Intervention de Hélène Romano

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 15h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Hélène Romano :

, docteur en psychopathologie clinique, psychologue clinicienne et psychothérapeute spécialisée dans le psychotraumatisme . Je concentrerai mon intervention sur le psychotrauma de l'enfant. Avant cela, j'introduis la notion d'événement traumatique : il s'agit d'une confrontation à la mort, une situation dans laquelle on a failli mourir, on a pensé être sur le point de mourir ou on a vu quelqu'un mourir. 31 458 morts ont été attribués en France à l'épidémie, et à raison de dix personnes impliquées par décès environ, ce sont plus de trois cents mille Français qui ont été endeuillés dans un contexte traumatique. Personne ne parle de ce sujet alors que les conséquences seront très lourdes, et notamment pour des enfants qui ont perdu un parent sans avoir pu le revoir, ni voir son corps ou participer aux funérailles.

Chez un enfant, un événement traumatique comme un deuil provoque une perte de repères et de continuité. Le confinement puis le déconfinement sont aussi des événements traumatiques pour les enfants et même pour certains adultes, car le sentiment de sécurité et de protection disparaît et car une rupture de la continuité intervient. Cela est susceptible d'entraîner des répercussions. On parle de « fracture de vie ». J'insiste d'ailleurs sur le fait que l'épidémie est survenue alors que les enfants des grandes villes vivent déjà dans un contexte relativement insécurisant. Je pense notamment aux villes de Paris, Lyon et Nice, qui ont connu des attentats. Après les attentats du Bataclan, les enfants ont dû apprendre à vivre avec un sentiment d'insécurité. Les enfants de l'île de Ré, où aucun attentat n'a eu lieu et où les victimes de la Covid ont été moins nombreuses, n'ont pas vécu l'épidémie de la même manière que les jeunes Parisiens. Les enfants parisiens ont également vécu les manifestations et les déstructurations qu'elles ont entraînées. S'il est possible de déposer des fleurs sur le lieu d'un attentat, on ne ritualise pas l'incendie d'une voiture de la même manière, ce qui n'aide pas à calmer l'angoisse de mort et le sentiment d'insécurité. S'ajoute à cela le contexte écologique. Avant même le déclenchement de l'épidémie, les enfants étaient déjà soumis à un contexte relativement angoissant. La confiance en l'avenir de la société française était ébranlée.

Les nouvelles relayées par les médias n'étaient guère rassurantes. Les décisions politiques étaient ajustées au jour le jour face à une maladie qui était encore méconnue. Les conseils prodigués par les professionnels de santé évoluaient en fonction de la connaissance du virus. Les chaînes d'information en continu diffusaient ces informations en permanence. Plutôt que de confier ces discussions à des collèges d'experts, elles étaient portées sur la place publique. Pendant la guerre, les chaînes d'information en continu n'existaient pas et la population n'était pas témoins des discussions des responsables politiques au sujet des décisions qui devaient être prises, et n'étaient pas non plus informées en direct du nombre de personnes fusillées, par exemple. Les médias ont donc eu une influence traumatogène sur les enfants comme sur leurs parents. Il serait important à mes yeux d'éduquer les médias afin qu'ils soient conscients de leur rôle « éducatif » pour la population, afin qu'ils ne stressent pas les Français. La transmission d'informations « brutes » et empreintes d'émotions pures, sans prise de recul, est problématique. Nous avons détecté ce phénomène il y a plusieurs années mais l'épidémie et le confinement l'ont renforcé. Pour les familles, pendant le confinement, la télévision était leur lien avec l'extérieur. Il est de la responsabilité des médias de limiter les effets traumatogènes des informations qu'ils transmettent.

Les enfants ont été les grands oubliés de l'information et de la communication lors du déconfinement. Dans d'autres pays, comme au Danemark, en Islande ou en Norvège, les responsables politiques (ministres en charge de l'éducation, présidents, etc.) se sont adressés aux enfants. Cela ne réclamait pas beaucoup de temps de leur expliquer pourquoi ils étaient confinés, puis déconfinés. En France, des informations étaient transmises aux parents, à charge pour ces derniers d'expliquer la situation à leurs enfants alors qu'eux-mêmes ne savaient pas exactement ce qu'était un virus, ce qu'était cette maladie en particulier. J'ai reçu un jeune garçon dont le père était décédé. On a expliqué à la mère que l'enfant était probablement porteur du virus, ce qui a été traduit hâtivement par : « L'enfant a tué son père » ! Le court-circuitage élaboratif peut être violent chez une personne seule.

Les enfants, en plus de leur propre vécu d'un événement traumatique, sont extrêmement sensibles à la réaction des adultes. Lorsque les parents, les enseignants et les professionnels ne sont pas sereins (avec la pression du télétravail), la situation peut être compliquée à gérer. Les parents tout comme les professionnels ont besoin d'espaces de soutien où ils peuvent trouver des informations et des supports de communication. Si les adultes sont insécurisés, leurs enfants seront psychologiquement insécurisés. La notion de protection est fondamentale du point de vue psychique.

Ayant cherché des études pour la commission, j'ai recensé vingt-cinq études internationales sur les effets psychotraumatiques du confinement sur la population lors des épidémies de SRAS et d'Ébola. Des études sont en cours pour la Covid mais nous n'avons pas encore le recul suffisant. Une seule des études internationales que j'ai mentionnées s'intéressait aux enfants. Réaliser des études auprès d'enfants est compliqué sur le plan éthique et aussi sur le plan pratique : un bébé ne peut pas s'exprimer, et il faut alors interroger ses parents. Ces études sont beaucoup plus difficiles à mettre en place qu'auprès des adultes. Les éléments que nous pouvons vous transmettre sont donc plutôt d'ordre qualitatif. Je travaille avec un laboratoire de recherche lyonnais et j'ai échangé avec de nombreux collègues sur la notion de psychotrauma. Je ne saurai vous communiquer des éléments précis – car les études sont en cours – mais on trouve le plus souvent des troubles anxieux, des troubles du sommeil, des troubles obsessionnels compulsifs (rituels de lavage) et une très forte angoisse de mort. La Covid a probablement cristallisé des angoisses de mort dans les familles auprès des enfants.

Les enfants en école maternelle ou primaire n'ont pas l'obligation de porter le masque mais ils entendent par ailleurs que le masque sert à se protéger et à protéger les autres. Si on ne lui explique pas pourquoi il n'a pas besoin de porter un masque, un enfant peut en déduire que sa vie est considérée comme sans valeur et qu'il risque de mourir. Pour un adulte, ce raisonnement peut sembler stupide, mais pour un enfant, cela a du sens. En outre, le masque empêche de parler ; il crée des dissonances. Sans explications, le port du masque peut être source d'insécurité chez les enfants.

J'ai constaté auprès de médecins généralistes et scolaires que les enfants avaient tendance à devenir plus agités et à difficilement tenir en place parce qu'ils ont été habitués à un autre rythme de vie pendant six mois. Ils ont des difficultés à réintégrer le rythme des apprentissages. N'oublions pas que les traumatismes peuvent être sources de troubles de l'attention et de la concentration. La reprise est donc compliquée et les évaluations de rentrée ne sont pas évidentes. Dans la plupart des études en cours, qui ne sont pas encore publiées, il apparaît que les enfants vivent cette expérience comme un jugement et pas du tout comme une évaluation de leur niveau. D'ailleurs dans certains établissements, cette évaluation débouche sur une note. Les enfants se retrouvent évalués sur ce qu'ils n'ont pas appris pendant six mois. Il peut y avoir un décalage entre l'intention – tout à fait louable – d'adapter l'enseignement à l'avancement des élèves et l'application sur le terrain.

Nous rencontrons fréquemment des troubles anxieux, des troubles du sommeil et des jeux traumatiques chez les enfants. Les professionnels qui les encadrent ne sont pas bien formés à repérer ces troubles. Ces troubles peuvent être majoritairement internalisés. Il est important de le savoir : les enfants ne se plaignent pas forcément. Ils n'expriment pas forcément leur peur de la mort ou leur sentiment d'insécurité vis-à-vis des masques. Ce sont des enfants qui resteront en retrait, n'apprendront pas voire se feront du mal (manger trop ou ne plus manger). Cela ne se voit pas forcément au premier abord. Les troubles externalisés sont moins fréquents – environ un tiers des cas – et ceux-là sont plus facilement repérables. Un enfant agressif envers ses camarades et qui adopte des comportements dangereux sera plus facilement identifié et pris en charge mais un enfant qui souffre d'un trouble internalisé sera plus difficile à détecter. La capacité d'hyperadaptation des enfants ne rend pas ces derniers insensibles à la douleur. Dans une étude en cours qui porte sur 1 500 enfants dans toute la France, il apparaît que les troubles internalisés sont majoritaires. L'enfant souffre mais ce n'est pas flagrant pour les adultes s'il n'en parle pas.

Nous avons affaire à une génération qui a été soumise à des traumas multiples. Nous sommes très inquiets des conséquences du deuil traumatique lié à la Covid. Nous savons, d'après les études, que le fait de ne pas avoir pu voir le corps de la personne décédée, ni avoir participé aux funérailles, peut rendre le deuil plus douloureux. Nous le voyons avec certains enfants mais aussi avec certains adultes. Ce problème va devenir un véritable enjeu de santé publique. Cette génération a également été soumise à un contexte social assez anxiogène. Les décideurs politiques doivent y être sensibles. L'expression des troubles post-traumatiques liés au confinement ne sera pas nécessairement immédiate. D'après les études internationales, la souffrance des enfants – mais aussi des adolescents ou des adultes – à la suite d'un événement traumatique est susceptible d'exploser trois ou quatre ans plus tard. 30 % des personnes confinées du fait du SRAS ou du virus Ébola présentaient des troubles post-traumatiques immédiats et le taux de personnes présentant ces troubles atteignait 70 % trois ou quatre ans plus tard. La dimension temporelle est donc fondamentale.

Nous comprenons que les responsable politiques doivent prendre des décisions en fonction de l'évolution des connaissances sur le virus mais il convient d'expliquer les raisons pour lesquelles les mesures sont prises. Le fait de communiquer sur le fait que porter un masque était inutile, puis de rendre le port du masque obligatoire, n'a pas toujours de sens sans explications. Il faut également être conscient du fait que les enfants sont capables de comprendre. Leur vie à l'école s'est retrouvée fondamentalement bouleversée et un enfant à qui on n'explique pas le sens des mesures barrières peut être conduit à penser que son école a été transformée en hôpital. Faute de leur fournir des explications, nous risquons de rendre nos enfants défiants envers les adultes. La société dans laquelle nous vivons leur procure déjà un sentiment d'insécurité et il est indispensable qu'ils gardent confiance dans les adultes. Même à l'université, les étudiants auprès de qui j'enseigne ne comprennent pas pourquoi la présence est limitée à dix personnes dans un groupe de travaux dirigés alors qu'ils sont trois cents à assister à un cours en amphithéâtre. Les enfants n'ont plus confiance en l'avenir et s'ils n'ont plus confiance dans les adultes, les conséquences risquent d'être dramatiques : passages à l'acte, conduites agressives, troubles post-traumatiques. Le coût sera très élevé pour notre société.

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