Intervention de Martin Vial

Réunion du mercredi 10 novembre 2021 à 18h00
Commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le pib de la france et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament

Martin Vial, commissaire aux participations de l'État, directeur général de l'Agence des participations de l'État :

Je vous remercie de nous donner l'occasion d'illustrer le rôle de l'APE dans la période particulière de crise qui a commencé au printemps 2020, ainsi que de présenter notre action auprès des entreprises du secteur industriel.

L'APE gère un portefeuille de 83 entreprises pour une valeur de 125 milliards d'euros, dont 75 milliards d'euros sont des entreprises cotées à travers des participations. Dans ce portefeuille, nous gérons des entreprises du secteur industriel, de la défense, l'aéronautique et l'automobile. Ce secteur représente un peu plus de 30 % de notre portefeuille coté et 19 % de l'ensemble du portefeuille à travers d'autres participations.

Nous avons traversé une crise sans précédent. Malgré la résilience de nos entreprises de participation publique, la crise a eu un impact majeur, notamment dans le secteur de l'énergie, des transports, de l'aéronautique et de l'automobile.

Depuis longtemps, l'État actionnaire a joué un rôle de contributeur important dans la politique industrielle française, notamment lors de structurations et restructurations de filières industrielles. En 2005, la fusion de Snecma et Sagem a donné lieu à Safran. Le secteur de la défense a été renforcé par le rapprochement entre la direction des constructions navales (DCN), devenue Naval Group, et Thales, qui est désormais un actionnaire minoritaire important de Naval Group. En 2015, nous avons participé à la restructuration du secteur de l'armement terrestre avec Nexter, héritier des arsenaux terrestres français, et Krauss-Maffei Wegmann (KMW), entreprise familiale allemande d'armement, pour former KMW + Nexter Defense Systems (KNDS). Parmi les opérations de coopération industrielle franco-allemandes, celle-ci est remarquable. Sa gouvernance a été modifiée à la fin de l'année 2020 et nous disposons désormais d'un groupe intégré dans le domaine de l'armement. Nous avons soutenu l'opération de fusion-absorption de Zodiac par Safran en 2017. À l'occasion de la restructuration de la filière nucléaire, nous avons restructuré le capital de TechnicAtome. Nous avons également participé à l'évolution du périmètre de Thales avec la cession récente de ses activités de signalement ferroviaire et son acquisition de Gemalto. En 2015, nous avons favorisé la filière des lanceurs avec le rapprochement d'Airbus et de Safran en créant ArianeGroup. L'immense restructuration de la filière nucléaire décidée en 2015 et achevée en 2017 a conduit à la cession par Areva du bloc Framatome, à la création d'Orano, acteur nucléaire en amont et en aval de la filière, et nous avons structuré le bilan d'Areva SA qui achève la mise en œuvre du réacteur pressurisé européen – European Pressurized Reactor (EPR) Olkiluoto 3 en Finlande. Nous avons cédé des activités dans le secteur de la santé. Le capital de TechnicAtome a été récupéré majoritairement par l'État. Dans cette restructuration ont également été cédées les activités éoliennes et renouvelables d'Areva et d'autres activités plus marginales. Depuis cette restructuration considérable, Électricité de France (EDF) est devenue chef de file de la filière nucléaire, tandis qu'Orano, en ayant fait entrer des actionnaires étrangers dans son capital, a réalisé, depuis sa création en 2017, des résultats supérieurs au plan d'affaire de l'époque.

Au-delà de la restructuration industrielle, je souhaitais également citer la sécurisation de la filière du sang. Nous sommes actionnaires du laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB). Nous avons soutenu également la filière parapétrolière à travers différentes interventions de la Banque publique d'investissement (BPI).

Dans la politique industrielle, nous avons participé à des transitions délicates, comme dans le cas de Peugeot SA (PSA) en 2014, à travers une prise de participation dans Peugeot-Citroën à hauteur de 800 millions d'euros, à côté de la famille Peugeot et de l'industriel chinois Dongfeng. Ce sauvetage de l'entreprise s'est traduit par un succès. En 2017, nous avons revendu notre participation à la BPI, qui est actionnaire de Stellantis, et a permis la fusion de Fiat Chrysler Automobiles et de PSA. Cette participation vaut aujourd'hui plus de 3 milliards d'euros. L'État actionnaire intervient lorsque la situation d'une entreprise au poids systémique dans un secteur le réclame.

Depuis mars 2020, nous sommes intervenus avec des leviers nouveaux dans le secteur industriel et dans d'autres secteurs, par exemple auprès d'Air France – KLM ou de la SNCF. Cependant, dans le secteur industriel, nous n'avons pas participé à des augmentations en capital ou du soutien en capital pour sauver des entreprises. Nous sommes intervenus à travers des fonds sectoriels visant à soutenir des entreprises sous-traitantes de grands donneurs d'ordre dans différents domaines.

La taille cible du Fonds avenir automobile 2 (FAA 2), décidé par M. Bruno Le Maire, au début de l'été 2020, s'élève à 525 millions d'euros. Lors de la première levée de fonds de 330 millions d'euros au début de l'année, l'État a investi 105 millions d'euros et BPI 75 millions d'euros. Lors de la seconde tranche de 95 millions d'euros de ce fonds, l'État interviendra à hauteur de 45 millions d'euros et BPI à hauteur de 50 millions d'euros. Cette filière industrielle a été durement frappée par la crise. Pour la première fois dans l'histoire de ce secteur, des usines du monde entier se sont arrêtées alors qu'elles avaient toujours été sollicitées, y compris en période de guerre. Pendant plusieurs semaines, l'activité de Stellantis ou de Renault a été contrainte de s'interrompre sous l'effet des mesures de confinement. Les sous-traitants ont été immédiatement frappés. Le fonds a donc pour objectif de soutenir cette filière.

Un fonds aéronautique a également été créé par le ministre de l'économie, des finances et de la relance. Il vise à intervenir dans des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et d'importantes petites et moyennes entreprises (PME) du secteur. Nous avons contribué à hauteur de 200 millions d'euros, dont 150 millions de l'État et 50 millions de BPI aux côtés de Tikehau Capital. Ce fonds sera géré par un fonds privé, alors que le fonds automobile est géré par BPI. En matière de taille, l'objectif du fonds s'élève à 1 milliard d'euros, ce qui représente une force de frappe importante pour ce secteur durement frappé par la crise.

Un troisième fonds dédié à la filière nucléaire a été créé en partenariat avec EDF. La contribution de l'État pour ce fonds doté de 200 millions d'euros est de 100 millions d'euros. La première tranche a été annoncée à la fin du mois d'octobre 2021.

Enfin, l'État actionnaire a participé à hauteur de 1,8 milliard d'euros au fonds de transition créé par le gouvernement. Doté de 3 milliards d'euros, ce fonds vise à soutenir les entreprises frappées par la crise de la Covid-19, mais qui ne pouvaient bénéficier entièrement des fonds de solidarité ou des aides directes sur les charges fixes en raison de leur taille.

En 2017, notre doctrine d'investissement a été simplifiée autour de trois piliers. En premier lieu, l'État doit rester investi dans des entreprises de secteurs relevant du cœur de la souveraineté nationale, soit la défense et le nucléaire civil. Deuxièmement, l'État doit rester investi dans les grandes entreprises du secteur public pour lesquelles la régulation seule ne peut garantir la fin de leur mission de service public. Enfin, notre doctrine conserve les interventions de sauvetage. Avant l'opération autour de PSA, nous avions sauvé Dexia, qui figure toujours dans notre portefeuille et dont nous réduisons progressivement le bilan. Cependant, depuis mars 2020, nous avons priorisé nos interventions à la fois dans le secours direct ou à travers les fonds que j'ai évoqués.

Pour l'avenir, nous réévaluons nos doctrines d'investissement à la lumière de quatre critères. L'État actionnaire continuera d'intervenir en secours auprès des entreprises, que la crise a profondément marquées, notamment dans le domaine du transport. Cette mission restera importante, pour les entreprises présentes dans notre portefeuille, mais également pour des entreprises sans participation qui pourraient faire appel à l'État dans des conditions sélectives.

Le deuxième critère consiste en la prise en compte de notre souveraineté économique. Cette crise a montré la dépendance de certains secteurs industriels envers des approvisionnements étrangers, dans le secteur de la santé, mais également dans le domaine des microprocesseurs ou des matières premières. Le maintien d'actionnaires publics ou privés français dans le pilotage des entreprises est déterminant pour conserver des centres de décision et de R&D en France ainsi que pour sécuriser les centres de production.

Le troisième critère concerne le renforcement des exigences environnementales. Votre parlement a pris un certain nombre de dispositions législatives afin que des exigences soient demandées aux entreprises en contrepartie des investissements de l'État actionnaire. Ces exigences bouleversent le modèle économique des entreprises. Dans le secteur automobile, la crise rapide du secteur des fonderies s'explique notamment par la demande de la Commission européenne envers les industriels de ne plus vendre de voitures à moteur thermique à horizon d'une quinzaine d'années. Dans le secteur de l'industrie aéronautique, l'évolution de la motorisation des avions s'accélère. D'immenses changements de procédures, de technologies, et de R&D surviennent dans une période réduite. Il sera nécessaire pour tous ces secteurs de pouvoir s'appuyer sur des actionnaires stables, qui les accompagnent dans la durée pour faire face à ces changements économiques.

Enfin, la disruption numérique et technologique forme un quatrième critère. Le secteur automobile, avec les exemples de la voiture autonome et de la connectivité des véhicules, est frappé par cette double transformation du domaine économique. Des entreprises comme Tesla ont pris une avance par rapport aux constructeurs traditionnels que ces derniers doivent rattraper. Dans ce secteur, il est nécessaire que l'actionnariat soit suffisamment stabilisé pour assurer un accompagnement sur le long terme de ces entreprises.

Nous considérons que l'État actionnaire doit rester un acteur important des politiques industrielles. Il aura également un rôle massif à jouer dans le programme de futur nucléaire, bien que le Président de la République n'ait pas encore apporté de précisions sur ce programme.

La détention capitalistique n'est pas le seul levier de l'État pour défendre les intérêts de la politique industrielle et des entreprises stratégiques. La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises dite « loi PACTE » a par exemple renforcé le contrôle des investissements étrangers. Ces leviers de protection des intérêts industriels français et européens doivent être utilisés de façon prioritaire avant de mobiliser les questions actionnariales. Je terminerai par cette note modeste : notre rôle est important compte tenu de la taille des entreprises dans lesquelles nous sommes actionnaires, mais nous ne sommes qu'un contributeur avant lequel d'autres leviers majeurs doivent être actionnés.

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