Intervention de Jean-Benoît Dujol

Réunion du jeudi 5 novembre 2020 à 14h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Jean-Benoît Dujol, directeur de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative et délégué interministériel à la jeunesse :

Vos questions illustrent le caractère extrêmement vaste des problématiques qui se sont posées pendant le confinement, que ce soit pour les associations, pour les jeunes ou pour les enfants. Je vous proposerai une contribution modeste aux analyses d'un sujet qui est par ailleurs très complexe, sur lequel nous n'avons pas fini de travailler, et duquel nous n'avons pas fini d'apprendre.

Vous m'avez invité à exposer les bonnes et les mauvaises nouvelles liées à la crise. Beaucoup sont mauvaises, mais quelques-unes sont bonnes, et vous les avez pointées à juste titre. Je pense notamment à cet élan en termes d'engagement – vous avez cité l'exemple de la réserve civique –, ou à la disponibilité des jeunes, qui s'est traduite en actions très concrètes sur le terrain, suscitant un véritable engouement. C'est peut-être le côté positif de la crise. Nous devons en trouver un.

Je vais cependant d'abord insister sur les effets négatifs. On ne connaît naturellement pas tout de la situation des jeunes et des enfants. Cela explique en partie les décisions qui ont été prises ultérieurement. Nous avions l'intuition, et nous l'avons toujours que les jeunes et les enfants ont été parmi les principaux affectés par cette crise et le confinement, et sans doute moins par la crise sanitaire que par les mesures prises pour l'endiguer.

Les écoles ont été fermées pendant le premier confinement, ce qui est l'une des grandes différences avec le confinement que nous vivons actuellement. Nous avons estimé que les enfants avaient un besoin fort de sortir, de se distraire, de penser à autre chose, mais aussi de rattraper un peu du temps perdu en termes d'apprentissage. L'idée proposée par M. Gabriel Attal et M. Jean-Michel Blanquer a été de construire un été apprenant, avec l'opération que vous avez citée des vacances apprenantes.

La DJEPVA s'est occupée d'un volet important qui était les « colos apprenantes ». Elles étaient destinées à offrir au plus grand nombre possible d'enfants l'opportunité de partir en séjour collectif de vacances. Il se trouve que la promotion des vacances collectives et des colonies de vacances est un axe extrêmement fort des politiques publiques du ministère. Mais pour la première fois depuis de très nombreuses années, a été mis en place un dispositif ambitieux. Il a été financé dans des proportions importantes, puisque dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR), les députés ont voté des crédits très substantiels pour permettre le déploiement de ce programme.

Celui-ci est complexe. Il comporte toute une série de dimensions. Je souhaiterais insister sur deux d'entre elles. La première est constituée par les « colos apprenantes ». L'idée est d'en offrir à plusieurs dizaines de milliers d'enfants, et de soutenir les accueils collectifs de mineurs. Une autre différence entre les deux confinements tient en ce que les accueils collectifs de mineurs, les activités périscolaires, étaient fermés pendant le premier. Les mineurs ont ainsi été privés d'école et de loisirs éducatifs.

La DJEPVA a ainsi mobilisé 50 millions d'euros, dont 20 millions ont été consacrés aux colos apprenantes, et 30 millions aux centres de loisirs éducatifs. Ces crédits ont été entièrement consommés. Plus de 60 000 enfants au titre du programme 163 sont partis en colos apprenantes, ce qui représente 1 500 séjours de vacances. S'agissant des centres de loisirs, près 500 000 places ont été offertes au cours de l'été grâce à ce dispositif.

Celui-ci est un peu complexe, au sens où il était également cofinancé par l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Il comportait ainsi une dimension de quartier d'été, destinée à toucher les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Le département ministériel dans lequel je m'inscris s'est cependant concentré sur la double dimension des colonies et des centres de loisirs, qui a permis de permettre le départ de plusieurs dizaines de milliers d'enfants, et de soutenir les collectivités et les associations dans leur offre de loisirs éducatifs tout au long de l'été.

Nous essayons d'affiner ces éléments quantitatifs, et de décrire précisément quels types d'activités ont été proposés. Ce point est important dans la mesure où une partie de la promesse reposait non pas sur l'organisation de colonies, mais de colos apprenantes, avec une véritable dimension de renforcement des apprentissages. Nous essayons donc de décrire précisément la situation, et de remonter ces informations. Ces éléments seront disponibles d'ici la fin de l'année. Ils permettront de bien mesurer la plus-value de cette dimension apprenante offerte aux enfants, et de comprendre comment elle a été perçue.

Nous envisageons de prolonger ce dispositif l'année prochaine, et nous l'avons déjà prolongé pour les vacances de la Toussaint. C'est la raison pour laquelle nous ne disposons pas encore de tous les éléments d'information. Ce qui est frappant, c'est la dynamique qu'a suscitée ce dispositif. Il y avait beaucoup d'attentes de la part des familles, qui avaient été confinées avec leurs enfants pendant de nombreuses semaines. Il en allait de même pour les collectivités locales, qui étaient organisatrices de séjours ou d'accueils, ainsi que pour les associations d'éducation populaire. Ces dernières soulignaient l'ampleur du besoin. Elles avaient par ailleurs connu de grandes difficultés, puisqu'elles avaient dû annuler de nombreux séjours pendant le confinement.

Pour autant, le mécanisme a mis un peu de temps à se mettre en place. Je rappelle qu'au mois de juin, se déroulaient encore les campagnes électorales dans beaucoup de municipalités. Aussi, beaucoup d'élus n'étaient pas tout à fait disponibles, ou n'étaient pas encore suffisamment installés pour permettre ce déploiement. Le dispositif a démarré lentement, mais il est monté en puissance tout au long de l'été, notamment au mois d'août. La rentrée est alors intervenue, et nous avons été très sollicités à partir du mois de septembre pour le rééditer. Il nous restait des crédits, et à la Toussaint, dans plusieurs endroits ont pu se déployer des opérations remarquables, dans le cadre d'un partenariat très étroit entre toutes les parties prenantes : les familles ; les élus ; les associations ; les collectivités locales.

Le bilan des vacances apprenantes est pour moi très positif, à tout le moins pour les colos apprenantes et les centres de loisirs. Nous continuerons donc à étayer ce dispositif dans les prochaines semaines. Le Premier ministre s'est déplacé sur les territoires pour l'observer, de même que M. Jean-Michel Blanquer. L'idée de prolonger cet effort inédit de la part de l'État en direction des loisirs éducatifs de manière générale, et en particulier des colonies de vacances, fait son chemin.

Les vacances apprenantes sont la pierre de touche de notre action en direction des jeunes dans le contexte post-Covid et post-premier confinement. Je rappelle que l'une des grandes différences entre celui-ci et celui que nous connaissons actuellement est que les accueils périscolaires continuent à fonctionner, de même que les écoles. C'est le produit de notre réflexion à l'issue du premier confinement, et à la lumière de ce qui s'est passé pendant les vacances apprenantes.

Cela permet bien sûr d'offrir un mode de garde aux enfants et aux parents concernés, mais également de proposer des solutions d'apprentissage. Ces modes d'accueil sont en effet éducatifs. On n'y apprend pas de la même façon qu'à l'école ni les mêmes choses, mais on y apprend. Une véritable plus-value éducative a ainsi été mise à nouveau en lumière par les vacances apprenantes, et elle a pesé dans la décision de maintenir ouverts les accueils de loisirs pendant le deuxième confinement. Cela n'est pas indifférent, car 1,3 million d'enfants sont accueillis le mercredi dans ce cadre, dans toute la France, au titre des accueils collectifs de mineurs.

J'évoquerai maintenant la réserve civique et, par ricochet, la situation des associations. De même que les jeunes, celles-ci ont été très affectées par le confinement, comme l'ensemble des entités économiques de notre pays. Elles ont alors été dans une large mesure à l'arrêt. Il est difficile de disposer d'une vision exhaustive et en temps réel de la situation. Nous avons ainsi diligenté toute une série d'enquêtes avec le mouvement associatif, qui est le représentant du secteur associatif, ainsi qu'avec le fonds jeunesse et éducation populaire (FONJEP).

Celles-ci ont été menées à différents moments du confinement, et en direction de divers publics associatifs. Elles visaient à mesurer l'ampleur des difficultés. Les associations pouvaient-elles continuer à exercer leur mission ? Dans les deux tiers des cas, cela n'a pas été possible. Quel type de difficultés ont-elles rencontrées ? S'agissait-il de problèmes de trésorerie, de ressources humaines, de mobilisation des salariés, de mobilisation des bénévoles ? Nous avons publié un certain nombre de données. Je pourrai après cette audition vous communiquer l'ensemble de ces résultats.

Nous les avons également interrogées sur un point crucial à nos yeux, à savoir leur capacité à mobiliser les outils mis en place par l'État, et votés par les parlementaires, pour faire face aux conséquences de la crise. Je rappelle que le Gouvernement, pendant le premier confinement, et avec le plan de relance, a consenti un effort considérable en direction de l'économie du pays, en permettant notamment l'accès à toute une série d'aides visant à limiter les conséquences du confinement. Je pense notamment à l'activité partielle, ou au fonds de solidarité, pour ne citer que quelques exemples, mais il y en a eu d'autres.

Nous nous sommes ainsi largement mobilisés pendant le confinement, de même que le ministre, pour faire en sorte que ces mesures, prises initialement à l'initiative du ministère de l'Economie et des Finances en direction des entreprises, s'appliquent également aux associations. Cela peut sembler aller de soi, puisqu'on dit souvent qu'une association est une entreprise, mais il ne s'agissait pas nécessairement d'une réflexion immédiate pour un certain nombre d'interlocuteurs, y compris au sein de l'État. Il a donc fallu les convaincre, et nous pouvons dire aujourd'hui que l'ensemble des associations, sous réserve qu'elles remplissent les conditions exigées, a pu accéder au moins théoriquement à un grand nombre de dispositifs, et en particulier à l'activité partielle. Dès lors qu'une association a un rôle économique, c'est à dire dès lors qu'elle a des salariés, qu'elle est éventuellement fiscalisée, ou qu'elle perçoit des subventions, elle est considérée comme ayant un rôle économique, et elle peut bénéficier, par exemple, de l'activité partielle.

Il a parfois fallu transposer un certain nombre de règles. Par exemple, le prêt garanti par l'État ne pouvait représenter au maximum que 25 % du chiffre d'affaires. Or il n'y a pas de chiffre d'affaires associatif. Il a donc fallu traduire en langage et en droit associatif les dispositions qui avaient été initialement conçues pour les entreprises issues du secteur lucratif. Cela a été fait, et notamment dans le secteur de la jeunesse et de l'éducation populaire, qui est l'un de ceux que nous ciblions particulièrement, et en direction duquel nous avons conduit l'enquête avec le FONJEP.

Nous avons interrogé les structures associatives pour savoir dans quelle proportion elles avaient pu bénéficier d'une ou plusieurs aides mises en place par l'État. Les pourcentages étaient plutôt intéressants, au regard de ce qu'on avait pu craindre. Il s'agit d'un élément qui me semble rassurant. Les dispositifs mis en place par l'État, notamment dans certains secteurs associatifs, ont ainsi pu être mobilisés.

Notre action en termes de gestion de crise a été plutôt bien reçue par le secteur associatif. Je voudrais également souligner toutes les instances de veille et de surveillance qui ont pu être mises en place au niveau des cabinets ministériels. Cela a été fait pour l'économie sociale et solidaire (ESS), ainsi que du côté du ministère chargé de la vie associative et des territoires, et auprès des préfectures. Un travail visant à nouer des liens a ainsi été conduit tout au long de cette crise.

Son aspect positif pour les associations, et au-delà d'ailleurs, pour les politiques de l'engagement, est cet élan de solidarité, cette volonté d'aider qu'on a constaté de diverses manières. Cela s'est traduit notamment par les inscriptions massives sur le site de la réserve civique, dont la plateforme jeveuxaider . gouv.fr est la face numérique. Celle-ci met en relation associations et collectivités, d'une part, et volontaires, jeunes ou moins jeunes, d'autre part.

Il faut mesurer que le confinement, et de manière générale l'épidémie de Covid -19, a eu un impact fort sur le bénévolat, qui s'est initialement avéré négatif. Le bénévolat est en effet particulièrement développé parmi les personnes les plus âgées, notamment dans certains secteurs de la solidarité. Or ce sont eux qui ont été le plus durement touchés par l'épidémie. Beaucoup de structures associatives, et je pense notamment aux banques alimentaires, sont venues nous trouver au début du confinement pour nous dire qu'elles ne disposaient plus de bénévoles. Ceux-ci étaient en effet confinés, et il aurait été trop risqué de les exposer à la circulation du virus. Elles ne disposaient donc plus des moyens humains nécessaires pour remplir toute une série de tâches logistiques.

C'est l'une des raisons qui expliquent le succès de cette plateforme, à la fois du côté de l'offre et de la demande. En termes d'offres d'engagement, les chiffres sont éloquents. Plus de trois cent mille personnes se sont inscrites en quelques jours, et nous avons relancé cette plateforme au début du nouveau confinement.

Du côté de l'offre, les choses ont été un peu plus compliquées, car nous nous sommes imposé un certain nombre de limites, considérant qu'il n'était pas possible de publier n'importe quel type de missions. Cela serait entré en contradiction avec les consignes transversales, s'appliquant à tous, de limiter la circulation et les interactions sociales ou professionnelles.

Nous sommes donc partis d'un système très contraint, comprenant quatre missions indispensables, et nous avons essayé de l'élargir au fil du confinement. Cela nous a permis de déconfiner complètement cette réserve. Aujourd'hui, il est possible de proposer des missions de toutes sortes sur ce site, et nous abordons donc le second confinement avec une base de personnes intéressées par l'engagement, que la situation rend beaucoup plus disponibles.

Des habitudes ont également été prises par les associations, ainsi que par les collectivités locales. Celles-ci se sont beaucoup portées sur le site de la réserve civique, et en ont fait un outil à leur main, pour gérer au plus près du territoire l'offre et la demande d'engagement. Il serait peut-être prétentieux de parler de réussite, mais si nous avons appris quelque chose de positif sur la nature humaine, mais aussi sur le fonctionnement de l'administration, cela a été notre capacité à positionner l'État comme facilitateur de l'engagement sur les territoires et au service de la population. C'est sans doute l'une des rares bonnes nouvelles de la crise que nous connaissons, à tout le moins dans mon secteur.

Vous avez cité beaucoup d'autres sujets. Je pourrai revenir, si vous le souhaitez, sur le service civique, qui relève de ma responsabilité. Nous nous sommes rendu compte rétrospectivement que nous avions été un peu empêchés, faute de données très précises sur ce qui s'était passé pendant le confinement. En temps réel, nous disposions de peu de choses. Aujourd'hui, nous en avons bien davantage. L'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP) est rattaché à la DJEPVA, aussi essayons-nous de recueillir de manière rétrospective des données, pour savoir comment ce confinement a été vécu par les associations et les individus.

Il s'agit d'essayer d'apprendre, afin de pouvoir calibrer au mieux nos politiques publiques dans le futur. Je voudrais citer une initiative qui ne relève pas de moi, mais qui me paraît très intéressante. Il s'agit de la grande enquête EPICOV, portée par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES). Cette enquête, à travers ses vagues successives, permet d'interroger une cohorte de cent mille personnes, ce qui est considérable, et de suivre l'état de santé et les conditions de vie de la population française pendant le confinement. Nous comptons exploiter ces données en portant une attention particulière aux jeunes.

J'ai une pensée pour ceux-ci, car au-delà des enfants qui sont partis en colonies de vacances, ce qui était l'objet de notre réflexion autour du plan de relance et du « plan jeunes », toute une génération a été très affectée par le confinement. Elle s'est portée sur le marché du travail au mois de septembre, dans des conditions extrêmement dégradées. Même si beaucoup de choses ont été faites par le Gouvernement, notamment avec l'activité partielle, le nombre de jeunes demandeurs d'emploi a beaucoup progressé depuis le printemps.

Toute une série de mesures, notamment à travers le plan jeunes, vise à offrir à chacun d'entre eux des perspectives, en dépit du caractère très dégradé du marché du travail. Un second confinement est naturellement de nature à nous inquiéter dans cette perspective, et justifie une grande mobilisation de notre part pour continuer à soutenir la jeunesse.

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