Intervention de Bruno Bobkiewicz

Réunion du jeudi 15 octobre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Bruno Bobkiewicz, secrétaire national du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN-UNSA) :

La question relative à la continuité pédagogique me donne l'occasion de rappeler l'extrême importance de la mobilisation des personnels des établissements scolaires, malgré la campagne de désinformation et de « prof bashing » qui a été menée au début du mois de juin, que nous avons peiné à comprendre, et qui illustrait un fort décalage entre ce que nous vivions au quotidien et ce que les médias semblaient en rapporter, du moins durant quelques jours.

Les équipes ont également fait preuve d'une importante capacité d'adaptation, puisque personne n'était réellement préparé à cette situation. Les outils numériques ont très rapidement lâché, car ils n'étaient pas calibrés pour un niveau d'utilisation aussi important, qu'il s'agisse des environnements numériques de travail des collectivités ou des outils privés parfois payés très cher par les établissements du second degré, qui étaient indisponibles durant cinq à dix jours. Cette indisponibilité nous a mis en grande difficulté pour démarrer, d'autant que personne ne savait durant combien de temps cette situation perdurerait.

Malgré tout, un effet positif de la crise est le lien resserré et la solidarité qui se sont établis entre les enseignants, les parents et les élèves d'une classe. Des groupes se sont parfois constitués à l'aide d'outils variés afin de favoriser une communication rapide et efficace entre les différents interlocuteurs. À noter que la difficulté souvent identifiée par les parents fut la diversité des outils utilisés, conséquence de mon précédent propos sur l'indisponibilité temporaire des outils de l'Éducation nationale ou des outils institutionnels. Les enseignants se sont rapidement tournés vers des outils disponibles et fonctionnels qu'ils maîtrisaient, ce qui a généré une difficulté de suivi, avec parfois huit à dix enseignants utilisant des outils différents.

Un autre effet positif de la crise est le bond vers le numérique effectuée en très peu de temps par l'Éducation nationale, puisque tout le monde s'est rapidement mis, par la force des choses, à utiliser ces outils, y compris les enseignants qui en étaient les plus éloignées. In fine, dans la gestion de ce moment de confinement, le local a véritablement témoigné de sa capacité à s'adapter le plus efficacement possible, tandis que le niveau institutionnel a failli. L'on nous a par exemple demandé, au mois de juin, de recréer artificiellement des notes de brevet en coupant une note sur 20 avec une note de dictée ou de français qui n'existait pas. L'on nous a demandé de saisir des bordereaux de notes de baccalauréat sur des épreuves qui n'existaient pas, alors que la suppression de ces épreuves avait été décidée à la fin du mois de mars. Nous constatons ainsi à quel point l'institution n'a pas été en capacité de s'adapter aussi vite que les équipes de terrain.

La mission d'accueil des enfants de soignants a fait l'objet d'une importante valorisation auprès de nombreux personnels volontaires, qui ont pris cette mission très au sérieux. Elle a d'ailleurs permis à certains d'entre eux de rompre l'isolement que pouvait générer le confinement. Au fil des semaines, les volontaires étaient de plus en plus nombreux, ce qui leur permettait de recréer du lien et de se sentir honorés de prendre ces élèves en charge. À noter que la question indemnitaire n'a pas été complètement traitée à ce stade, que ce soit pour les enseignants ou pour les autres catégories de personnel ayant contribué à cette prise en charge.

À partir du 11 mai, les différentes phases du retour à l'école furent la grande difficulté pointée par les personnels de direction. Selon la zone, selon la période, nous devions faire évoluer le fonctionnement de l'établissement, en un temps très réduit, en organisant l'accueil partiel sur la base du volontariat, puis l'accueil total de certains niveaux ou de l'ensemble des niveaux, avec des réalités parfois différentes d'une structure à l'autre, puisque les consignes n'étaient pas les mêmes pour les collégiens et les lycéens. Retrouver les élèves fut une véritable satisfaction, et le taux de présence des élèves à partir du 26 juin – date choisie pour le retour obligatoire – fut très élevé, à la grande surprise d'un certain nombre de collègues. Nous constatons à quel point le lien retissé durant cette dizaine de jours fut extrêmement important, sachant qu'il était attendu par les élèves, les familles et les équipes. Même si nous avons douté, durant plusieurs jours, de la pertinence de ce retour, celui-ci s'est finalement révélé positif. Les chefs d'établissement ont par ailleurs rencontré l'écueil – porté à la connaissance du ministre – de la communication par médias interposés, sans avoir été informés en amont des choix opérés au titre des différentes phases.

Concernant la rentrée 2020, il est encore trop tôt pour dresser un premier bilan. Nous pouvons supposer que les écarts et les inégalités se sont creusés, même si nous ne sommes pas objectivement en capacité de l'évaluer précisément. À noter que la matrice ne s'est pas véritablement adaptée, et que nous fonctionnons de manière quasi nominale dans notre quotidien. S'agissant des moyens, des heures – à hauteur d'un million et demi d'heures – avaient été identifiées et fléchées pour l'accompagnement des établissements et des élèves décrocheurs. Or une enquête réalisée auprès de nos collègues révélait que seul un établissement sur trois avait fait l'objet, au début du mois de septembre, d'une dotation spécifique pour l'accompagnement de ces élèves. Par ailleurs, selon notre enquête, seul un établissement sur quatre avait mis en place le dispositif « Vacances apprenantes ». Il serait intéressant d'obtenir un bilan chiffré du nombre réel de dispositifs spécifiquement créés autour de « Vacances apprenantes », à l'exclusion des colonies apprenantes – toutes les colonies sont devenues apprenantes – et des dispositifs « École ouverte » – qui existaient déjà. De notre point de vue, ce dispositif qui a le mérite d'exister ne remplacera jamais un dispositif sur le temps scolaire disponible pour l'intégralité des élèves.

Au plan médico-psychosocial – j'entends la remarque de Mme Sophie Giaretti, et je la partage –, nous constatons que les médecins scolaires et les infirmières sont totalement mobilisés sur la gestion des cas Covid-19, ce qui les rend absolument indisponibles pour toute autre tâche. Nous recevons, par ailleurs, peu de sollicitations institutionnelles relatives aux psychologues de l'Éducation nationale. Heureusement, ces derniers n'ont pas attendu d'être sollicités pour travailler, et de nombreux collègues ont su travailler à distance et suivre les situations en termes d'accompagnement et d'orientation, ce dont nous pouvons nous féliciter.

En conclusion, je reviendrai brièvement sur les mots utilisés par nos collègues à l'occasion de cette rentrée : « épuisement » pour 39 % de la profession, ce qui est quelque peu inquiétant à ce stade ; « agacement » pour 55 % ; « inquiétude » pour 41 % ; « confiance » pour 5 % ; « être prêt » pour 25 %.

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