Intervention de Kamel Chibli

Réunion du jeudi 19 novembre 2020 à 15h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Kamel Chibli, président de la commission Éducation de Régions de France, vice-président en charge de l'éducation, de la jeunesse et du sport de la région Occitanie :

Le confinement en mars dernier a montré un certain nombre de disparités entre les territoires, ainsi que quelques bonnes aptitudes. La connexion aux espaces numériques de travail (ENT) a été quasiment multipliée par dix dans toutes les régions de France. Le confinement a mobilisé les enseignants, les élèves et les parents d'élèves à se connecter dans les ENT. Cet élément n'est pas neutre : les ENT sont gérés par les collectivités territoriales et nous constatons une bonne réactivité de leur part. La connexion, quand elle est multipliée par dix, peut causer des problèmes en termes de réseau. Les régions ont été mobilisées pour éviter cet embouteillage. La continuité pédagogique passe d'abord par les ENT : si l'ENT ne fonctionne pas, nous aurons du mal à mettre en place la continuité pédagogique. Cette compétence appartient à la région.

Le confinement a mis en exergue les difficultés des élèves et les risques de décrochage scolaire. Certains élèves ont été beaucoup plus impactés que d'autres par le confinement, malgré les ENT et malgré les outils informatiques mis en place. Le décrochage d'un certain nombre d'élèves a été largement causé par le confinement. Il est très important d'y apporter une attention particulière. Heureusement, les dispositifs mis en place ont pu accompagner la continuité pédagogique. Néanmoins la disparité entre les élèves n'est pas neutre.

L'outil n'est pas une fin en soi, mais il est très important. Force est de constater que les élèves ont investi les outils de manière très disparate selon les régions. La région Occitanie est mobilisée sur ces sujets depuis quatre ans. Nous avons mis en place un label numérique en partenariat avec les directions académiques des deux académies de Toulouse et de Montpellier. Cette initiative a permis de construire une ossature d'accompagnement des équipes pédagogiques vers l'utilisation de l'ordinateur en classe. Cet investissement a été conduit à 100 % par la collectivité régionale. Il a fallu que les directeurs académiques accompagnent les chefs d'établissement et les chefs d'équipes pédagogiques pour qu'ils se saisissent de cette opportunité. Puisque la région finançait les outils, il existait une incitation à démontrer que les équipes pouvaient les utiliser à des fins pédagogiques – sinon, ces budgets auraient été dépensés inutilement. Je l'illustre par un exemple concret : sur les 240 000 lycéens de la région, 200 000 lycéens disposent d'un ordinateur. Certaines classes l'utilisent, d'autres ne l'utilisent pas. Nous sommes là confrontés à des problématiques d'interprétation. Certains enseignants nourrissent une inquiétude quant à la liberté pédagogique. La liberté pédagogique veut que chacun se saisisse ou non de l'opportunité d'utiliser un ordinateur en classe. Pendant le confinement, d'autres collectivités régionales l'ont également constaté, l'outil a sûrement pu en partie freiner le décrochage. Il n'est pas vrai de dire que l'outil a permis d'éviter le décrochage. En revanche, il a permis à certains élèves, notamment issus des foyers les plus modestes, de disposer d'un outil permettant de se connecter et de suivre le travail demandé par les enseignants. L'outil est extrêmement important. Les États généraux du numérique éducatif l'ont également démontré. Nous manquons aujourd'hui d'une gouvernance régionale sur la question du numérique. L'on ne peut pas imaginer, même si nous entretenons un bon lien avec les collèges, qu'une politique éducative numérique existe en seconde et qu'elle ne soit pas partagée avec les élèves de troisième. Nous devons mener un travail entre le collège et le lycée pour permettre une réflexion menant à une véritable passerelle entre les établissements. Les académies peuvent totalement gérer cela.

Nous sommes face à un véritable écueil : les disparités entre les territoires. La politique de numérique éducatif coûte beaucoup d'argent alors qu'elle est facultative. Elle ne repose que sur le volontarisme politique. La situation actuelle vécue par les collectivités territoriales n'encourage pas à investir massivement dans des politiques facultatives. Les régions sont plutôt mobilisées aujourd'hui pour que les familles ne subissent pas de plein fouet la crise générée par le confinement – cela fait partie des engagements pris par les régions.

Nous attendons aussi de connaître l'engagement de l'État en la matière. Quel est l'engagement de l'État en matière d'outils numériques et d'équipement des enseignants ? Les outils des enseignants devraient être compatibles avec les outils mis à disposition auprès des élèves. La question des usages est également importante. Il ne faut pas croire que tous les élèves sont adaptés et adaptables au numérique. Les élèves sont connectés certes, mais avant tout pour des usages relevant du divertissement. La maîtrise de l'outil informatique n'est pas donnée à tout le monde. La formation et l'accompagnement des enseignants sont essentiels. Il ne s'agit pas de généraliser les usages ; il revient à chaque enseignant de déterminer comment utiliser les outils.

Je terminerai en vous présentant les propositions faites par Régions de France. Nous avons préparé des propositions en vue des états généraux du numérique éducatif que David Duval, conseiller de Régions de France, pourra vous envoyer par mail. Nous avons formé sept propositions principales. La première est de faire émerger une stratégie numérique éducative définie et copilotée par l'État, les régions et les départements. Cela est très important pour nous. Ensuite, nous souhaitons faire des ENT des pierres angulaires du numérique éducatif au lycée et au collège. La troisième proposition est de poursuivre les politiques ambitieuses d'équipement des lycéens : les régions sont mobilisées alors que cela est facultatif. L'État a‑t‑il prévu de les accompagner ? Certaines familles ne sont pas en capacité d'acheter des outils numériques performants. Je ne parle pas de tablettes : pour permettre un véritable travail éducatif, il faut un ordinateur – en tous, cas nous avons fait ce choix-là. Nos trois dernières idées sont d'accompagner le développement d'une filière e-tech souveraine et française, de développer la formation des enseignants et des personnels administratifs des établissements et, enfin, de renforcer le pilotage du numérique dans les établissements pour une meilleure intégration du numérique dans la pédagogie. Cela est très important !

L'approche partagée entre les académies et les régions sur la maintenance et la sécurité informatique est essentielle. La maintenance informatique est toujours sujette à débat. Elle appartient aux compétences des régions depuis 2013, mais elle recouvre également une partie pédagogique, gérée par les lycées et l'Éducation nationale. Ce sujet est primordial.

Lorsque l'État procède à des ponctions financières, beaucoup de collectivités territoriales se posent la question de cesser les investissements en faveur des politiques facultatives. Quand les budgets disponibles sont réduits, il faut s'interroger sur quelles politiques suspendre. Je me suis déjà battu il y a trois ans pour maintenir notre ambition d'investissement dans le numérique éducatif car cela va dans l'intérêt de nos élèves. Le confinement nous a démontré qu'il était utile de s'y intéresser.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.