Comme l'a évoqué Mme Nathalie Coutinet, il faut réfléchir à l'échelle européenne pour atteindre un effet de seuil suffisant pour rivaliser avec les Américains aujourd'hui et avec l'Asie demain. Il faut d'abord avoir des pépites sur l'ensemble de la chaîne, depuis la recherche fondamentale jusqu'à la mise sur le marché. Il faudra essayer de prendre les meilleurs et ceux qui ont envie de participer au consortium. J'ai travaillé sur ce concept et j'ai vu un intérêt de la part d'institutions comme l'Institut Pasteur, de sociétés comme la société allemande d'ARN messager CureVac. Sanofi a témoigné très peu d'intérêt, car elle avance sur son projet avec un versant américain très fort et a reçu 2 milliards de dollars des États-Unis. Je pense que l'État doit réguler ce domaine, car nous partageons les mêmes objectifs, c'est-à-dire que chaque citoyen français ait accès à toute innovation, le plus tôt possible ou au moins en même temps que les autres pays, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Ce consortium européen pourrait se faire rapidement : j'avais évalué à 150 millions d'euros la mise en place d'un pôle de recherche et de production d'ARN messager pour produire 200 millions de doses dans le cas de la Covid-19. Ces investissements et ces projets sont accessibles à la France, mais la dimension européenne est nécessaire car la régulation du médicament doit passer en partie par le niveau européen, en particulier pour le médical.
La production française doit aussi être repensée avec une dimension européenne. Les Européens produisaient 80 % de l'ensemble des vaccins fabriqués dans le monde avant la crise. La plupart des vaccins sont inventés et produits en Europe. Il faut une ambition européenne avec une base française. J'ai proposé à l'État français de travailler sur la question. Malheureusement, je ne vois pas d'élan ni de volonté politique pour refaire de la France à travers l'Europe un pilier de la recherche et de la production pharmaceutique. Il existe un débat : la souveraineté pharmaceutique passe-t-elle avant tout par la souveraineté technologique, ou par la souveraineté en matière de production ? Il est incontestable qu'elle passe par la souveraineté technologique, comme on le constate avec la diplomatie des produits de santé. Cependant, on ne peut laisser 80 % des principes actifs produits en Asie comme nous l'a rappelé la crise. Même si ce sont des produits à moins forte valeur ajoutée, il faut une base de production régionale. Cette réflexion doit aussi se faire au niveau régional, pas forcément à l'échelle de l'Union européenne, mais en tout cas avec les pays voisins qui nous permettent de garder une souveraineté sur l'ensemble de la production pharmaceutique, même pour des produits moins innovants.