Intervention de Sylvie Tordjman

Réunion du jeudi 24 septembre 2020 à 15h45
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Sylvie Tordjman, professeur en pédopsychiatrie, chef du Pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent (PHUPEA) au centre hospitalier Guillaume Régnier de Rennes :

Non, nous avons créé une plate-forme téléphonique à notre niveau. Nous avons communiqué à la presse pour que l'existence de cette structure soit connue au niveau régional. Nous avons reçu le soutien de Christian Wilhelm, le DASEN (directeur académique des services de l'Éducation nationale) d'Ille-et-Vilaine, qui a relayé l'information auprès des établissements scolaires et des écoles basés sur son territoire. Il a donc invité les directeurs d'établissement à réfléchir à la manière dont ils pouvaient avoir recours à cette plate-forme. Il était important de préserver une certaine liberté d'organisation pour chaque établissement, chacun pouvant fonctionner de manière particulière. Cette plate-forme nous permet de repérer des cas. Nous constatons qu'il est important de repérer rapidement les enfants en difficulté. Ils peuvent alors être pris en charge par d'autres dispositifs, et notamment par des équipes mobiles. L'une de ces équipes mobiles est spécialisée dans les liens avec l'Éducation nationale. Lorsqu'un professionnel de l'Éducation nationale nous saisit, nous engageons une démarche et, pour les cas urgents, nous nous déplaçons dans les quarante-huit heures. Nos missions recouvrent l'évaluation et l'accès aux soins : nous ne nous chargeons pas du suivi au long cours mais nous orientons les personnes vers divers professionnels capables de les accompagner. Il est intéressant de noter que nos interventions ne débouchent sur un suivi au long cours que dans 50 % des cas. Nous avons fixé un seuil maximal de dix réunions par cas. Ce seuil n'a pas été défini au hasard : il correspond à des thérapies brèves. Si nous allions au-delà de dix séances, nous ne pourrions plus être aussi réactifs.

La création de cette équipe date de 2005. Ce n'est donc pas une nouveauté mais avec le confinement, nous avons souhaité accroître notre mobilité. En dépit du contexte sanitaire particulier (port du masque, de la blouse, des chaussons et d'un bonnet), nous avons pu nous rendre jusqu'au domicile des patients. Il est important de garder à l'esprit que dans le contexte sanitaire actuel, le fait de recevoir quelqu'un à son domicile peut susciter la peur d'être contaminé. Nous procédons à un entretien téléphonique préalable afin de pouvoir adapter notre réponse thérapeutique aux besoins des familles. Je suis d'ailleurs Présidente de l'Association des équipes mobiles en psychiatrie au niveau national. Nous ne nous intéressons pas seulement à la pédopsychiatrie puisque nous nous adressons aussi aux personnes âgées par exemple. Le fait que nous ayons une équipe mobile ne signifie pas que nous devions imposer l'intervention de cette équipe dans tous les cas. Un entretien téléphonique nous permet de proposer aux familles de les rencontrer où elles le souhaitent : à leur domicile, dans nos locaux et dans divers autres lieux depuis le déconfinement. Nous avons par exemple aménagé un camping-car en bureau mobile, et nous pouvons donc nous déplacer où les familles le souhaitent. Nous avons d'ailleurs une équipe spécialisée dans les violences intrafamiliales. Certains enfants sont exposés indirectement à des violences conjugales ou intrafamiliales et le bureau mobile est extrêmement précieux pour pouvoir proposer une rencontre. Certaines familles peuvent être réticentes à ce que nous venions à leur domicile. Durant le confinement, nous avons eu des familles qui étaient opposées à toute visite par crainte d'être contaminées.

Nous avons travaillé avec Richard Delorme – qui participait à la réunion précédente – sur l'organisation du travail à domicile. Nous avons travaillé sur le sujet avec les professionnels de l'Éducation nationale. Les enfants et adolescents devaient travailler chez eux et ils étaient accompagnés par les équipes pédagogiques mais une réflexion devait avoir lieu sur l'organisation du travail à domicile. Travailler dans un espace non dédié au travail et sans intimité finit par perturber l'ensemble de la famille. De la même façon, les professionnels du soin ont dû s'interroger sur le lieu qui convenait pour organiser une téléconsultation à leur domicile, afin de ne pas subir une intrusion dans leur propre intimité. Nous avons édité un e-book qui rassemble l'ensemble de nos conseils sur l'organisation du travail à domicile. Vous pouvez le trouver facilement en recherchant « OSF confinement » sur Google. Une version anglaise est d'ailleurs disponible – nous avons travaillé avec des collègues du Yale Searching Center (université de Yale). Ce guide est largement diffusé aux États-Unis et il est également disponible sur le site de la World Psychiatric Association.

Cette collaboration avec l'Éducation nationale s'est avérée précieuse car nous n'aurions pas pu repérer ces jeunes sans le concours des enseignants qui sont en relation avec eux et leur famille, qui plus est en période de confinement où nous ne nous déplacions pas. Les médecins généralistes ont joué également un rôle important. La plate-forme que nous avons créée pendant le confinement est toujours importante à l'heure actuelle. Nous allons amplifier le développement des équipes mobiles afin d'aller à la rencontre des familles qui ne souhaitent pas se déplacer dans nos Centres médico-psychologiques (CMP). Elles craignent parfois que nous ayons des velléités d'exclure leur enfant de leur école, et qu'un jour des ambulanciers ne viennent le chercher en pleine classe pour l'emmener au CMP. Il est important pour nous de faire évoluer nos pratiques. Cette période de confinement peut nous permettre d'enrichir notre réflexion et de développer davantage ce type d'outil à l'avenir.

Nous pouvons aussi chercher à développer les outils de télécommunications et de télétransmission, qui se sont révélés indispensables durant le confinement (téléphone, mails, visioconférence). Il convient cependant de conserver à l'esprit un cadre éthique. La prise en charge à distance présente l'avantage que l'enfant n'a pas besoin de se déplacer. Parfois le fait de ne pas être physiquement face au thérapeute libère la parole de l'enfant. J'ai à l'esprit l'exemple d'un jeune qui était sujet à des problèmes de comportement et de délinquance. J'ai été très surprise de voir que nos entretiens pouvaient dépasser une demi-heure au téléphone alors qu'en présentiel, des objets commençaient à voler à travers la pièce après dix ou quinze minutes. Pour les enseignants également les outils à distance ont été utiles. Cependant, l'accompagnement à distance ne permet pas d'offrir le contact physique dont certains enfants ont besoin. Pour d'autres, le chemin pour rendre visite au thérapeute joue le rôle de « sas » et les prépare à l'entretien, alors qu'avec un outil à distance, ils sont directement confrontés à un changement d'environnement. Enfin, un problème d'intimité peut se poser : les parents peuvent avoir l'impression d'être observés chez eux et le thérapeute doit réfléchir à un cadre approprié pour travailler chez lui sans révéler d'éléments d'ordre privé. Malgré ces réserves, ces outils me semblent importants. Je pense qu'il est important que nous ayons à notre disposition un panel d'outils que nous pouvons utiliser en complément des entretiens présentiels.

J'ajouterai pour finir que certains enfants ont connu une amélioration de leur état psychique pendant la période de confinement. Je dirais même que c'est le cas d'environ un tiers des enfants que nous accompagnons. Certains enfants ont un certain potentiel créatif mais ils peuvent se retrouver en difficulté en milieu scolaire. Je ne prétends pas pour autant qu'ils doivent être extraits de l'école mais sur le plan pédagogique, ils ont pu mieux s'investir. Cela ouvre la voie à une réflexion sur une voie alternative entre l'école « traditionnelle » et le CNED pour certains enfants. Je pense également à des enfants qui sont victimes de harcèlement scolaire. Plutôt qu'une rupture vis-à-vis de la scolarité, il est possible d'envisager des solutions hybrides qui permettraient de maintenir un certain lien avec l'école, en alternant l'enseignement à distance et la présence à l'école. Les outils de communication permettraient de maintenir un lien y compris pendant les phases d'enseignement à distance. La question mérite au moins d'être posée.

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