Nous reviendrons sur l'impact de l'arrêt de l'EPS lors du confinement. Cet arrêt a permis également de poser le postulat selon lequel l'EPS ne peut pas se réduire à un enseignement virtuel et que, de surcroît, elle ne constitue pas une pratique individuelle telle que l'enseignement à distance l'a imposée. Pour autant, ce paradoxe n'a pas empêché la mobilisation forte des enseignants – au prix parfois d'une certaine agitation, de pressions et d'appréhension face aux enjeux de sécurité de ces pratiques qui, de fait, devenaient autonomes. Dès lors, le confinement a démontré l'importance du présentiel en EPS, constat essentiel qu'il convient de retenir.
Les enseignants ont parfois eu l'impression de perdre le sens premier de leur métier et ils n'avaient pas envie de se transformer non plus en coachs sportifs ou en « super profs » numériques, avec des mises en scène vidéo de plus en plus ingénieuses mais pas toujours accessibles.
En revanche, les professeurs d'EPS ont eu l'opportunité d'exprimer, même à distance, leur véritable utilité dans la relation qui constitue le cœur de notre métier, qui se tisse tout au long de l'année. En effet, ils ont pu participer au travail de l'équipe pédagogique et favoriser le suivi plus général de l'enfant. Grâce au lien fort que nous entretenons également avec les autres personnels, à savoir les médecins, les infirmières et les conseillers principaux d'éducation (CPE)…, nous avons pu rester vigilants pendant les périodes de confinement et de déconfinement. Nous avons animé des classes, favorisé les travaux de groupe par le biais des activités d'expression telles que les « flash mob », les « exploits », etc. L'EPS a vraiment pu favoriser ces relations non seulement entre l'élève et l'école, mais également entre les élèves. Cela nous paraissait important.
Lors du déconfinement, les équipes – malgré les complexités qui se sont avérées – ont réinventé leur pratique, mais sans installation. Nous avons constaté le plaisir que les élèves ont manifesté à retrouver ces activités.
Au-delà des activités athlétiques qui se sont poursuivies – notamment dans le domaine du renforcement musculaire –, nous avons privilégié des activités de plein air, de jeu et d'expression. Ces trois formes de pratique se sont avérées être vraiment une source d'échanges, de découverte de soi et des autres, et ont favorisé une dynamique qui n'est a priori pas compétitive – bien que tout puisse être didactiquement réinventé. Ces activités se sont avérées plus nombreuses dans cette période qu'habituellement. Il conviendra de réfléchir à leur bénéfice pour l'avenir.
Dans cette période de confinement que nous vivons, les professeurs d'EPS sont à même de repérer le mal-être et les situations préoccupantes que vivent des enfants, au-delà de l'aspect sanitaire physique. Nous les rencontrons en groupe et nous pouvons repérer l'enfant qui est un peu plus replié sur lui-même.
À l'issue du déconfinement, nous avons mené une petite enquête relative à son impact sur la santé. Nous avons constaté de très fortes disparités liées au milieu et aux contextes de vie des enfants. J'enseigne en zone d'éducation prioritaire et nous estimons entre 20 % et 50 % le taux d'élèves qui ont pu pratiquer une activité physique pendant le confinement. Il est aisé d'identifier le lien entre le milieu socio-économique et la pratique d'une activité physique.
En milieu rural, nous avons rencontré des problèmes de conditions de travail, de connexion, d'ordinateurs, etc. En revanche, nos collègues estiment que 50 % à 70 % des élèves ont pu pratiquer une activité physique, probablement parce que l'accès à l'extérieur était favorisé.
Dans les lycées, le constat est peu plus mitigé car nous avons eu peu de retours. Toutefois, des collègues témoignent de ce que grâce à l'autonomie et aux habitudes de travail déjà acquises, certains lycéens et collégiens ont maintenu une activité physique en dehors de l'école.
Quoi qu'il en soit, nous avons également constaté un accroissement des inégalités, y compris dans le domaine de la santé. En effet, ce sont les jeunes urbains les plus défavorisés qui ont peu pratiqué l'activité physique pendant cette période : ceux qui disposaient des espaces de vie les plus exigus, avec une grande densité de personnes dans une petite superficie ; ceux qui ne possédaient ni ordinateur, ni corde à sauter, ni vélo d'appartement, ni forêt à proximité ; ceux qui ont le moins bien mangé, le moins bien dormi. Ce constat induit des conséquences tant psychologiques que physiques sur cette reprise.
Je ne dispose d'aucun indicateur vraiment objectif sur les conséquences du confinement sur la reprise. En revanche, nous constatons un moindre engagement dans les associations sportives dès ce début d'année, amplifié par les incertitudes liées au nouveau protocole. La frilosité est manifeste en raison de l'interruption des habitudes et de la difficulté rencontrée à se remotiver.
L'usage du masque devra être réfléchi s'il doit perdurer sur le long terme. En effet, il n'est pas aisé de le prendre, de le remettre, de gérer les appréhensions de ceux qui souhaitent le garder en permanence et la légèreté de ceux qui refusent de le porter. En outre, le port du masque engendre une fatigue plus importante pour les professeurs comme pour les élèves ; il convient de ne pas négliger cet aspect.
Enfin s'agissant de la crise identitaire de l'EPS, elle donne matière à réflexion et, finalement, nous nous en réjouissons. Nous sommes pris en étau entre d'une part, des discours incessants relatifs aux injonctions sanitaires et, d'autre part, des récits, des références plus insistantes encore de notre ministre sur les Jeux olympiques, le monde sportif, etc. Il reste à trouver une voie pour l'EPS, discipline scolaire qui nourrit l'objectif d'étudier l'ensemble des styles de vie. Il convient d'être vigilant quant à cet amalgame constant entre EPS, sport et activité physique qui crée vraiment une confusion générale. Une place nous est réservée puisque notre discipline est obligatoire pour tous et que ses contenus sont ciblés. Nous insistons également sur le fait que l'EPS constitue la discipline de la rencontre, avec soi et avec les autres. C'est en tout cas ce que cette crise a démontré et qu'il conviendra de ne pas perdre de vue, notamment dans un contexte de vie qui interdit de se toucher – ce qu'autorise l'EPS. Dans les zones d'éducation prioritaire, le contact est difficile dans certaines cultures.
Je pense également aux collègues qui enseignent dans le premier degré, pour lesquels la situation est encore plus complexe.