Intervention de Marie-Andrée Blanc

Réunion du jeudi 5 novembre 2020 à 9h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Marie-Andrée Blanc, présidente de l'Union nationale des associations familiales :

Je reprendrai notamment des propositions concernant le surendettement. Il faut prévenir le surendettement et l'appauvrissement des familles, conséquences du confinement et de la situation économique de notre pays, qui a été mise à mal par le premier confinement.

Il faut tout d'abord rappeler le dispositif Point Conseil Budget. Les UDAF ont été les premières à être labellisées par ce dispositif, qui vise à prévenir l'endettement et à expliquer aux familles la gestion d'un budget, en précisant les dépenses obligatoires et celles dont on peut se passer en cas de problèmes financiers importants. Ces Points Conseils Budgets doivent donc être déployés sur le territoire national. La Stratégie pauvreté prévoyait 400 Points Conseils Budgets et, l'année précédente, 250 avaient été labellisés sur ces 400. Peut-être en faudra-t-il davantage cette année.

Vous avez parlé tout à l'heure de la ruralité. Je vis dans un département particulièrement rural : la Haute-Loire, qui compte 230 000 habitants. La ruralité est notamment caractérisée par de nombreuses difficultés de mobilité. Par exemple, en Haute-Loire, il n'y a pas d'autoroute, mais seulement des routes nationales et des routes départementales. La Haute-Loire se compose de la grande agglomération du Puy-en-Velay, ainsi que d'un col à 1 000 mètres d'altitude d'un côté et d'un autre col à 1 200 mètres d'altitude de l'autre. Par sa situation géographique et sa topographie, notre département aurait besoin de trois Points Conseils Budgets au minimum, dans des bassins de vie complètement différents.

« L'aller vers » est le plus important, car si nous « n'allons pas vers », il n'est pas certain du tout que ceux qui en ont le plus besoin se déplacent. Certaines personnes, par orgueil, refusent en effet de reconnaître leurs difficultés. Cependant, dans les petites communes, les gens se connaissent. Il faut également citer l'existence des centres communaux d'action sociale (CCAS), dans les intercommunalités et les municipalités, et dans lesquels les UDAF sont représentées par un membre de droit. Nous pouvons donc y actionner quelques leviers, afin d'aider ces familles dans la gestion de leur budget. Lorsqu'une famille vient à notre rencontre pour nous exposer une problématique budgétaire, nous faisons avec elle l'inventaire des dossiers administratifs. Le Point Conseil Budget permet donc de tisser un lien de confiance entre la famille et l'UDAF. Nous siégeons aussi dans les commissions territoriales de prévention des expulsions (CTPEX), où sont évoquées les difficultés de paiements de loyers. Or si le loyer n'est pas payé, la famille est expulsée et ses enfants sont placés.

Pendant le confinement, nos services ont continué à prendre contact avec les familles, notamment celles que nous accompagnons dans le cadre d'une mesure d'aide à la gestion du budget familial. Cette mesure est mise en place dans l'intérêt de l'enfant et permet à la famille de gérer son budget au plus près, en l'amenant vers plus d'autonomie, tout en reprenant confiance. Les prestations familiales doivent ainsi être utilisées dans l'intérêt de l'enfant. Pendant le confinement, nous avons constaté que certaines familles n'avaient pas les moyens informatiques pour que leurs enfants puissent continuer à suivre leurs cours. Nous nous sommes alors mis en ordre de bataille avec les conseils départementaux et régionaux pour que des moyens informatiques soient mis à disposition de ces familles, de manière à ce que leurs enfants puissent suivre les cours. Il s'agit en l'occurrence certes d'une mesure judiciaire, qui permet aussi à des familles de ne pas sombrer dans le surendettement ou de ne pas baisser les bras devant les difficultés. Dans mon département, 130 mesures d'aide à la gestion du budget familial ont été mises en place et nous accompagnons 400 enfants. Tout d'abord, nous acquittons le paiement du loyer, pour éviter surtout que les enfants soient placés, alors que ces familles ne leur sont pas nuisibles. Il est donc important de faire connaître cette mesure, qui n'est pas onéreuse pour les services de l'État. Elle est par exemple bien moins onéreuse que le placement d'un enfant ; elle coûte trois euros par jour et par enfant, sans entraîner de désagréments au niveau de la fratrie ni de la famille.

Les aides exceptionnelles versées aux familles modestes ont quant à elles tenu compte de la composition de la famille et ont été attribuées aux familles percevant le RSA ou les allocations logement, ce qui n'est pas le cas de toutes les familles. Toutefois, certaines familles sont composées de travailleurs pauvres et rencontrent des difficultés en fin de mois. Des familles qui travaillent et qui perçoivent l'allocation de rentrée scolaire peuvent être exclues de cette prime exceptionnelle. Nous avons signalé cette situation au printemps et j'ai répété hier au ministre Adrien Taquet que cette mesure exceptionnelle devait aussi être attribuée aux familles percevant l'allocation de rentrée scolaire. En effet, pendant le confinement, toutes ces familles ont dû faire face à des frais supplémentaires.

Il a souvent été dit que, pendant ce nouveau confinement, l'accueil physique serait assuré dans chaque guichet bancaire, dans chaque guichet postal. Ces dispositions doivent être maintenues. A la campagne, les guichets postaux sont très importants, notamment car les banques y ont disparu. Dès lors, comment effectuer un retrait bancaire ou percevoir des prestations sans distributeur ni guichet postal ? Il est très important que les guichets bancaires et postaux restent ouverts. Dans mon département, au plus fort du confinement, seuls cinq bureaux de poste sont restés ouverts, pour 230 000 habitants. Nous avons donc constaté une absence phénoménale.

Dans le processus de paiement des factures et de gestion des impayés (fournisseurs d'énergie, bailleurs sociaux, bailleurs institutionnels privés, établissements de crédit), il faut accorder de la souplesse. Il faut aussi déstigmatiser la procédure de surendettement. Certaines familles ont droit à l'échec. Nous sommes là pour les aider et, plutôt que de parler de « surendettement », sans doute faudrait-il parler de « procédures de désendettement ».

Il convient encore de plafonner durablement les frais d'incidents bancaires pour tous les consommateurs. En 2017, nous avions lancé une enquête, que nous avons réalisée à nouveau en 2018 et en 2019. Nous avons constaté que les frais d'incidents bancaires représentaient 6,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, à rapporter à leurs 4,9 milliards d'euros de résultat net. Ce sont donc les clients les plus vulnérables qui paient le plus. Certaines banques, notamment des banques mutualistes, prélèvent des frais d'incidents bancaires illégaux.

Les familles monoparentales vivent quant à elles fréquemment sous le seuil de pauvreté. Parmi les 2,4 millions de familles monoparentales françaises, certaines ont vu leurs difficultés s'accroître pendant le confinement. Pour la majorité d'entre elles, le confinement a été synonyme d'isolement. Ces familles sont vulnérables en ce qui concerne l'emploi et la charge mentale y est nettement accrue. Elles se sont trouvées particulièrement isolées pendant le confinement, d'autant que, parfois, le deuxième parent a été privé de visite de ses enfants du fait du confinement. Pendant ce deuxième confinement, les lieux et espaces de rencontres sont maintenus et les parents peuvent voir leurs enfants, ce que nous saluons. Toutefois, l'isolement de ces familles mène à l'épuisement lorsque l'on est seul avec ses enfants. Nous serions donc favorables à ce que soient autorisées des interventions de bénévolat à domicile, dans le respect des règles sanitaires, pour accorder un peu de répit à ces familles.

D'autres situations ont été dramatiques, pour les enfants en situation de handicap et les aidants familiaux. L'UNAF est membre du collectif interassociatif des aidants familiaux (CIAAF), qui a conduit une enquête pendant le confinement auprès des aidants familiaux. Les premiers résultats de cette enquête viennent d'être publiés sous le titre : « L'impact du confinement, une charge supplémentaire pour les aidants ». Cette enquête comporte le témoignage d'une mère d'un enfant de moins de vingt ans. L'enfant est atteint d'un trouble du spectre autistique et cette mère souligne « le confinement a fait de moi une femme de ménage, une infirmière, une secrétaire administrative, une institutrice, une éducatrice spécialisée et un punching-ball pour mon fils ». Avec le confinement, le rôle des aidants s'est révélé vital. Le confinement a notamment accru l'isolement des aidants, qui ont largement pallié la fermeture des établissements et la réduction des services d'aide à domicile. 67 % des aidants ayant répondu à l'enquête étaient accompagnés dans leur rôle avant le confinement. Seuls 48 % l'ont été pendant le confinement, soit une déperdition de l'ordre de 20 %. Cet isolement a été imposé aux aidants. Certains ont reçu de plein fouet la fermeture des établissements, la réduction ou l'interruption des services d'aide à domicile ainsi que l'impossibilité pour leur famille de venir les aider. Les aidants ont dû très rapidement s'adapter pour accueillir leurs proches à domicile, concilier télétravail et le rôle d'aidant. Ce sont ainsi 79 % des aidants qui déclarent que l'absence d'aide à leur côté provient d'une cause extérieure. Dans les services d'aide à domicile, certaines familles ne souhaitaient plus le passage du professionnel par peur de la contamination.

Ces situations ont donc entraîné des effets négatifs sur la santé des aidants, qui réclament d'être aidés et constatent une nette augmentation de leur épuisement physique et moral. Le premier besoin exprimé par les aidants correspond à la possibilité de bénéficier des solutions de répit (34,27 %). La lourdeur administrative des démarches est également soulevée. Elle constitue un frein au recours pour plus de la moitié d'entre eux (50,98 %).

Le CIAAF demande la mise en place immédiate d'un chèque répit, d'un montant de 1 000 euros et d'une validité d'un an, ainsi qu'une augmentation à court terme des services adaptés et de l'accompagnement professionnel à domicile. Il demande aussi des solutions de répit, telles que des séjours de vacances adaptés, de l'accueil temporaire avec hébergement.

Nous avons également réalisé un questionnaire flash portant sur l'école à la maison pendant le confinement et l'avons adressé à des familles. Plus de 1 800 familles de toute la France y ont répondu. Ce questionnaire a permis de dresser l'inventaire des situations dont les pouvoirs publics devront être conscients dans les mois à venir. Un sondage avait directement été réalisé auprès des associations familiales : 56 associations y ont répondu.

Les parents ont donné une note sur les cours et l'accompagnement proposé par l'école. Celle-ci se situe au-dessus de la moyenne (3,8/5). Nous avons pu mesurer le travail des enseignants et des établissements scolaires pour assurer la continuité éducative pendant le confinement ; toutefois, les difficultés vécues par 66 % des familles dans notre échantillon font craindre que les enfants n'aient pas bien pu continuer à travailler pendant cette période de confinement. Les familles disent également qu'elles ont dû fortement se mobiliser pour aider leurs enfants dans le cadre de l'école à la maison, ce qui a généré des difficultés de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. 52 % des familles de notre échantillon ont de plus rencontré des difficultés à concilier travail et famille. Le télétravail ne peut donc être assimilé à du temps libre ni à une possibilité de garde.

Nos recommandations seraient les suivantes : développer davantage les relations entre les établissements scolaires et les parents, en créant des moments d'échange et de rencontre sur deux thématiques essentielles. Il s'agit d'abord du soutien scolaire de l'enfant. Même si la situation est exceptionnelle, les parents ont besoin de savoir comment accompagner leurs enfants dans les apprentissages. Il s'agit ensuite de l'utilisation du numérique pour le scolaire. Les parents ont besoin d'être formés à l'utilisation du numérique. Dans ce domaine, un échange de savoirs pourrait être organisé entre les parents « sachants » et ceux qui sont moins à l'aise. Ensuite, il faut uniformiser les pratiques informatiques au sein des établissements scolaires. Les enseignants aussi ont besoin de se former, mais au-delà de cette formation, l'utilisation doit être uniforme au sein d'une même école, ce qui pourrait simplifier la vie de tous. Un accord pourrait être trouvé au sein du conseil d'école et un enseignant responsable des outils numériques pourrait être chargé de veiller à sa mise à jour.

L'obligation légale éducative repose en outre sur les seuls parents. Il faut renforcer le message adressé par le Gouvernement aux employeurs, pour que ces derniers fassent preuve de compréhension et reconnaissent qu'il n'est pas toujours possible aux parents d'être aussi productifs quand on a des enfants avec soi. Comment des parents d'enfants âgés de quelques mois, de quelques années, peuvent-ils assurer la garde de leurs enfants tout en télétravaillant ? Si les structures scolaires et les crèches devaient à nouveau fermer, les difficultés reviendraient sur le devant de la scène.

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