Intervention de Frédéric Bizard

Réunion du jeudi 30 septembre 2021 à 16h00
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Frédéric Bizard, professeur d'économie associé à l'école supérieure de commerce de Paris et à l'université Paris-Dauphine, président de l'Institut Santé :

L'HERA va dans le bon sens, mais c'est un tel petit pas que je crains que ce dispositif ne soit peu efficace à court et moyen terme. Mme Coutinet a souligné le problème de capitalisation de nos sociétés de biotechnologies. Ce n'est pas un problème de faiblesse du capital-risque. Aux États-Unis, 80 % des sociétés de biotechnologies américaines sont financées par de l'argent public, par les agences que sont la BARDA et l'Agence pour les projets de recherche avancée de défense – Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA) en particulier. Le modèle économique de l'innovation pharmaceutique est incompatible avec le modèle du capital-risque, puisque le niveau d'échec est proche de 95 %, que la durée de développement est très longue et que le niveau de capital est très élevé.

Si l'HERA, avec ses 6 milliards d'euros de budget soit un milliard d'euros par an, a vocation à jouer ce rôle, c'est une bonne chose. Comme la BARDA, ce n'est pas une agence indépendante mais un bureau de la direction générale de la santé de la Commission européenne, ce qui est à mon sens pertinent. Toutefois, c'est un nain économique par rapport aux besoins des sociétés de biotechnologies. L'Allemagne a capitalisé ses sociétés très tôt au moment de la crise pour éviter que les États-Unis ne mettent la main dessus, ce qui avait été envisagé avec l'une d'entre elles. Il faut envisager un financement de nos sociétés de biotechnologies au niveau européen, mais les missions de l'HERA ne sont pas très claires : s'agira-t-il de sa mission principale ou sera-t-elle une agence qui va gérer les réserves stratégiques en cas de crise ? L'HERA semble très concentrée sur les crises sanitaires, à raison, mais toute la vie pharmaceutique ne peut tourner autour des crises sanitaires. Cette agence devrait favoriser l'innovation pharmaceutique au sens large en Europe en apportant du capital suffisant aux sociétés de biotechnologies prometteuses.

La Belgique a considérablement réduit le temps de réaction lors d'un dépôt de dossier, qui est de quelques jours contre plus d'un mois en France. La France a introduit beaucoup d'interventions liées à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et à l'éthique. J'attache une grande importance à l'éthique, mais une recherche clinique n'est pas très éthique à la base. Cet avis d'éthique rallonge les délais sans véritablement améliorer notre performance. Nous pouvons passer plus de temps à étudier un dossier, mais il faut alors voir les avantages d'avoir des délais supplémentaires. Le modèle belge est probablement excessivement léger, mais on peut tendre vers ce modèle tout en gardant des garanties qu'il ne propose pas.

Sur le débat que vous évoquez, je suis assez catégorique : je ne vois pas de raison de lier le prix du médicament à son lieu de production. Je ne pense pas que l'assurance maladie ou la sécurité sociale aient vocation à préserver ou développer la production pharmaceutique en France. C'est une erreur. C'est au ministère des Finances à Bercy qu'il faut voir s'il y a des baisses d'impôts de production par exemple. Économiquement, le prix doit correspondre à la valeur du médicament, et la valeur du médicament ne correspond pas à son lieu de production.

Il faut sortir de ce système à deux financeurs institutionnels que sont l'assurance maladie et les complémentaires santé. La France est la seule à avoir ce système, avec 14 % des dépenses pharmaceutiques remboursées par la sécurité sociale et 12 % par l'assurance maladie. Ce système contribue à la surconsommation de médicaments en France, ne serait-ce que parce qu'il faut en avoir pour son argent quand on cotise et qu'on a une complémentaire santé. Ce système est donc absurde et illisible. En outre, nos systèmes de financement et de régulation sont illisibles pour le citoyen consommateur de produits de santé, qui en est l'agent le plus important. Je pense qu'il faut passer à un seul financeur. Les médicaments qui sont remboursés ne doivent l'être que par la sécurité sociale. Des contrats d'assureurs privés pourraient être conservés pour des médicaments de confort, mais il faut simplifier et clarifier notre système de financement et dépolitiser la gestion du médicament.

Les taux intermédiaires à 15 % ou 30 % n'ont d'intérêt économique pour personne. Des molécules ont des niveaux de prix qu'elles ne devraient pas avoir ou sont remboursées alors qu'elles ne devraient pas l'être, ce qui ampute le budget disponible pour les molécules innovantes. Notre système se tire donc une balle dans le pied pour le financement des produits innovants.

La gestion de l'accès sur le marché dépend des budgets disponibles de l'assurance maladie. Les délais plus longs permettent aux services publics de gérer le budget en retardant l'accès au marché de molécules à prix élevé. Or le système doit encourager à prioriser l'accès au marché de ces molécules innovantes, en sélectionnant des produits innovants et remboursés de manière démocratique.

Il faut mettre de la démocratie sanitaire aussi dans la régulation du médicament. C'est aujourd'hui une boîte noire entre les financeurs et les hauts fonctionnaires. En encourageant ce système, l'industrie pharmaceutique participe à la dégradation de son image. Il suffirait d'y mettre des représentants de patients formés que l'État considérerait comme des acteurs à part entière. Nous allons proposer de faire des représentants de patients des professionnels de santé à part entière, de façon à ce que les choix difficiles soient opérés démocratiquement et mieux acceptés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.