le marché pharmaceutique mondial. Notre excédent commercial existe, mais il a été seulement multiplié par deux, quand le marché mondial a été multiplié par 3,2 en vingt ans. En relatif, la France perd des parts de marché, aussi bien au niveau européen qu'au niveau mondial. Elle était le premier producteur européen il y a quelques années et est désormais à la quatrième place.
En premier lieu, ce déclin s'explique par la financiarisation du secteur pharmaceutique, qui suit des logiques d'externalisation, de délocalisation et d'orientation vers les thérapies les plus rentables. L'oncologie, les maladies du système nerveux central et l'immunologie sont des secteurs concentrant beaucoup de recherche, mais il y a des pans entiers délaissés par la recherche qui constituent une sorte de « désert thérapeutique » susceptible de poser des problèmes majeurs dans les années à venir.
Il y a aussi un problème de financement de la recherche et du développement (R&D). La dépense publique en R&D a baissé, surtout dans l'industrie pharmaceutique, alors que nos partenaires économiques comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne ont augmenté leurs dépenses de R&D. Certains modes de financement ne fonctionnent pas et ne sont pas adaptés à la recherche pharmaceutique. L'ANR fait des appels à projets avec des financements sur temps court qui ne permettent pas aux chercheurs de développer les recherches qu'ils souhaiteraient. M. Bruno Canard par exemple n'a pas pu mener à terme ses recherches sur les premières vagues de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) faute de financement.
Les financements et la situation des chercheurs publics sont catastrophiques. Les conditions de recherche sont mauvaises et les niveaux de salaires très inférieurs aux autres pays. Cela conduit les chercheurs à partir, ce qui n'est pas seulement le cas dans le secteur de recherche pharmaceutique.
Le financement centré sur le crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche (CIR) ne fonctionne pas bien dans le secteur pharmaceutique en raison de l'externalisation de la R&D par les firmes pharmaceutiques. En particulier, le CIR ne fonctionne pas avec les biotechnologies qui ne font pas de profits.
Le ticket moyen de financement des biotechnologies est de 8 millions d'euros en France, contre 12 millions d'euros au Royaume-Uni et 25 millions d'euros en Allemagne. Il y a donc aussi un problème de niveau de financement. Aujourd'hui l'écosystème de financement qui fonctionne bien est celui des États-Unis, avec des sommes distribuées par l'Autorité de recherche et de développement biomédicaux avancés – Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA), mais aussi via le capital-risque, qui ne me paraît pas forcément être le meilleur mode de financement mais qui fonctionne dans ce cas.
Que pourrait faire l'État ? Son rôle est essentiel, car le secteur de la santé publique n'est pas anodin. C'est un marché rendu solvable par l'intervention publique et la sécurité sociale. À ce titre, les acteurs publics doivent agir sur les choix stratégiques des acteurs pharmaceutiques. Depuis des années, le médicament est considéré comme un bien comme un autre. Or, ce n'est pas le cas. C'est l'une des leçons majeures de la crise avec la prise de conscience que la délocalisation de la production de médicaments a de fortes conséquences en termes de santé publique.
Pour changer les modes de financement de la recherche, des acteurs existent, comme BPIfrance qui finance des « jeunes pousses » (start-ups), mais n'est peut-être pas suffisamment bien organisée. Pour lutter contre la concurrence de la puissance financière américaine de la BARDA, il faut agir au niveau européen. M. Frédéric Bizard parlait d'un « Airbus de l'ARN messager » : j'irais plus loin, en parlant d'un « Airbus du médicament ». Il faut mener au niveau européen une stratégie comme celle conduite autour de l'aéronautique et de l'aérospatiale il y a plusieurs années.
Les pouvoirs publics pourraient également s'inspirer de certains hôpitaux américains qui ont des unités de production gérées par des sociétés non lucratives pour faire produire des médicaments. Pour lutter contre les pénuries et garder des compétences et des sites de production, nous pourrions concevoir un acteur non lucratif de production de médicaments, et pas uniquement de médicaments génériques.
Enfin, les brevets freinent les possibilités de production comme l'accès aux traitements et poussent les prix à la hausse. Un nouveau médicament, le Kaftrio, améliore considérablement la qualité de vie de jeunes patients atteints de mucoviscidose, mais ce traitement coûtent plus de 200 000 euros par an et par enfant. Le prix des médicaments constitue donc un problème parce qu'il y a des limites au financement possible par les organismes de remboursement.
Le rapport de la commission des affaires sociales en conclusion des travaux de la mission d'information sur le médicament du 23 juin 2021 était excellent et contient beaucoup d'éléments.