Intervention de Sylvie Tordjman

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 15h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Sylvie Tordjman, professeur en pédopsychiatrie, chef du Pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent (PHUPEA) au centre hospitalier Guillaume Régnier de Rennes :

L'une des conséquences de la rupture avec le milieu scolaire est la désynchronisation des rythmes biologiques. L'un des deux rythmes fondamentaux correspond à la mélatonine, dont la sécrétion est très basse durant la journée et maximale entre deux et trois heures du matin, d'où son appellation d'hormone du sommeil. Le second rythme circadien important est celui du cortisol, qui est inversé par rapport à celui de la mélatonine. Cette hormone est impliquée dans l'éveil, le stress et les apprentissages. Il existe de nombreux autres rythmes circadiens, qui sont synchronisés par la mélatonine.

Pendant le confinement, ces rythmes ont été désynchronisés chez de nombreux enfants, adolescents ou jeunes adultes. Des facteurs environnementaux influent sur les rythmes circadiens. Ils contribuent à la synchronisation des rythmes biologiques. Ces facteurs, appelés « time-givers », sont les heures de coucher, de repas mais aussi d'activité (scolaire notamment). Durant le confinement, les enfants ont donc perdu l'un de ces facteurs. De même ce rôle peut être assuré par les activités sportives régulières et par les activités sociales, qui ont également été réduites durant le confinement. La désynchronisation a entraîné un certain nombre de troubles du sommeil. Je travaille sur le sujet au sein d'un laboratoire de l'Université de Paris. Des études ont mis en évidence des associations entre les troubles du sommeil et des problèmes auxquels les enfants et les adolescents peuvent être confrontés : l'anxiété, la dépression – ainsi que les troubles bipolaires pour les adultes –, l'hyperactivité et les déficits attentionnels (difficultés de concentration impliquant le cortisol), les troubles autistiques et la schizophrénie. Quant au lien de causalité, il est possible que les troubles du sommeil soient la source des troubles psychiques ou bien que les troubles psychiques créent une certaine vulnérabilité aux troubles du sommeil. Quoi qu'il en soit, les deux phénomènes sont liés, et il est donc important de repérer les troubles du sommeil. Nous en voyons les conséquences au long cours depuis le déconfinement, avec la désynchronisation des rythmes mais aussi des changements de comportement.

Confinés à domicile, les jeunes ont commencé à utiliser les écrans de manière plus anarchique, ce qui a contribué à désynchroniser leurs rythmes circadiens. La lumière bleue émise par les écrans est en effet susceptible d'inhiber la sécrétion de mélatonine. Les troubles du sommeil ont tendance à persister, en particulier chez des adolescents et pré-adolescents, alors qu'ils ont repris le chemin de l'école.

Une deuxième conséquence du confinement est que les jeunes ont vécu dans un espace plus limité. Ils ont perdu la capacité d'accéder à plusieurs lieux. On peut penser par exemple aux problèmes de violences intrafamiliales et à des conflits intrafamiliaux qui pouvaient être régulés par la capacité de sortir du domicile et d'accéder à des lieux extérieurs. L'école joue d'ailleurs un rôle dans ce domaine. La leçon que nous pouvons en tirer est qu'il est important pour les enfants, les adolescents et même les adultes, d'avoir accès à plusieurs lieux de vie et de pouvoir y exprimer leur identité de diverses manières. Préserver la pluralité de ces lieux permet donc aux enfants se développer en dehors d'un environnement qui peut être vécu comme agressif à leur domicile. Cette réflexion est importante en pédopsychiatrie mais elle me semble pouvoir intéresser tous les partenaires.

Nous avons construit une collaboration avec les services de l'Éducation nationale dans l'académie de Rennes, avec Christian Wilhelm, afin d'assurer un repérage des enfants qui seraient en difficulté psychologique. Une plate-forme a été créée, permettant à des pédopsychiatres de tenir une permanence téléphonique. Le circuit de signalement était laissé à la libre appréciation des établissements. Les cas pouvaient par exemple être signalés au médecin scolaire par les enseignants, qui transmettait l'information au psychologue scolaire. Nous n'avons pas fermé la plate-forme avec le déconfinement car elle a permis de lancer un dialogue. Les enseignants sont en première ligne et ils ont la capacité de détecter des situations critiques mais ils sont parfois en difficulté pour savoir à qui transmettre le dossier afin que celui-ci soit correctement traité. Un constat d'impuissance est susceptible de dégrader la situation pour l'ensemble des intervenants. Cette plate-forme a donc permis de construire un lien précieux.

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