Les propos que je vais tenir n'ont rien de personnel, monsieur le rapporteur. J'ai beaucoup apprécié ces heures d'audition à vos côtés, ainsi que notre déplacement en Belgique. Nous avons travaillé de manière constructive, dans la convivialité.
Cependant, une commission d'enquête n'est pas un salon de thé mais une instance dotée de pouvoirs de contrôle étendus et d'un secrétariat dédié composé d'administrateurs pour enquêter, évaluer, identifier des failles ou des dysfonctionnements. Certaines commissions d'enquête, sur l'affaire Outreau, l'utilisation du chlordécone ou la politique pénitentiaire, ont été l'occasion à la fois de révélations et de propositions d'importance.
En l'espèce, nos travaux n'ont pas permis de révélation fracassante et n'ont pas mis en évidence de dysfonctionnement majeur dans la politique industrielle de la France. Ce n'est pas par manque de volonté mais, dès le départ, le titre choisi pour cette commission d'enquête par le groupe Socialistes et apparentés a posé problème. De nombreuses personnes auditionnées se demandaient pourquoi nous les avions invitées : devaient-elles s'exprimer au sujet de la baisse de la part de l'industrie dans le PIB de la France et sur la politique industrielle en général, ou sur l'industrie du médicament et la pharmacie en particulier ? N'avoir pas fait de choix nous conduit à un rapport à la fois transversal et spécifique pour ce qui concerne le médicament, ce qui brouille le propos et empêche de dégager des propositions fortes pour un secteur ou un problème particulier.
D'autre part, contrairement à M. Cordier, je pense que la politique industrielle obéit à des choix idéologiques. Certes, chacun essaie de faire de son mieux dans les circonstances mais à une certaine époque, certains ont pu considérer que l'avenir de notre pays résidait dans les services et non dans l'industrie – c'est la théorie d'une France sans usine ou fabless. Je ne partage pas cette idéologie car une économie forte suppose une industrie forte. Je ne suis pas davantage d'accord avec ceux qui prônent la fermeture des frontières et le protectionnisme pour préserver les entreprises de la concurrence européenne ou internationale. Je revendique au contraire une ouverture vers les marchés européens et mondiaux. De même, je ne partage pas l'avis de ceux qui pensent que nous n'avons pas besoin de faire des efforts en termes de fiscalité et de compétitivité. J'assume mon positionnement libéral : nous devons renforcer la compétitivité de nos industries.
Or, je n'ai pas trouvé, dans le rapport, de rupture idéologique fondamentale. Ainsi, qu'en est-il de la ligne de conduite adoptée durant le quinquennat ? Devons-nous revenir sur certaines choses, sur la réduction des impôts de production, sur la baisse globale de 50 milliards d'euros des impôts payés par les Français ? Aucune de vos propositions ne semblant aller dans ce sens, j'en déduis que vous ne remettez pas en cause la politique que nous menons depuis cinq ans.
Enfin, certaines des soixante-seize propositions auraient mérité d'être approfondies. Vous appelez à réaffirmer la volonté et l'ambition industrielles de la France dans le cadre d'un pacte productif national. Soit, personne ne peut être contre, mais que contient ce pacte, et comment y parvient-on ?
Plusieurs propositions ne relèvent pas du pouvoir législatif, ni même de la France. Prenons le salaire minimum harmonisé entre les pays européens : je ne vois aucun inconvénient à ce que le salaire minimum du Bulgare soit le même que celui du Luxembourgeois, mais nous n'avons pas les moyens de prendre une telle décision ! Cela doit-il être une proposition de la commission d'enquête ? Il en va de même pour la prise en charge, au titre des frais de fonctionnement du Conseil national de l'industrie, des frais de déplacement des représentants des salariés qui doivent assister aux réunions. Je soutiens bien volontiers l'idée, mais peut-on en faire une proposition ? Le remboursement des billets de train ne peut-il être décidé par le CNI ?
D'autres propositions ne sont pas applicables, comme la présence d'au moins 25 % de représentants des salariés au sein du conseil d'administration des entreprises. Certes, l'idée est de Louis Gallois, mais il ne voulait l'imposer qu'aux entreprises d'une certaine taille. Vous fixez le seuil à 250 salariés, ce qui est extrêmement bas et posera des difficultés. Quant à la conditionnalité des aides, je ne suis pas d'accord avec Mme Cariou : verser des aides à l'innovation en menaçant de les reprendre quelques années plus tard si l'entreprise n'a pas industrialisé en France est impensable. Quelle entreprise recourrait à un tel dispositif pour engager des recherches sur un produit dont on ne dispose même pas du prototype et dont on ignore s'il sera possible de le fabriquer en France ? C'est un désaccord fondamental.
Après six mois de travail, soixante-dix heures d'audition et 135 experts, je suis frustré d'aboutir à un tel résultat : pas de révélation, pas de rupture fondamentale, et des propositions dont on se demande comment elles pourront se concrétiser.
Je n'ai aucun motif de rejeter ce rapport, mais je ne peux pas voter pour. Comme le reste des députés membres du groupe La République en marche, je m'abstiendrai.