Intervention de Valérie Sipahimalani

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignants du second degré – Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU) :

En recevant votre invitation, nous avons réalisé que nous avions étroitement suivi les impacts de la crise sur les personnels, mais qu'il était difficile, pour la communauté éducative que nous représentons, de produire des données plus quantitatives sur le ressenti des élèves. En l'absence de chiffres, notre analyse s'avère plus qualitative que quantitative. De notre point de vue, la crise est toujours en cours. Les élèves et les personnels continuent d'être perturbés. Trois séquences sont à distinguer : le confinement ; le retour en classe avant les congés d'été, sur la base du volontariat, qui n'a pas été proposé dans certaines zones et sur certains niveaux – par exemple dans les lycées des zones rouges ; la situation depuis la rentrée scolaire.

Concernant le confinement, il est certain que nous ne pouvions pas être prêts face à un tel évènement. Personne ne pouvait être prêt. A posteriori, cette période a d'abord posé la question du maintien d'un lien social sans véritable continuité pédagogique, telle que nous pouvons l'entendre, et ce pour différentes raisons. Évidemment, les problèmes matériels ne peuvent être niés. Néanmoins, les familles non affectées par les difficultés matérielles ont pâti d'autres difficultés. Le décrochage et la perte de contact furent une réalité avec certains élèves, mais la présence en visioconférence ne fut pas nécessairement synonyme d'acquis pédagogique, comme nous le constatons actuellement.

Par ailleurs, la relation a été maintenue par l'ensemble des personnels, à commencer par les professeurs, mais aussi par la vie scolaire, les conseillers principaux d'éducation (CPE), les assistants, les psys-EN, les équipes de direction, les assistantes sociales. Ces professionnels ont accompagné des situations d'autant plus difficiles qu'il n'était pas possible de se rencontrer. Ces situations difficiles laissent actuellement des traces chez les élèves comme chez les personnels.

Au plan qualitatif, les élèves rapportent avoir été confrontés à une trop lourde charge de travail durant le confinement. Ils ont aussi peiné à appréhender la multiplicité des outils utilisés par l'institution, qui manquaient de cohérence et qui nous ont obligés à composer avec les moyens du bord. Les élèves ont également rencontré des problèmes dans leurs conditions de vie, notamment pour l'accès à un lieu calme ou pour la disponibilité des équipements et de la connexion. Il n'est guère aisé de suivre ou de télécharger des documents sur un smartphone, situation qui concerne une proportion non négligeable de nos élèves. Des problèmes de forfait ont aussi été évoqués.

De surcroît, le temps d'étude s'est révélé problématique, en particulier pour nos élèves les plus âgés, qui s'occupaient parfois de leurs frères et sœurs. La maladie a également affecté les élèves, puisque certains sont tombés malades, quand d'autres ont perdu un membre de leur famille. Les élèves ont fait état de problèmes de moral, de difficultés à gérer l'isolement et l'absence de camarades, de problèmes d'engagement dans le travail scolaire, de problèmes de concentration et de problèmes d'interactions, puisqu'il n'était guère aisé de solliciter de l'aide ou des explications. Comme l'ont souligné nos collègues, il est compliqué, dans le cadre d'une classe chargée, de répondre par mail à une trentaine d'élèves. Dans la mesure où les explications données à l'un ne profitent pas aux autres, toutes les interactions susceptibles de se nouer en classe n'ont pu s'établir sur la période.

Les mesures effectuées par la DEPP s'agissant du ressenti des familles sont très intéressantes, mais le sentiment de satisfaction n'induit pas nécessairement une progression des apprentissages, alors qu'il s'agit pourtant de l'objectif de l'école, en plus de ce qui a été exprimé s'agissant de l'éducation à la vie en société. Comme nous l'avions pressenti, nous constatons un renforcement de toutes les inégalités, lié à l'absence de gestion des interactions qui n'ont pu s'établir en cette période de confinement. Il nous semble désormais important d'en dresser le bilan et de mettre en cohérence le travail des équipes en direction des élèves. Si une classe ou un établissement devait à nouveau fermer, nous nous retrouverions dans la même difficulté qu'au mois de mars, parce que l'on ne nous a pas donné le temps ni les moyens de nous organiser collectivement dans les établissements. Des demi-journées banalisées seraient notamment bienvenues, mais le ministère ne les a pas préconisées à ce stade.

Par ailleurs, si le bilan pédagogique traitant des acquis des élèves doit être établi sur la durée, nous partons globalement du principe qu'aucun acquis n'a pu se développer durant le confinement. La situation demeure tout aussi compliquée à ce jour, dans la mesure où la crise sanitaire influe sur l'état d'esprit des élèves et sur celui de la communauté éducative des établissements. Il est difficile de mesurer la disponibilité des uns et des autres vis-à-vis des apprentissages, sachant que nos élèves sont des éponges émotionnelles. Lorsque la vie s'avère compliquée dans un établissement scolaire, les effets s'en ressentent dans la classe. Un autre effet que nous n'avons pas encore mesuré est celui de la paupérisation des familles sur la disponibilité des élèves à recevoir les enseignements provenant de l'établissement scolaire.

Le retour au mois de mai et au mois de juin fut très compliqué. Nous considérons que l'accompagnement au retour fut réel, mais nous ne portons pas le même jugement sur la reprise des apprentissages. Ces deux mois ont été dominés par les questions d'orientation, d'affectations, d'examens. L'Éducation nationale a encore fait preuve d'un manque de gestion, comme en témoigne le suspens maintenu sur l'épreuve d'oral du français jusqu'au 28 mai. Cette situation fut difficile à vivre pour les collègues comme pour les élèves et emblématique de la période, puisque nous étions dans un entre-deux à attendre des mesures qui n'étaient pas adoptées.

Depuis la rentrée, nous relevons une difficulté à travailler du fait du protocole sanitaire, ainsi qu'une difficulté à se projeter sur l'avenir pour nos élèves les plus âgés, en raison de l'incertitude des temps. Par exemple, le changement des règles du baccalauréat en cours d'année dernière fut un véritable traumatisme pour les lycéens. J'ignore d'ailleurs quel sera l'effet de l'annonce d'hier relative au couvre-feu – à la veille des vacances scolaires – sur nos élèves. En tout état de cause, le masque complique la relation pédagogique, puisque nous sommes dépourvus des interactions habituelles que nous développons avec les élèves. La gestion de la vie en collectivité est contrainte par le cadre sanitaire, avec des tracasseries du quotidien qui compliquent l'installation de la relation pédagogique, qui nécessite un cadre extérieur tranquille, fluide et serein. Nous avons reçu des consignes peu claires de la part de l'Éducation nationale, notamment sur la gestion des salles. La multiplicité des consignes a par ailleurs compliqué la donne, puisque nous avons perdu du temps, suite à la consigne de s'adapter localement, à chercher des adaptations locales, au point de parfois faire émerger des doutes dans la relation avec les élèves. Comme l'ont exprimé mes collègues, nous aurions besoin d'un plus grand nombre de surveillants et de personnels d'entretien dans les établissements scolaires pour garantir le respect du protocole sanitaire, sachant que son impossible application constitue une source de stress pour l'ensemble de la communauté.

Dans la durée, nous devrons tenir compte de la fragilité des acquis pédagogiques. Nous avons collectivement demandé au ministre de tenir compte de l'année dernière et de ce début d'année pour aménager les programmes, en particulier les programmes d'examens. Non seulement nos demandes demeurent sans réponse, mais nous devons également digérer des contraintes supplémentaires, puisque le ministère a décidé cette année que nous devions valider la plateforme Pix (plateforme d'évaluation des compétences numériques) dans les établissements scolaires. En plus de devoir rattraper des acquis de l'an dernier et redonner confiance aux élèves, nous devons également mettre en œuvre la réforme des lycées et assurer le déploiement de cette certification numérique. Nous avons l'impression que le ministère n'a pas réellement pris la mesure de la situation. Nous souhaiterions donc que la pression soit quelque peu relâchée et que des mesures de prise en compte de la situation soient adoptées, à commencer par des aménagements de programmes et d'examens nous permettant d'exercer correctement notre travail. Les dispositifs hors la classe présentent un intérêt, nos collègues s'en sont emparés, mais ils ne suffisent pas, car la pression pour le brevet et le baccalauréat demeure forte.

Enfin, pour les classes de sixième et de seconde, nous constatons que la fin d'année tronquée des classes de CM2 et de troisième – fin d'année qui permet habituellement de préparer la montée pédagogique – a pesé sur l'arrivée de ces jeunes au collège et au lycée, et que nous avons pris du retard dans notre accueil, d'abord parce que nous n'avons pas pu nous préparer l'an dernier, mais aussi parce que le masque complique la donne. La sécurité sanitaire demeure primordiale, et je ne demande absolument pas le retrait des masques. Je considère simplement que l'Éducation nationale n'a pas assez tenu compte de la situation dans ses décisions nationales et qu'elle doit davantage en tenir compte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.