Intervention de Guislaine David

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Guislaine David, co-secrétaire générale du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUipp- FSU) :

La fermeture de la totalité des écoles le 13 mars a été très inattendue et a entraîné les enseignants et la hiérarchie dans une sorte de chaos. L'impréparation de cette période a montré que l'école n'était pas prête à affronter cette situation. Cette période de confinement aura mis en lumière l'adaptabilité, l'inventivité de la profession, mais aussi l'impérieuse nécessité de tirer des enseignements de cette période. À l'heure actuelle, aucun bilan n'a été tiré par le ministère de l'Éducation nationale avec ses enseignants.

Le ministère se déclarait prêt, le soir du 13 mars, avec une plateforme du Centre national d'enseignement à distance (CNED) opérationnelle pour les familles et les enseignants. Sur le terrain, la réalité fut tout autre. Les serveurs ont rapidement lâché, les modules « Ma classe à la maison » ont peu fonctionné, et l'enquête de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du mois de juillet a révélé que peu d'enseignants s'étaient appuyés sur ces plateformes.

Cette période a mis en exergue l'importance du groupe, de la classe. L'épisode a démontré, s'il en était besoin, qu'il ne suffit pas de transmettre des consignes pour que les apprentissages soient effectifs. La classe favorise les interactions entre élèves, entre élèves et enseignants, et permet toute la variété des dispositifs pédagogiques, particulièrement pour les élèves les plus éloignés de la culture scolaire. Dans le premier degré, l'élève ne peut pas réaliser seul toutes les tâches demandées, et la disponibilité d'un adulte accompagnateur ne peut être garantie dans toutes les familles. Le concept de continuité pédagogique peut entretenir l'illusion que n'importe qui pourrait enseigner. Le transfert de la responsabilité pédagogique vers les parents est évidemment un leurre, car le repérage de ce qui fait obstacle aux apprentissages – les erreurs types, impliquant telle ou telle remédiation – relève bien d'une expertise professionnelle qui ne peut être déléguée. À la maison, les temps de travail scolaire entre des enfants éprouvant des difficultés et des parents sans formation pédagogique ont toutes les chances d'occasionner des malentendus et des tensions.

La continuité pédagogique avec les élèves de maternelle a été difficile à construire. L'école maternelle est le lieu de la socialisation, du langage, et le collectif y est prépondérant. C'est aussi entre enfants, et dans des moments de jeux d'imitation, que les enfants interagissent, s'expriment, se confrontent. Dans les quartiers défavorisés ou populaires, nombre d'enfants se sont trouvés en rupture de langue française, car pour certains, l'école est le lieu où l'on parle français. Ce fut flagrant en maternelle, mais également dans les classes de cours préparatoire (CP).

Cette période fut également très complexe pour les enfants en situation de handicap. Ils ont été confrontés à une situation inédite, sans repères, et souvent sans même pouvoir sortir de chez eux. La relation à distance avec l'enseignant fut aussi difficile à construire.

L'enseignement généralisé à distance a rencontré l'écueil de la fracture numérique. Pour donner leur pleine mesure, les outils mis à disposition supposent un équipement complet, inaccessible dans les foyers les plus modestes. Les conditions de vie dans les familles ont aussi joué un rôle déterminant. La continuité pédagogique est compliquée à maintenir lorsque le foyer n'est pas ou peu équipé en ordinateurs.

La fermeture des écoles a par ailleurs entraîné la fermeture des cantines scolaires, privant certains enfants du seul repas équilibré de la journée, parfois gratuit ou coûtant souvent moins d'un euro. Cette insécurité alimentaire s'ajoute aux inégalités scolaires accentuées durant le confinement. Cette pauvreté emporte des conséquences négatives sur les apprentissages et la scolarité des enfants et des jeunes.

Après le confinement, la reprise de l'école le 11 mai s'est basée sur le volontariat des familles. Au SNUipp, nous étions opposés à ce volontariat, parce qu'il a mis en lumière le fait que ce sont les élèves les plus en besoin de l'école qui n'y sont pas revenus, et notamment les élèves des milieux populaires. En éducation prioritaire, il était très compliqué de convaincre les familles de revenir à l'école, car celles-ci nourrissaient de nombreuses craintes.

Le lien avec l'institution fut très compliqué pour les enseignants. Ces derniers ont dû s'adapter à des périodes de confinement et de déconfinement, avec de réelles difficultés pour recevoir des consignes claires et rassurantes. Nous avons d'ailleurs produit, au SNUipp, un sondage très intéressant sur cette question. La succession et la modification des protocoles ont été difficilement vécues par les équipes enseignantes. Les directeurs et directrices ont dû s'adapter et s'organiser quotidiennement avec les municipalités.

Abordons à présent la rentrée scolaire de 2020. Après cette première période de retour généralisé à l'école pour la totalité des enfants, les enseignants sont maintenant confrontés à de grandes disparités entre les élèves. L'hétérogénéité est encore plus forte qu'auparavant. Certains élèves ont pu tirer les bénéfices de la période de confinement, quand d'autres, en difficulté scolaire, ont été victimes de cette période sans école.

Par ailleurs, en cette reprise de l'école, certaines aptitudes et compétences transversales et sociales font défaut. Ces compétences sont difficiles à réinstaller dans un contexte sanitaire perturbant, mais aussi parce que certains élèves ont été éloignés de l'école et du collectif durant près de six mois. Il n'est pas toujours simple de retrouver le collectif. Certains élèves sont psychologiquement plus fragiles, en phobie scolaire. D'autres manquent de confiance en eux et/ou sont mal dans leur peau. Alors qu'ils se sentaient protégés durant la période de confinement, le retour au collectif s'avère plus compliqué pour ces élèves.

En maternelle, nous observons que l'enseignement avec le masque complique encore la situation. L'enfant ne sait pas qui parle et ne prend pas nécessairement le message pour lui, puisqu'il entend un bruit sans toujours en identifier la provenance. Il est extrêmement difficile de mobiliser les enfants avec la voix et les gestes sans le support des expressions du visage. En CP, c'est également une difficulté que rencontrent les enseignants pour l'apprentissage de la lecture. C'est aussi le cas des enfants en situation de handicap, qui sont souvent malentendants ou autistes. Les enseignants confrontés à ces élèves doivent être équipés de masques transparents afin d'enseigner dans de bonnes conditions.

Pour résoudre toutes ces difficultés, nous devons à présent pouvoir vivre avec le Covid-19 et vivre dans une école sous Covid-19. Ce n'est pas simple, et l'enjeu requiert des moyens. La réduction des effectifs dans les classes et le renforcement des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) sont nécessaires pour mettre en place un certain nombre d'apprentissages avec les élèves.

Pour dresser un premier bilan de ces six semaines de classe, le SNUipp a enquêté auprès de ses enseignants. Le ressenti de la profession est plutôt sans appel. 81 % des répondants à cette enquête se sentent plutôt mal ou très mal protégés dans l'exercice de leurs fonctions au sein de l'institution Éducation nationale. Ce n'est pas rien. L'adaptation au changement des directives sanitaires est perçue comme difficile à mettre en œuvre. Ce résultat montre qu'il existe un décalage flagrant entre ce qui est préconisé, ce qui est mis en place dans l'Éducation nationale et ce que ressentent les personnels dans les écoles. Pour nous, l'école sous Covid-19, dont les conséquences ont été insuffisamment préparées et anticipées, témoigne aussi de la réalité d'un système éducatif incapable de répondre aux enjeux actuels de l'école et dépourvu des moyens nécessaires pour faire face aux crises et aux objectifs qui lui sont assignés, dans une société de plus en plus fracturée, dans laquelle de plus en plus d'élèves se trouvent en grande difficulté dans nos écoles et en grande difficulté sociale.

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