Intervention de Luc Chatel

Réunion du jeudi 4 novembre 2021 à 17h00
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Luc Chatel, ancien député, ancien secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, président de la Plateforme de la filière automobile :

Outre les fonctions que vous avez rappelées, j'ai également été vice-président de région chargé du développement économique, et je suis aussi président du Comité stratégique de la filière automobile française. Avec l'expérience, j'ai acquis la conviction que les facteurs clés d'industrialisation de notre pays s'articulent autour de trois leviers.

Le premier porte sur la compétitivité. Les marchés et les industriels sont mondialisés et leurs choix sont orientés par la concurrence. La localisation des ventes finales n'est pas l'unique critère intervenant dans ces choix – bien que son poids augmente de plus en plus. La position de la France a été écornée – alors qu'elle avait des atouts considérables dans le secteur de l'automobile, puisqu'elle a contribué à son invention au XIXe siècle et occupait une place majeure au XXe siècle – par l'émergence d'autres pays sur ce marché qui sont aujourd'hui dotés d'un réel savoir-faire, tels que l'Europe centrale, le Maroc ou l'Asie (au-delà de la Chine). En conséquence, tout investisseur mondial cherchant à construire une nouvelle ligne d'assemblage peut choisir parmi les divers pays en fonction de la compétitivité des différents sites. Malheureusement, la compétitivité de la France est un sujet récurrent que les gouvernements successifs n'ont pas résolu. Celui auquel j'ai appartenu a toutefois su en identifier certains facteurs. En matière de production automobile, la France est passé de la deuxième position européenne à la cinquième, tombant de 3,5 millions de véhicules assemblés autour des années 2000 à 2 millions de véhicules avant la crise sanitaire. Ce nombre est ensuite descendu à 1,3 million de véhicules avec celle-ci, mais je l'écarte volontairement. Cette perte a conduit à une balance commerciale fortement déficitaire dans le secteur de l'automobile, de moins de 15 milliards d'euros, alors qu'elle générait plus de 15 milliards d'euros il y a moins de dix ans. Ceci s'explique par des écarts de coûts, qui sont encore considérables. Par exemple, le coût de production d'un même véhicule neuf de catégorie B est supérieur de 900 euros en France par rapport à son coût en Europe centrale. Autre exemple, les impôts de production français s'élèvent à 2,8 % contre 0,5 % en Allemagne, premier pays automobile européen – malgré les efforts que vous avez consentis en la matière, efforts que je salue. Enfin, le coût de main-d'œuvre est inférieur de 30 % en Espagne, de 50 % en Europe de l'Est, de 75 % en Turquie et de 87 % au Maroc par rapport à son niveau en France. Autrement dit, nous subissons un écart de compétitivité avec d'autres pays susceptibles d'accueillir les mêmes investissements.

Comment remédier à cette situation ? Les évolutions de la fiscalité sont une réponse. L'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté, à l'initiative du Gouvernement, des baisses significatives (environ dix milliards d'euros) des impôts de production. Néanmoins, il faudrait encore opérer une diminution comprise entre vingt à trente milliards d'euros supplémentaires pour revenir dans la moyenne européenne des impôts de production. Nous militons donc pour la création de zones franches européennes dans le secteur automobile. Il me semble important que votre commission s'empare de ce sujet. La Commission européenne puis l'Union européenne adoptent des contraintes incommensurables pour l'industrie automobile, qui la fragilisent considérablement et entraînent la disparition de pans entiers de celle-ci. Il est donc normal que les pouvoirs publics européens réfléchissent à l'accompagnement de cette filière, pour l'aider à se transformer. Tous les nouveaux investissements dans l'automobile du futur doivent se concentrer dans des zones où la fiscalité et les charges sociales seront alignées au niveau européen le plus faible possible, afin d'éviter les distorsions de concurrences. Le Gouvernement a retenu cette proposition avec intérêt. Ainsi, le président de la République souhaite la prendre en compte dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne et le Commissaire européen au Marché intérieur, M. Thierry Breton, l'a reçue favorablement. Enfin, une autre solution serait un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Leurs bénéfices excèdent leurs risques, puisqu'ils peuvent éviter des délocalisations futures liées à des écarts de compétitivité.

Le deuxième levier réside dans l'organisation en filière. La structuration de l'industrie en filière est un concept datant des années 1960 et 1970, relancé lors de la crise de 2008-2009 par le gouvernement auquel j'ai appartenu. Cette crise financière a bloqué le système économique faute de liquidités. L'État a dû jouer un rôle de banquier pour le relancer. Il est cependant allé au-delà de celui-ci, considérant que la filière automobile était l'illustration de l'incapacité de l'industrie française à travailler en écosystèmes. Nous avons donc réuni le Comité d'avenir de l'automobile puis des États généraux de l'automobile, qui ont donné lieu à la création du Comité stratégique de la filière automobile. Cette instance est primordiale pour dialoguer, partager un diagnostic de la situation et construire un avenir commun, avec des collaborations internes. La Plateforme automobile – que je préside – anime de nombreuses collaborations entre les constructeurs, les équipementiers et les sous-traitants et regroupe soixante-dix groupes de travail sur des sujets variés (pneu « zéro carbone », semi-conducteurs, véhicules à faible empreinte environnementale, etc.). Évidemment, la confidentialité est respectée puisque ces acteurs collaborent, mais restent des concurrents. J'ai noté avec satisfaction le fait que mon successeur ait étendu cette organisation en filière à l'ensemble de l'industrie, lors des États généraux de l'industrie, organisés en 2010. Depuis lors, tous les gouvernements successifs ont repris cette logique de filière.

Enfin, le troisième levier pour l'attractivité industrielle de la France concerne sa capacité d'investissement dans la recherche et développement (R&D), qui exige des sommes considérables. L'industrie automobile est le premier pourvoyeur de brevets en France, grâce à des constructeurs et des équipementiers d'envergure mondiale, tels que Stellantis, Valeo et Michelin par exemple. Cette évolution a été possible grâce à la création et au maintien du crédit d'impôt recherche (CIR), qui donne un écart favorable de compétitivité à notre pays. Ce sont quatre mille entreprises qui le plébiscitent au quotidien. Par ailleurs, l'automobile dispose de quatre pôles de compétitivité, qui fonctionnent extrêmement bien et qui lient constructeurs, équipementiers et petites et moyennes entreprises (PME) des territoires. Or le désengagement de l'État de ceux-ci est assez préoccupant et est, de mon point de vue, une erreur – d'autant plus grande lorsque le président de la République lance un plan pour l'industrie en 2030. Les pôles de compétitivité doivent être le bras armé du plan France 2030 dans les territoires. En outre, le Comité d'orientation pour la recherche automobile et la mobilité (CORAM), doté de 150 millions d'euros par an, est un énorme succès avec d'ores et déjà quarante-trois projets retenus pour la filière automobile. Il s'agit autant de projets collaboratifs de grandes entreprises que de projets portés par des PME de la filière. Ces mesures sont indispensables, car la R&D est fondamentale. Il a longtemps été considéré que la R&D ne pouvait pas être délocalisée. Or désormais, trois ingénieurs sur quatre sont formés par la Chine et l'Inde réunies. Les constructeurs automobiles pourraient donc effectuer, demain, les mêmes choix pour la R&D que pour l'assemblage des véhicules. La France doit donc conserver ces mesures d'accompagnement de la R&D qui ont démontré leur efficacité.

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