Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du lundi 16 novembre 2020 à 14h30
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer :

Ayant été président d'un conseil départemental, je ne pourrai m'empêcher de vous répondre aussi en élu local et de croiser cette perspective avec celle dont je dispose en tant que membre du Gouvernement.

En matière de protection de l'enfance, qui fait quoi ? C'est un sujet un peu tabou. Il faut – me semble-t-il –, mettre les pieds dans le plat. Cette compétence est à mes yeux la plus régalienne qui soit – elle est d'ailleurs exercée sous l'autorité d'un juge : il s'agit d'extraire un enfant de sa famille et de le confier à une structure d'accueil, qui peut être une maison d'enfants à caractère social (MECS), un foyer de l'enfance ou une famille d'accueil. En même temps, cette compétence est décentralisée – ce n'est pas souvent le cas des compétences régaliennes ! En outre, aucune différenciation n'est envisageable – telle est du moins ma conviction, et je sais que vous la partagez : la République doit assurer aux enfants une protection identique aux quatre coins du territoire, outre-mer compris. Or, l'adaptation au terrain est l'un des principes de la décentralisation. C'est un souvenir frappant : lorsque je suis devenu président de conseil départemental, on m'a immédiatement annoncé – mon directeur de cabinet, qui était alors directeur général des services départementaux, s'en souvient – que j'étais le « père administratif » de 2 000 enfants. Tel était en effet le nombre d'enfants alors placés par le juge sous la tutelle du Conseil départemental de l'Eure, dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance.

Néanmoins, cela relève aussi de choix politiques, toutes les politiques menées en la matière ne se valant pas. Certains conseils départementaux décident d'y affecter des moyens importants, d'autres un peu moins – disons-le ainsi… Dans certains départements, il est facile de recruter des assistants familiaux, dans d'autres non. Il y a donc là une curiosité : cette politique doit être uniforme mais elle est confiée à cent entités départementales différentes – ce que je ne mets pas en cause ! Nul ne peut me reprocher d'être hostile aux conseils départementaux ou m'accuser d'être un jacobin ; je sais d'où je viens et espère avoir fait de mon mieux, en tant que président du conseil départemental de l'Eure, pour que tout se passe bien.

Toutefois, ce n'est pas parce qu'une politique est décentralisée qu'elle exclut le contrôle. Il importe de le dire. Le premier contrôle – je l'appelle de mes vœux, tout en respectant la séparation des pouvoirs – incombe à l'autorité judiciaire. Dès lors qu'elle est chargée de placer des enfants dans une famille d'accueil ou dans un foyer, elle doit vérifier que les conditions d'accueil sont bonnes. Dans un État de droit qui se respecte, cela fait partie de son travail. Ensuite, le transfert de compétences – soit dit sans vous renvoyer la balle, Mesdames et Messieurs les députés – est décidé par la loi. Par conséquent, une commission d'enquête parlementaire est complètement fondée à s'interroger sur leur exercice par les collectivités territoriales. À mes yeux, le contrôle du Parlement ne fait pas obstacle à la libre administration des collectivités territoriales : il s'agit de deux domaines distincts. Le Parlement doit donc exercer ce contrôle. Enfin, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) travaille depuis un certain temps sur l'aide sociale à l'enfance. Pour notre part, nous suivons de très près l'exercice de cette compétence outre-mer – notamment à Mayotte, car ce territoire étant un département récent, elle l'exerce depuis peu.

Peut-on faire mieux ? Il faudra se poser la question lors de l'examen du projet de loi dit 3D ou 4D. Ce n'est pas parce que l'on accorde davantage de compétences aux collectivités territoriales que le cahier des charges de certaines compétences ne doit pas être bien plus clair qu'il ne l'est. Il s'agit d'une conviction personnelle – qui n'engage pas le Gouvernement – mais je suis persuadé que le cahier des charges applicable à un assistant familial dans la Creuse doit globalement correspondre à celui applicable dans l'Eure ou à Mayotte. Telle est en tout cas ma conception de la République.

S'agissant de l'utilisation de crédits de la politique de la ville pour engager de nouvelles coopérations permettant des actions plus rapides, elle a d'ores et déjà cours dans le secteur sportif – que vous connaissez mieux que quiconque, Madame Buffet – qui est amené à accompagner des actions et des politiques publiques efficaces. L'utilisation de ces crédits pose un problème dès lors qu'elle devient automatique. Chacun d'entre vous connaît cela : une subvention est votée chaque année par le département, l'agglomération ou la commune, dans le cadre d'une notification de subvention du sous-préfet chargé de la politique de la ville, sans que nul ne sache plus très bien pourquoi. On sait que ce qui est fait est bénéfique, mais ni les jeunes, ni le quartier ne semblent avoir changé. Le monde social évolue si vite que, de toute évidence, la politique de la ville menée en 2020 ne peut pas être celle des années 1990 – j'en suis intimement convaincu. À Vernon, les effets de l'action menée par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) sur le tissu associatif ont eu des effets sur les actions à mener. De même, la réforme des rythmes scolaires a fait évoluer les besoins.

Je considère – soit dit sans démagogie aucune –, que la vocation des crédits de la politique de la ville est de financer non les associations, mais les projets qu'elles exécutent. Cette subtile distinction signifie que donner l'argent n'est pas une fin en soi et que l'action doit l'emporter sur le porteur de projet. Je le dis très franchement : il est parfois compliqué d'expliquer à telle association – notamment dans les outre-mer, où l'on est souvent en milieu insulaire fermé – que la subvention de quelques milliers d'euros qui a toujours été versée ne le sera peut-être pas cette année, parce qu'il se trouve que son action ne correspond pas aux besoins engendrés par la crise du covid-19. Nous l'avons fait en douceur, en accompagnant de façon pédagogique cette évolution qui est nécessaire pour le monde associatif, dont la plupart des acteurs, au fond, sont des professionnels : associations de bénévoles mises à part, ces associations embauchent des salariés ; elles connaissent le métier de l'aide sociale et disposent d'une ingénierie sociale.

Je vous en donnerai un exemple, qui mérite d'être salué et dont j'ai pris connaissance la semaine dernière, à la faveur de mon déplacement en urgence à La Réunion. Les services de prévention spécialisée de la Ville de Saint-Denis de la Réunion font un gros travail d'îlotage, allant à la rencontre des groupes de jeunes qui se rassemblent sans masque au pied des immeubles. Si leur travail porte ses fruits, c'est parce que la maire de Saint-Denis a accepté de leur donner des instructions très claires, identiques à celles du préfet. Dès lors que tout le monde dit la même chose, on agit dans le bon sens. La réactivité, oui ! – sous réserve qu'elle s'inscrive dans le cadre d'une stratégie partagée.

Quid, à plus long terme, des équipements numériques et de la continuité pédagogique en cas de nouvelle fermeture des établissements scolaires ? L'avantage avec le numérique, c'est que ces investissements – même s'ils vieillissent mal –, courent quand même sur quelques années et que tout ce qui a été acquis au début de l'année profitera pour les deux ou trois ans qui viennent – ce qui est quand même très précieux. Cela étant dit, on ne peut là encore pas considérer les outre-mer de manière globale ; il faut regarder le taux d'équipement territoire par territoire, voire affiner davantage encore : la situation à Cayenne n'est de toute évidence pas la même qu'à Papaichton, Maripasoula ou Awala Yalimapo.

La solidarité intrafamiliale et intergénérationnelle est en outre très forte dans les outre-mer – je ne dirais pas qu'elle y est plus forte que dans l'Hexagone parce que je ne pourrais pas le démontrer, mais la culture familiale compte quand même beaucoup dans ces territoires. On a vu des grands-parents aider leurs petits-enfants à faire leurs devoirs, et d'autres choses allant dans le bon sens. Il n'y a pas non plus que les équipements numériques : des coopérations ont par exemple été établies avec la Poste pour déposer des cours et faire circuler les copies entre les enseignants et les enfants. Il reste maintenant à en faire une routine. J'ai néanmoins l'impression que les recteurs sont très mobilisés dans la lutte contre le décrochage scolaire. Ce qu'il faut, c'est veiller à ce que les élus locaux le soient aussi car l'action est alors bien plus efficace.

À ma connaissance, il n'y a pas de retours d'étudiants vers les universités des territoires d'origine, à l'exception notable de La Réunion. La personne qui quitte son territoire pour faire ses études dans l'Hexagone en général y reste. On peut en revanche se poser la question, notamment pour le Pacifique, de l'attraction de grands territoires comme l'Australie, où le virus ne circule pas, d'autant que Canberra ou Sydney sont moins éloignés que Nice, Paris ou Rouen. Le Pacifique est de ce point de vue un cas un peu à part.

S'agissant des relations avec le Brésil, pour le dire en termes diplomatiques, les coopérations locales entre les forces de police brésiliennes et les forces de gendarmerie françaises sont plutôt satisfaisantes. Les relations de Gouvernement à Gouvernement sont plus compliquées, le président brésilien entretenant avec la France des relations qui ne sont pas tout à fait fraternelles. Des coopérations existent néanmoins. Se pose plus largement la question de la maîtrise des frontières. En 2020, elles n'ont jamais été aussi bien tenues en Guyane parce qu'on y a mis beaucoup de moyens – gendarmes mobiles, forces armées, forces de sécurité intérieure –, d'autant plus qu'il n'y avait presque plus de circulation aérienne : une partie de la police aux frontières a pu être redéployée le long du fleuve Oyapock, avec de vrais postes de contrôle. Néanmoins, cela a eu aussi pour effet que nombre de migrants ont évité de traverser l'Oyapock et ont essayé de gagner la Guyane par la mer, ce qui nous a obligés à recentrer l'action de l'État en mer sur le littoral, d'ordinaire consacrée à la lutte contre la pêche illégale, sur la lutte contre l'immigration illégale. Cela reste un enjeu : alors qu'en 2018, on comptait 100 à 150 refus d'entrée sur le territoire, au premier semestre de cette année, on en est déjà à plus de 1 500. L'opération Harpie 2 a par ailleurs été relancée, l'orpaillage illégal attirant de la main-d'œuvre, en particulier des jeunes qui viennent travailler dans des conditions absolument épouvantables dans la forêt amazonienne. C'est une action importante pour la protection des populations.

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