Intervention de Claire Krepper

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Claire Krepper, secrétaire nationale du Syndicat des enseignants de l'UNSA (SE-UNSA) :

Votre rapport évoque la rupture qu'a constituée le confinement, ainsi que les difficultés liées à la mise en œuvre très brutale de ce que le ministre a nommé « la continuité pédagogique » ; j'emploie volontairement des guillemets, ma collègue ayant expliqué en quoi cette continuité pédagogique pouvait parfois être illusoire.

Dès le départ, l'action du ministère fut centrée sur les apprentissages scolaires. Les consignes, les recommandations, les outils proposés s'adressaient quasi exclusivement aux enseignants, ainsi qu'aux personnels d'encadrement chargés de faire fonctionner les établissements du second degré, en oubliant les acteurs importants que sont les psychologues de l'Éducation nationale (Psy-EN) ; ma collègue, qui exerce elle-même cette fonction, prendra ensuite la parole pour développer ce volet de notre intervention. Avant la publication de la circulaire organisant la rentrée 2020, les psychologues de l'Éducation nationale n'avaient jamais été mentionnés dans les textes produits par le ministère ; encore avons-nous dû fortement insister pour que ces professionnels soient enfin reconnus dans leurs missions.

Nous ne reviendrons pas sur tous les sujets ayant contribué à la mise en difficulté des personnels dans la mise en œuvre de la continuité pédagogique. Nous souhaitons en revanche attirer l'attention sur le fait qu'aucun de ces points, de notre point de vue, n'a encore trouvé de réponse véritablement satisfaisante. En cas de reconfinement partiel ou total, les mêmes causes risquent de produire les mêmes effets.

Je pense notamment aux équipements informatiques. Malgré les quelques efforts enregistrés dans ce domaine, seuls deux territoires sont aujourd'hui en expérimentation au niveau du ministère, ce qui nous paraît tout à fait insuffisant. Les espaces numériques de travail (ENT) ont été renforcés lors du confinement, mais ils demeurent très fragiles. Dans le premier degré, rares sont les ENT fonctionnant de manière optimale. Les écoles rencontrent donc de réelles difficultés à assurer une continuité pédagogique par le biais du numérique. En outre, les outils et les ressources du CNED n'ont pas été à la hauteur des attentes des enseignants s'agissant de la qualité pédagogique et de la qualité technique, et nous attendons également des améliorations sur ce qui peut être proposé. Souvent, les ressources pédagogiques ressemblent à des cours magistraux, assez frontaux, qui ne correspondent pas à ce qui doit être mis en œuvre pour installer des apprentissages solides chez tous les élèves.

Je pense également aux examens et à leur adaptation. Dans un contexte sanitaire très dégradé, nous manquons toujours d'un plan B, et nous pouvons difficilement admettre qu'il existe un véritable plan A. Depuis plusieurs mois, les organisations syndicales représentant les enseignants demandent des adaptations de programmes et de contenus pour tenir compte du décalage dans les apprentissages survenu sur l'année scolaire 2019-2020. Les organisations syndicales demandent aussi une adaptation des épreuves et du calendrier. Rappelons en effet que le nouveau baccalauréat 2021 prévoit des épreuves de spécialité dès le mois de mars. Nous demandons donc leur report si les programmes et les épreuves ne font pas l'objet d'adaptations satisfaisantes permettant de préparer tous nos élèves dans de bonnes conditions.

Nous avions aussi noté que la formation des enseignants à l'utilisation du numérique pédagogique paraissait insuffisante. Nous attendons un véritable plan de formation, qui n'est pas encore mis en œuvre sur le terrain.

Au-delà de ces difficultés, nous devons réaffirmer que l'enseignement à distance ne peut pas remplacer l'enseignement en présentiel, et qu'il ne le remplacera jamais. Les interactions en présentiel sont absolument indispensables. Même si l'on développe une formation permettant d'améliorer les pratiques pédagogiques avec le numérique, l'école à distance n'est pas l'école.

Vous nous interrogez sur la rentrée et sur sa perception au sein du corps enseignant. Bien entendu, nous ne disposons pas de données objectivées sur le retard accumulé par les élèves ou sur le creusement des écarts. En revanche, nous disposons d'observations remontées par les enseignants que nous avons interrogés. Nous les avons questionnés sur leur état d'esprit en cette rentrée, mais également sur leur ressenti des conséquences de la crise sanitaire sur leurs élèves.

Dans la première enquête que nous avions conduite à la rentrée, les deux mots qui ressortaient étaient « stressé » et « motivé ». Désormais, le terme « stressé » est toujours le premier mot cité par nos collègues, tandis que le terme « motivé » a disparu de la liste des premiers mots retenus : « difficulté », « frustration », « insécurité », « désarroi ». À noter que le terme « désarroi » est particulièrement retenu par les directeurs et directrices d'école, qui sont quotidiennement confrontés à la gestion de la crise sanitaire, au repérage des cas positifs, et qui sont en grande difficulté pour parvenir à faire face à cette situation.

Nous constatons donc une très nette dégradation depuis la rentrée. Le protocole et les gestes barrières sont le premier sujet de préoccupation des enseignants, bien avant les questions pédagogiques. Travailler avec le masque est le sujet qui revient le plus souvent dans leurs commentaires. Au niveau du lycée, la mise en œuvre des réformes s'ajoute à la gestion de la crise, avec une année particulièrement complexe pour nos collègues du lycée. Le terme « fatigue » est le troisième mot le plus fréquemment exprimé dans les réponses libres de nos collègues. Précisons que cette dernière enquête a été menée la semaine dernière, et que nous avons épluché plus de 10 000 réponses avant de vous rencontrer.

Nous avons demandé à nos collègues s'ils constataient une plus grande hétérogénéité dans les classes ou les groupes. La réponse est affirmative à 65 %. Les résultats sont encore plus nets à l'école élémentaire, avec une réponse affirmative à 69 %. Constatent-ils des retards dans les apprentissages plus marqués que les années précédentes ? La réponse est affirmative à 72 %, avec un phénomène particulièrement prégnant à l'école élémentaire et au lycée général et technologique. Cette réalité semble moins prononcée dans les lycées professionnels (LP), qui avaient pourtant été présentés comme les lieux enregistrant le plus fort décrochage scolaire en période de confinement, puisque les collègues des LP ne sont que 65 % à faire état d'une aggravation des retards.

Nous avons aussi interrogé les enseignants pour savoir s'ils constataient une perte de motivation parmi les élèves et une démotivation plus accentuée que par le passé. La réponse est affirmative à 61 %, notamment dans les collèges et les lycées professionnels. 69 % des collègues rencontrent davantage de difficultés à installer des habitudes de travail, en particulier à l'école élémentaire (73 %).

Nous avons également demandé à nos collègues s'ils pensaient que les élèves s'inquiétaient des conséquences de cette situation sanitaire. En l'occurrence, 62 % de nos collègues répondent par la négative. Cela dit, plus de 54 % des collègues du lycée général et technologique estiment que c'est le cas de leurs élèves, ceci pouvant s'expliquer par la réforme du lycée et par le baccalauréat.

Il est aujourd'hui difficile d'identifier ou de mesurer l'impact de la crise sur les apprentissages. Peut-être que les évaluations menées par la DEPP nous permettront-elles d'en savoir un peu plus. Quant à l'impact psychologique, sur lequel ma collègue reviendra, les psys-EN n'ont pas été sollicités pour intervenir sur ce champ.

Quels moyens sont mis en œuvre pour prendre en compte les difficultés et réduire l'impact de la crise sur les élèves ? Comme le soulignait ma collègue, nous regrettons l'absence d'investissements massifs à la hauteur des besoins dans l'éducation. Les solutions proposées par le ministère concernent des dispositifs restant en marge de la classe pour la plupart : devoirs réalisés au collège ; activités pédagogiques complémentaires (APC) ou heures supplémentaires à l'école primaire ; accompagnement personnalisé au lycée.

L'on nous propose également une rémunération en heures supplémentaires effectives (HSE), qui ont été économisées en période de confinement, ainsi que des évaluations et des positionnements de début d'année. S'il est bienvenu de pouvoir identifier les besoins des élèves, encore faut-il que les outils d'évaluation le permettent, ce qui n'est pas le cas – nous le pensons – pour les évaluations nationales.

En outre, l'absence d'adaptation officielle des contenus partagée par tous les acteurs a conduit chaque enseignant à les adapter lui-même à ses élèves, ce qui peut poser de sérieuses difficultés. La formation reste à construire. Les moyens ne permettent pas de réduire les effectifs de manière significative dans les classes, en particulier au second degré, puisque nous accueillons plus d'élèves alors que les postes sont moins nombreux. Nous espérons toujours des adaptations pour les examens, qui ne sont pas prévues à ce jour. Les RASED – premier dispositif qui pourrait être mobilisé pour intervenir sur la grande difficulté scolaire – demeurent exsangues, tandis que le projet de loi de finances (PLF) reste muet sur le sujet. Nous pouvons formuler la même remarque pour les psychologues de l'Éducation nationale, puisqu'aucun recrutement supplémentaire n'est prévu, sans compter que nous nous heurtons au refus de recruter sur liste complémentaire pour couvrir les postes vacants.

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