Intervention de Richard Delorme

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 14h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Richard Delorme, chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de l'hôpital Robert Debré :

Je ferai d'abord un état des lieux des difficultés mentales et de la violence chez l'enfant pour expliquer les facteurs que j'ai identifiés.

Premièrement, nous avons été privés des enfants pendant la crise. La santé publique française était quasi absente sur la question de l'enfance. Nous n'avons eu aucun indicateur hormis les travaux des collègues ici présents, à la fin.

En Angleterre, dès les premières semaines, est apparue une idée de la représentation des maladies chez les enfants durant le confinement, selon laquelle 25 à 30 % des enfants étaient anxieux, voire très anxieux ou déprimés. Des études provenant de Chine ou d'Angleterre ont montré le même type de prévalence et cet accroissement de l'état dépressif ou anxieux des enfants. L'expression des troubles est polymorphe (difficultés de sommeil, d'alimentation, agitation, pipi au lit, etc.). J'ai été très surpris par la difficulté des familles à repérer les propres difficultés de leur enfant. Elles avaient l'impression que c'était la vie normale pendant la crise du Covid et du confinement, mais ces troubles exprimaient en réalité leurs difficultés d'adaptation à la situation. Hormis pour l'Afrique et l'Amérique du Sud sur lesquelles nous savons peu de choses, la littérature mondiale est homogène sur ce point.

Deuxièmement, les violences peuvent être classées selon trois niveaux. Pour le premier niveau, Adrien Taquet a révélé une augmentation de 60 % de l'utilisation du 119 pour des situations dites préoccupantes dans les premières semaines de confinement. Depuis quinze ou vingt ans, à chaque fermeture de l'école ou des professionnels de l'enfance, nous observons une augmentation de la violence d'environ 20 % à l'intérieur des maisons. Une étude américaine a d'ailleurs montré une augmentation des violences intrafamiliales de l'ordre de 30 % pendant la période de confinement.

Le deuxième niveau concerne la violence en ligne, selon un rapport du secrétaire d'État aux Nations Unies. C'est important, car les enfants ont été placés devant les écrans. La violence n'est plus physique comme à l'école, mais elle peut être très forte en ligne.

Le troisième niveau est la violence dite raciale et communautaire. Quelques études américaines ont révélé une très forte pression sur la communauté chino-américaine due à l'idée que ces populations étaient vecteurs de la crise. Pendant le confinement, en France et aux États-Unis, nous avons tous vu ce qui s'est passé sur la question du racisme et des partages communautaires. Les enfants ont également été porteurs de cette violence.

Troisièmement, les difficultés psychiques sont liées au bien-être et à l'état général physique. C'est un enjeu majeur pour les enfants et les maladies psychiatriques. Les enfants n'ont plus pratiqué de sport et ils n'ont plus eu accès aux soins de manière générale. Dans certains départements tels que la Seine-Saint-Denis, l'absence de cantine peut priver l'enfant d'un repas et l'alimentation se limite parfois à la consommation d'un kebab le soir.

Quatrièmement, cela concerne la question du suicide des jeunes. Nous avons une très mauvaise représentation de l'augmentation des suicides. Plusieurs études ont montré une diminution des tentatives de suicide durant le confinement, mais les systèmes de santé sont pourtant saturés. De manière subjective, nous voyons une augmentation de la gravité des gestes et des situations très dégradées à leur arrivée à l'hôpital.

J'ai identifié neuf facteurs à cet état des lieux. Le premier facteur est la dépressivité des parents qui ont été moins soutenus pendant la phase de confinement. Cette dépressivité s'accompagne systématiquement d'une augmentation nette des cas de troubles mentaux chez les enfants. Le soutien des parents est donc un point majeur. Plus les problèmes d'emploi ou de revenus s'accumulaient pour les parents, plus les troubles mentaux des enfants s'aggravaient.

Le deuxième facteur concerne la perte de l'envie de s'occuper de ses enfants. Selon une étude américaine, 50 % des parents avaient la sensation de ne plus s'occuper de leurs enfants durant le confinement, alors qu'ils étaient aussi contraints de travailler en parallèle. Cette difficulté pour les parents à s'occuper de leurs enfants explique aussi une augmentation des troubles mentaux chez les enfants.

Le troisième facteur est la relation entre les parents et la crise. La proximité avec une zone de crise, telle que la mort d'un parent, augmente les troubles mentaux chez l'enfant.

Le quatrième facteur réside dans la pauvreté et l'inemploi. 5 % d'augmentation de l'inemploi sur un territoire amène 30 à 40 % d'augmentation des troubles mentaux chez l'enfant. Bien que cette littérature soit ancienne, nous en sommes assez proches actuellement et c'est un facteur majeur. Favoriser l'emploi des parents améliore la santé mentale des enfants.

Le cinquième facteur est la fermeture des structures pour les enfants (écoles, crèches, collèges, lycées) et d'activités extrascolaires. C'est aussi l'impréparation des personnels de la petite enfance du fait de l'absence de masques et de formation aux questions d'hygiène, ce qui a conduit au sixième facteur, à savoir la privation des libertés des enfants. Ce point est majeur, en lien avec la fermeture des crèches et des écoles, et nous l'avons insuffisamment entendu en France. Le déficit de lobbying de l'enfance est majeur et de nombreuses décisions ont été prises sans imaginer leur impact sur les enfants.

Le septième facteur réside dans l'absence de spécialistes de l'enfance au sein du Conseil scientifique sur le Covid-19. C'est pour moi très significatif du regard porté sur l'enfance : on n'a pas pensé à l'enfant et on ne s'est pas dit qu'il pouvait être important.

Le huitième facteur est un déficit de la représentation de la santé publique sur la question de l'enfance. Personne ne s'inquiète de ce que font les bébés et les enfants. Même le ministre de l'Éducation nationale a appelé au retour à l'école en lien avec le retour des parents au travail, mais indépendamment de la question de l'épidémiologie et de la prévalence virale chez les enfants.

Le neuvième facteur concerne l'arrêt de la recherche scientifique et des essais thérapeutiques chez l'enfant. Il y a eu un frein majeur sur la recherche et je suis très inquiet sur la crise économique à venir en matière de choix. Les choix stratégiques cachent la plupart du temps les secteurs peu visibles. Je vous remercie pour cette commission, car sans un lobbying fort autour de la question de l'enfance, il y aura encore moins de financement, de recherche et d'avancées.

Pendant la crise, un article a été publié par des pédiatres et des pédopsychiatres à New York sur la nécessité d'éditer un plan Marshall de l'enfance selon quatre points :

- aider les familles de manière communautaire à devenir plus autonomes dans la gestion de leurs enfants, notamment via des pères aidants et en les accompagnant dans l'accès aux soins ;

- apporter plus de support aux familles sur le plan médical et psychiatrique. En banlieue parisienne, il faut attendre douze mois pour avoir un premier rendez-vous en pédopsychiatrie. La crise du Covid a accentué les délais ;

- aider les familles à accéder à des informations valides pour accompagner leur bébé et leur enfant dans la crise, indépendamment des informations diffusées sur les chaines d'information en continu ;

- accompagner les familles sur le plan financier. Les repas et les activités extrascolaires sont très importants dans cette phase où l'aspect communautaire et familial est moins préservé.

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