Pendant le confinement, le nombre d'enfants et d'adolescents accueillis aux urgences et hospitalisés a diminué de deux tiers. Néanmoins, hormis durant les quinze premiers jours, autant d'enfants et adolescents ont consulté pour des suspicions de danger sur leur santé globale. Sur cette période de confinement, nous avons effectué plus de signalements et d'informations préoccupantes que sur la même période en 2018 et 2019. En post-confinement, nous avons reçu plus d'enfants de moins de 10 ans et des adolescents sont hospitalisés pour tentatives de suicide, troubles anxieux ou dépressions. Nous observons à quel point le confinement a augmenté les tensions familiales et les difficultés.
Nous voyons aussi des « bébés Covid » qui présentent des troubles de l'oralité ou pour lesquels l'allaitement ou l'alimentation se passe mal. Nos collègues psychologues et pédopsychiatres du service travaillent sur ce point. Ces enfants ne présentent pas de maladies somatiques, mais leurs mamans ont par exemple été isolées, ne sachant comment gérer une grossesse pathologique. Elles ont pu connaître des interdictions de visite de l'autre parent ou d'une personne-ressource, qui retentissent sur le lien parent-bébé et sur le comportement des bébés.
J'insiste sur la double peine pour les personnes vulnérables sur le plan économique. Les inégalités se creusent. À titre personnel, hormis ma colère, le confinement a été une parenthèse de ma vie très sympathique. Ce n'est pas le cas pour la majorité de la population. Or ce creusement des inégalités est insupportable.
S'agissant des réseaux, il ne faut pas « saucissonner » les prises en charge et il ne faut pas que les manques de budget créent des clivages parmi les professionnels qui s'occupent des enfants. Nous ne devons pas faire des enfants des puzzles. Les enfants en danger sont déjà morcelés par les violences et les carences qu'ils subissent, donc nous devons rassembler les santés somatique, psychique et sociale. Nous devons associer les libéraux, car ils constituent un vivier de professionnels compétents, même s'ils ne sont pas spécialistes. Nous pouvons leur donner des clés pour repérer des problématiques de troubles de santé psychique, du développement ou de la santé somatique. Pour les enfants en danger, celle-ci se rapporte aux dents, aux lunettes et à l'audition. Chez les enfants de la protection de l'enfance, la santé somatique est moins bien prise en charge que chez les enfants de la population générale.
Durant le confinement, quelques enfants et adolescents extraits de leur domicile et amenés à l'hôpital nous ont rapporté que leurs parents les avaient menacés avec le Covid, leur prédisant de mourir s'ils sortaient du domicile et étaient infectés. En plus de l'anxiété générée par les informations, le Covid a pu être utilisé comme une menace dans les familles en grande difficulté et maltraitantes.
Les secteurs ne doivent donc pas être « saucissonnés ». Je pense notamment aux puéricultrices des PMI qui ne bénéficient pas d'un soutien ou d'un lobbying suffisant pour être mises en avant, alors qu'elles ont un rôle prépondérant. Alors que de nombreux endroits manquent de médecins de PMI ou scolaires, elles peuvent réaliser un travail de coordination très utile aux côtés des médecins.
En effet, il faut des réseaux pluridisciplinaires et pluri-institutionnels, mais cela est compliqué pour la protection de l'enfance. Le Conseil départemental, l'ARS, le secteur public, le secteur privé, la protection de l'enfance, les associations : tous ont envie de mieux préserver la santé des enfants, mais c'est une lourde machine à mettre en route pour travailler ensemble. Ceci dit, je suis très optimiste sur le fait que c'est faisable.