Intervention de Fabienne Kochert

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 15h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Fabienne Kochert, présidente de l'Association française de pédiatrie ambulatoire :

Je suis pédiatre libérale et je représente l'Association française de pédiatrie ambulatoire, que je préside. Nous rassemblons environ cinq mille pédiatres, des libéraux mais aussi des pédiatres de crèche. Tous ces pédiatres suivent les enfants en dehors de l'hôpital. Ils se sont retrouvés en première ligne lorsque les mesures de confinement ont été mises en place. Ils ont continué à faire fonctionner leur cabinet, ils devaient répondre aux inquiétudes des parents et alors que la population était confinée, ils devaient faire en sorte que les enfants ne pâtissent pas d'une interruption des soins qui leur étaient nécessaires. Nous avons donc continué à recevoir à notre cabinet des nouveau-nés ainsi que leurs parents. L'expérience de l'accouchement pendant le confinement était relativement traumatisante car les pères pouvaient assister à l'accouchement mais devaient ensuite laisser les mères seules à la maternité avec leur bébé. Nous avons continué à vacciner les bébés et à recevoir les enfants dont la pathologie nécessitait un suivi.

En tant que pédiatres de terrain, nous constatons les conséquences du confinement au quotidien. Nous recevons des enfants avec leurs parents pour des consultations de suivi qui ont été reportées. Mercredi matin, ma première patiente était une fille qui est scolarisée en CE1. C'est une enfant intelligente. Sa mère a deux enfants. Je l'avais reçue en consultation au début de l'année pour une suspicion de développement mammaire et de puberté précoce, ce qui nécessitait un bilan. Elle était en bonne santé et son bilan était correct. Lorsque je l'ai pesée, elle avait pris six kilos (entre janvier à septembre). La mère m'a expliqué qu'avec le confinement, elle avait dû rester à la maison avec sa fille.

L'AFPA a créé le site Mpedia. Nous avions prévu d'organiser une enquête sur l'usage des écrans et nous y avons ajouté des questions relatives au confinement. Des parents ont rapporté que le temps d'interaction avec leur enfant avait augmenté de manière importante pendant le confinement, mais également que les enfants avaient passé plus de temps devant un écran, et surtout seuls devant un écran – car partager un moment avec son enfant devant un écran et le laisser seul devant un écran sont deux choses différentes. Nous entendons quotidiennement ce genre de témoignage : « J'ai dû laisser mon enfant seul devant son écran car j'avais une visioconférence pour le travail ». Nous entendons parler quotidiennement du télétravail et de l'école à la maison. Les enfants ont également davantage participé à des activités à la cuisine. En un sens, c'est une expérience positive pour les enfants, mais dans la mesure où ils ont fait beaucoup de pâtisserie, cela a pu engendrer des problèmes de surpoids. Généralement, les enfants n'ont pas seulement pris un ou deux kilos pendant le confinement, les six kilos de l'exemple de tout à l'heure correspondent plus à la norme de ce que nous avons pu constater.

J'aimerais évoquer un deuxième cas clinique, celui d'un garçon de sept ans. Il est entré en CE1. Il est l'aîné d'une fratrie de trois enfants. Sa mère l'avait amené en décembre dernier car il rencontrait de légères difficultés au début de son CP. Il se trouve que je suis spécialisée dans les troubles de l'apprentissage. J'avais évalué ce jeune patient, détectant quelques petites difficultés en langage oral. Je lui ai prescrit un bilan orthophonique. Il est généralement assez difficile d'obtenir rapidement rendez-vous chez un orthophoniste et le rendez-vous qui avait été pris a dû être annulé à cause du confinement. La mère a arrêté de travailler pour pouvoir s'occuper de ses trois enfants (un de six ans, un de trois ans et un de onze mois) et leur faire l'école à la maison comme elle a pu. Naturellement, elle ne disposait pas du bilan orthophonique de son fils. Elle a reçu des éléments de l'enseignante pour pouvoir le faire travailler mais il n'est pas retourné à l'école car la famille souhaitait préserver le grand‑père, qui habite sous le même toit et qui est fragile.

Une téléconsultation avait eu lieu et j'avais alors expliqué que le retour à l'école était possible pour tous les enfants qui étaient scolarisés. Notre association avait largement communiqué sur le sujet mais les familles étaient démunies face à l'afflux d'informations venant de toutes parts. Cet enfant n'est donc pas retourné à l'école du tout et je l'ai reçu mercredi avec son père, qui est boulanger. Je l'ai interrogé au sujet de la rentrée des classes. Il m'a expliqué qu'à ses yeux, son fils savait bien lire, ajoutant qu'il n'avait pas encore commencé les leçons de calcul. Étant spécialisée dans les troubles de l'apprentissage, j'ai testé le niveau de lecture de l'enfant et je me suis aperçue qu'il ne savait pas lire, alors qu'il est en CE1. Il lit très difficilement et lorsqu'il est interrogé sur le texte qu'il vient de lire, il n'est pas capable de répondre. Je lui ai demandé d'écrire une phrase simple du style : « J'ai épluché des fruits pour faire une tarte », ce dont il a été incapable. Le père était perdu, il faudra reprogrammer une visite chez un orthophoniste, et l'enfant a perdu un an dans sa scolarité.

J'interviens par ailleurs dans le milieu médico-social, qui est déserté par les médecins. Je m'occupe d'enfants qui sont atteints de paralysie cérébrale. Pendant le confinement, ces enfants sont restés chez eux et n'ont pas bénéficié d'un accompagnement. De même des enfants autistes n'ont pas pu être accompagnés.

J'a revu hier une petite fille qui souffre de dystrophie rétinienne. Elle connaît un grave retard de développement mais elle a tout de même des compétences. Elle devait être orientée en CP ULIS (unité localisée pour l'inclusion scolaire) mais le père m'a appris que la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) avait rejeté son orientation car son dossier avait été traité trop rapidement. J'ai écrit hier soir au médecin de la MDPH, qui m'a répondu ce matin qu'il allait revoir le dossier.

Ces cas cliniques sont des exemples de ce que nous rencontrons au quotidien.

Je terminerai mon intervention en revenant sur votre question sur les protocoles sanitaires et sur les mesures envisageables sur le terrain. À l'occasion de la pandémie, nous avons tous développé des réseaux locaux de praticiens (des groupes Whatsapp qui rassemblent des médecins généralistes, des pédiatres, des médecins de PMI, des responsables d'écoles, etc.). Nous avons transmis aux écoles de nombreuses informations que nous avions rassemblées sur Mpedia et nous en avons été remerciés car le protocole sanitaire était peu digeste pour les équipes des écoles, qu'il s'agisse des directeurs d'établissement, des médecins scolaires ou des enseignants. Un regard professionnel s'avère nécessaire pour expliquer les modes de contamination et la pertinence des mesures barrières par rapport à d'autres mesures. Nous avons expliqué par exemple pourquoi le port du masque chez les enfants de moins de onze ans n'était pas nécessaire alors qu'il l'était pour les adultes en présence d'enfants – Mme Gras-Le Guen a indiqué ces raisons. Il est indispensable de mettre en relation les professionnels médicaux qui ont une bonne connaissance de la pandémie et les enseignants et éducateurs qui travaillent au contact des enfants. Les protocoles sont des documents très longs et sans accompagnement complémentaire, ils sont inapplicables sur le terrain.

J'en ai terminé. Je répondrai bien entendu à vos questions.

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