Intervention de Sébastien Lyon

Réunion du jeudi 5 novembre 2020 à 15h15
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Sébastien Lyon, directeur d'Unicef France :

Je vous remercie d'entendre aujourd'hui l'Unicef. Nous regrettons souvent que l'enfant ne soit pas traité à part entière dans ses différentes dimensions dans le cadre de l'élaboration des politiques publiques. Cette commission d'enquête est à nos yeux un signal très positif de l'attention portée à la problématique de l'enfance.

L'Unicef est une organisation internationale des Nations unies, présente dans cent quatre-vingt-dix pays, dont l'immense majorité a été confrontée à la pandémie de Covid-19. Unicef France, mais également la plupart de nos collègues partout dans le monde, s'est mis en ordre de bataille pour traiter cette crise dans les différentes dimensions qu'elle portait envers les enfants.

Évidemment, l'Unicef est habitué à œuvrer dans des contextes de crise. C'est notre quotidien, et nous jouissons d'une certaine expertise de la prise en charge d'enfants dans des périodes de pandémie. Nos travaux sur l'épidémie d'Ebola récemment, ou sur la poliomyélite par le passé, font de nous un acteur clé dans la prise en charge des pandémies en général.

L'Unicef a mobilisé dans tous les pays l'ensemble de ses secteurs d'activité, puisque son mandat l'engage à considérer l'enfant dans ses différentes dimensions. Nous avons été amenés à développer des actions dans le domaine de l'éducation, de la protection, de la santé, de l'hygiène et de la nutrition, avec une prise en charge adaptée au contexte de chaque pays.

Quand nous sommes confrontés à une urgence, nous émettons habituellement un appel humanitaire pour les enfants, qui résume l'ensemble des besoins dans le cadre d'une crise. La pandémie de Covid-19 a donné lieu au plus important appel jamais émis par l'Unicef, et le montant total des besoins supplémentaires émis au niveau mondial atteignait 2 milliards de dollars. Pour mettre cette somme en perspective, je rappelle que le budget annuel de l'Unicef s'élève à 6 milliards de dollars. Cette crise a ainsi généré des besoins supérieurs d'environ un tiers à notre budget de fonctionnement habituel.

En France, l'Unicef a une mission de trois ordres. Nous devons collecter des fonds pour mettre en place des programmes de soutien aux enfants partout dans le monde. Nous devons également sensibiliser le grand public aux enjeux des enfants et de la Convention des droits de l'enfant. Nous devons enfin mener une mission de plaidoyer.

En raison de ces différentes missions, nous nous sommes penchés sur de nombreux sujets depuis le début de la crise sanitaire. Nous avons tenté d'intervenir à plusieurs niveaux. Nous menons souvent notre plaidoyer en collaboration avec des associations présentes sur le terrain, avec qui nous avons des relations pérennes.

Ce qui nous a le plus frappés dans le cadre de cette crise, c'est qu'elle a agi comme un puissant révélateur de lacunes et de faiblesses préexistantes. Elle frappe plus durement les plus défavorisés, tant sur le plan sanitaire qu'économique. Vous l'avez dit en introduction, les enfants ne sont pas des victimes directes du Covid-19, mais ils en sont souvent les victimes indirectes, collatérales, en raison des conséquences des mesures de confinement. Nous vous préciserons notre point de vue en la matière.

Avant d'aborder chaque thématique, je vous livrerai un certain nombre de constats et de recommandations. Nous souhaitons aujourd'hui mettre en avant trois sujets, et vous les avez cités en introduction, en commençant par les enjeux autour de l'éducation, et notamment de la continuité éducative. J'évoquerai également l'accès aux services de base, en particulier pour les familles dans les situations les plus précaires. Enfin, et c'est pour nous l'enjeu principal, je parlerai des enjeux de protection, notamment en ce qui concerne les violences faites aux enfants, en particulier le contexte domestique, avec un focus spécifique sur la question des mineurs non accompagnés.

Nous n'avons malheureusement pas d'accès privilégié aux données relatives à l'action publique. Nos analyses et recommandations se heurtent ainsi parfois au manque de données disponibles. Cela représente également un obstacle à la mise en place de politiques publiques efficaces pour les enfants

Des inégalités scolaires préexistaient à la crise sanitaire, et elles se sont exprimées avec plus de force encore avec la fermeture des établissements. Nous saluons la volonté exprimée par le Gouvernement pendant le confinement de concentrer ses efforts pour lutter contre les inégalités, et favoriser la continuité éducative des enfants les plus vulnérables. Il s'agit d'un premier pas intéressant, mais il est vrai que ces mesures ont ensuite été principalement destinées aux élèves des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et des cités éducatives. Or nous avons constaté qu'au-delà de ces territoires ciblés, les enfants et des jeunes en situation de grande précarité, qui vivent dans des bidonvilles, des squats, des hôtels sociaux, des hébergements d'urgence et d'insertion, ou dans des structures de protection de l'enfance, sont également exposés à des difficultés importantes et à des risques accrus de décrochage, alors même que leur relation à l'école est essentielle.

Les élèves et les familles les plus précaires ne disposent pas du matériel et des outils numériques nécessaires en période de confinement. Par ailleurs, avant même de vouloir assurer une continuité pédagogique, il est essentiel de maintenir le contact avec les enfants, les jeunes, et leurs familles.

La situation de l'outre-mer nous a paru particulièrement préoccupante, avec des taux de décrochage estimés dans les différents territoires entre 15 % et 25 %. Ces niveaux apparaissent très élevés, et sont bien supérieurs à ceux observés en métropole. Je rappelle là aussi que ces difficultés étaient préexistantes.

Il convient également de souligner l'impact positif de toutes les initiatives locales. Beaucoup d'initiatives dans les communes et dans des territoires ont facilité la médiation éducative. Nous avons eu l'occasion de mener des actions de soutien téléphonique auprès des enfants les plus éloignés de l'école, en collaboration avec des établissements ou avec des mairies. Je citerai également des coopérations entre enseignants, travailleurs sociaux, et bénévoles, pour apporter aux enfants des devoirs en format papier, par exemple. De même, des communes et des associations se sont mobilisées pour fournir du matériel informatique.

Je vous ferai part maintenant de recommandations que nous avons adressées par courrier au ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse pendant le confinement. Il convient tout d'abord de s'assurer qu'en cas de crise, les mesures destinées aux quartiers prioritaires, à la protection de l'enfance et aux centres d'hébergement bénéficient effectivement à l'ensemble des enfants et des familles en grande précarité, y compris aux jeunes en bidonvilles, en squats, en accueils sociaux, etc.

La crise sanitaire nous a montré que l'outil numérique est un élément essentiel pour garantir l'effectivité du droit à l'éducation. L'investissement de l'État dans l'égalité numérique doit ainsi permettre à tous les enfants et à tous les jeunes d'être équipés et de disposer d'une connexion à internet. Le plan numérique, expérimenté cette année dans plusieurs départements, va dans ce sens. Nous estimons qu'il devrait être évalué et généralisé au plus vite à tous les départements français.

En outre-mer, une attention particulière doit également être portée aux situations de décrochage. Enfin, l'accompagnement vers et dans l'école, qui existe déjà dans certains territoires à travers des projets de médiation scolaire, est un levier essentiel à la construction d'une relation de confiance entre les enfants, les familles et l'institution scolaire. La médiation scolaire, telle qu'elle a été développée cette année par le Gouvernement dans les squats et les bidonvilles, a fait ses preuves. Elle doit encore être renforcée dans la durée, et élargie à tous les enfants et à tous les jeunes qui en ont besoin, quel que soit leur lieu de vie.

L'épidémie de Covid-19 et ses conséquences vont étendre et renforcer durablement la pauvreté et la précarité des enfants, dans le monde, mais également en France. Nous nous sommes mobilisés de longue date sur les enjeux de pauvreté, dans son acception multidimensionnelle, et en faveur des enfants vivant en habitat précaire en particulier. Plusieurs associations avec qui nous travaillons, comme la fédération des acteurs de la solidarité (FAS), ou encore Romeurope, pourraient tout à fait être entendues par votre commission.

Ce sont dans les squats et les bidonvilles que se trouvent les situations de plus grande précarité. Le confinement a très certainement accentué cet état de fait. Le manque d'accès à l'information sur les conditions du confinement, mais aussi à des services de base, et aux droits fondamentaux des familles a été remis en question par la crise.

Celle-ci a ainsi mis en lumière des besoins criants en termes d'accès aux services de base, tels que l'accès à l'eau, à l'hygiène et à l'assainissement. Unicef France s'est mobilisé, en mettant en œuvre des actions de terrain en partenariat avec Action contre la faim, par exemple, pour permettre un accès à l'eau et à l'hygiène, et renforcer la protection des familles vivant en habitat précaire.

La crise sanitaire a aussi montré qu'être sans-abri n'était pas une fatalité, grâce à des mesures volontaristes. L'ouverture de places d'hébergement supplémentaires dès le début de l'épidémie, dans la continuité de la mise à l'abri à la fin de l'état d'urgence sanitaire, a eu des résultats probants. Par exemple, le baromètre que nous avons publié avec la FAS le 17 septembre dernier concerne les demandes d'hébergement des familles à la veille de la rentrée scolaire. Il s'appuie sur les statistiques des appels au SAMU social, et souligne deux tendances.

Tout d'abord, le nombre de demandes d'hébergement ne recevant pas de réponse positive a diminué par rapport à l'année dernière, en raison notamment de l'ouverture de places supplémentaires pendant le confinement. Cette diminution est de 31 % sur le sol français, hors Paris. Malheureusement, le taux de refus pour absence de places pour les familles reste élevé. Il atteint 44 % en dehors de Paris, et 93 % à Paris. La veille de la rentrée, plus de mille quatre cents enfants ont ainsi vu leur demande d'hébergement refusée par le SAMU social. Cela prouve que l'ensemble des besoins n'était à nouveau plus couvert après le confinement.

L'un des enjeux importants révélés par la crise a été l'installation de points d'eau et de sanitaires dans tous les lieux de vie informels, pour éviter la propagation du virus. Il est également nécessaire de prévoir des solutions de chauffage, de raccordement à l'électricité, de fourniture de convecteurs, ainsi que la distribution de chèques services. Il faut garantir un moratoire durable sur les expulsions des bidonvilles et des squats en l'absence de solutions de relogement pérennes et adaptées, en donnant l'instruction claire aux préfets de ne procéder à aucune expulsion pendant toute la durée de la crise. Ce sont autant d'enjeux clés pour répondre à l'urgence.

Je vous présenterai maintenant quelques recommandations de moyen terme, que nous formulions déjà avant la pandémie. La crise sanitaire s'installe dans la durée. Nous en sommes tous conscients, et Unicef France recommande de sortir dès maintenant de la gestion de l'urgence. Il s'agit d'augmenter les moyens investis pour accélérer la résorption des bidonvilles, et permettre l'accélération de l'insertion des familles, en mettant prioritairement l'accent sur l'accès au logement, même pour les personnes sans droit de séjour.

Créer des logements sociaux et régulariser les familles sans-papiers hébergées, afin qu'elles puissent sortir du système de l'hébergement et accéder au logement plus facilement, constituent des enjeux clé. Dans l'intervalle, il convient de créer les places d'hébergement adaptées à l'accueil. Enfin, il faut également convaincre les acteurs tels que les communes que l'accès aux services de base n'est pas un frein, mais un accélérateur de l'insertion.

Mon dernier point portera sur la protection des enfants, et j'évoquerai notamment la situation des mineurs non accompagnés. Nous avons eu l'occasion de faire part à l'exécutif dès le début de la crise, et en lien avec des associations de terrain, des ruptures de droit rencontrées par les mineurs isolés. Nous avons également constaté la faiblesse des mécanismes de remontée d'informations, notamment des départements vers les ministères.

Le 6 avril 2020, pendant le premier confinement, avec trente-cinq autres organisations et quatre-vingt-huit avocats d'enfants, nous avons adressé un courrier au Premier ministre, qui n'a cependant pas reçu de réponse. Il alertait notamment sur les différents obstacles rencontrés dans l'accès à une protection effective pour les mineurs isolés. Ceux-ci existaient avant la crise sanitaire, et se sont accentués pendant la première vague, et jusqu'à aujourd'hui. Les mesures prises les premières semaines et les recommandations adressées aux conseils départementaux n'ont malheureusement pas suffi à préserver tous les enfants de la rue lors des différentes étapes de leur parcours.

Nous recommandons ainsi de rappeler l'obligation de la mise en œuvre de l'accueil provisoire d'urgence aux départements. De même, pendant le reconfinement, la continuité de l'accès au juge des enfants et au juge des tutelles doit être assurée, de même que la protection provisoire des jeunes en attente d'une décision d'expertise complémentaire. Des instructions claires doivent être envoyées aux procureurs, afin qu'ils prennent des ordonnances de placement provisoire lorsqu'ils sont avisés par un département de l'accueil provisoire d'un mineur.

De façon plus globale, hors période de crise, nous appelons à ce que cette séquence amène à une véritable réflexion autour de l'instauration d'un droit au recours effectif, et du maintien des jeunes dans le dispositif de protection de l'enfance jusqu'à une décision de justice définitive.

En ce qui concerne les violences faites aux enfants, nous constatons que tant ceux-ci que les adultes connaissent mal le rôle et les missions du service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger (SNATED). Nous avons été amenés à collaborer étroitement avec le secrétaire d'État au début du confinement, et nous avons pu constater sa réactivité. Nous la saluons, car il a réellement fait de cette question une priorité.

En collaboration avec d'autres associations, des acteurs de terrain, et les pouvoirs publics, nous avons décidé de cibler précisément les enfants entre 10 ans et 18 ans. Nous avons ainsi mené une campagne sur toutes sortes de canaux, en essayant autant que faire se peut de nous adresser aux enfants directement, en utilisant leurs codes et leurs mots. Nous avons donc expliqué ce que sont les violences faites aux enfants, en utilisant les réseaux sociaux sur lesquels ils sont les plus présents, afin de les sensibiliser et de rappeler l'existence du SNATED.

UNICEF France a formulé plusieurs propositions dans le cadre des assises des violences faites aux enfants. Nous estimons que la poursuite de la sensibilisation auprès du grand public est essentielle. La campagne que nous avons menée pendant le confinement a eu des résultats positifs. Il convient ainsi de mieux s'adapter aux différents publics, pour sensibiliser les enfants eux-mêmes. Une très grande majorité des appels que reçoit le SNATED sont le fait d'adultes, même si la part de ceux passés par des mineurs a légèrement augmenté, passant pendant le confinement de 17 % à 22 %.

Les enfants eux-mêmes sont cependant encore assez peu sensibilisés à la problématique des violences, et à l'existence de ce numéro d'appel. Il convient ainsi de déployer, autant que faire se peut, une communication plus harmonisée entre les pouvoirs publics et la société civile. De bonnes actions ont été menées pendant le confinement, mais nous aurions pu encore mieux coordonner nos efforts, et nous appelons de nos vœux une communication plus harmonisée dans les mois et les semaines qui viennent.

Par ailleurs, des questions concernant le suivi de signalements ont émergé. Le nombre d'appels reçus par le SNATED a augmenté, ce dont nous pouvons nous féliciter, parce que nous avons milité pour que ce numéro soit plus connu. Pourtant, il n'y a pas eu davantage d'ordonnances de placement provisoire (OPP). Moins d'une centaine d'enfants a été placée suite aux signalements. En outre, nous savons mal si les cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) disposaient des moyens de suivre une activité renforcée, et quels avaient été leurs difficultés et leurs besoins. Nous disposons de trop peu d'information pour l'analyser, et formuler des recommandations. De même, nous n'avons que peu d'informations spécifiquement sur l'outre-mer.

Le confinement, au-delà des violences, a eu également un impact sur la santé mentale des adultes comme des enfants. La pénurie de professionnels, de psychologues et de psychiatres formés pour travailler auprès des enfants pose un véritable problème.

En conclusion, je vous signale simplement que l'Unicef publiera dans les premiers jours de décembre un rapport issu de notre centre de recherche, Innocenti. Il portera sur la protection sociale des familles et des enfants dans les pays à revenus élevés. Il se propose notamment d'analyser les plans de relance économique et leur impact sur les familles.

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