Intervention de Marie-George Buffet

Réunion du mercredi 16 décembre 2020 à 15h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet, rapporteure :

En juin dernier, lorsque j'ai proposé la création de cette commission d'enquête, ma principale volonté était de donner à voir les conséquences multiples de la crise sanitaire et économique et du confinement lui-même sur les enfants, les adolescents et les jeunes adultes : un tel travail spécifique et au long cours me semblait en effet indispensable pour faire émerger les problématiques propres à ces catégories.

L'ensemble des groupes a soutenu la démarche et le travail que nous avons mené en commun montre à quel point il était nécessaire de mesurer, et surtout de prévenir, les effets de cette crise sur notre jeunesse dans sa diversité.

Je me félicite de la qualité de nos travaux lors des auditions et vous remercie, Madame la présidente, pour avoir largement contribué à élargir le champ du rapport en lien avec vos engagements, comme je remercie l'ensemble des commissaires pour la pertinence de leurs interventions et leurs apports.

Ce rapport vous propose de retenir quatre-vingts propositions d'ampleur, de nature et de portée diverses, mais toutes issues, sans a priori, des analyses et des données recueillies au cours de nos auditions.

D'abord, un constat : la parole des jeunes n'est pas suffisamment écoutée ni leurs propositions entendues, alors que leurs inquiétudes, comme leurs exigences, sont importantes pour le devenir de notre société. Nous avons été alertés tout au long de nos auditions, tant par les mouvements de jeunesse, par les syndicats étudiants que par les professionnels de l'enfance, sur ce déficit de représentation de la jeunesse dans les débats comme dans les politiques publiques. Pour reprendre le terme d'un des auditionnés, nous devons mettre de l'enfance partout.

Plusieurs propositions du rapport vont dans ce sens : renforcement du collège des jeunes dans plusieurs instances comme le Haut Conseil à la vie associative (HCVA), création d'une délégation permanente à l'enfance au sein de l'Assemblée nationale, renforcement de la clause d'impact jeune et participation d'un ou une pédiatre et d'un ou une pédopsychiatre au Conseil scientifique.

Premier axe de nos travaux : la santé des jeunes. Bien que sensiblement préservés, par rapport aux autres catégories d'âge, des effets dramatiques de la Covid-19, ses conséquences sanitaires sont cependant réelles tant pour les enfants que pour les adolescents.

En effet, les témoignages recueillis ne permettent pas d'écarter la perspective d'une dégradation de l'état physique de la jeunesse, à raison de deux grands facteurs de risques : la sédentarité et les déséquilibres alimentaires d'une part, et les retards possibles dans la prévention et le suivi des traitements curatifs d'autre part.

L'arrêt des activités physiques et sportives a eu des conséquences sur les capacités physiques des enfants ainsi que sur la prise de masse graisseuse : des études complémentaires devront être menées. L'absence de cantine scolaire a également eu, au cours du premier confinement, des conséquences sociales pour les familles précaires, mais également sur la santé de certains enfants privés du seul repas équilibré et complet de leur journée.

En outre, le suivi des traitements a alors également été rendu plus compliqué, comme la prévention, la vaccination ayant notamment connu une chute sensible. Nous devrons être particulièrement vigilants quant au rattrapage des soins et des vaccinations : d'où, la proposition d'une aide exceptionnelle aux centres de Protection maternelle et infantile (PMI).

Notre vigilance s'est particulièrement exercée à l'égard de la continuité de l'accompagnement des enfants en situation de handicap, qui a pu s'avérer compliqué au cours de la même période.

Les conséquences sur la santé psychique à court et long termes ne sont pas négligeables. Si le confinement a pu apporter du bien-être en permettant aux familles de se retrouver, la cohabitation, les inquiétudes liées au contexte angoissant, la gestion du sommeil et des écrans sont autant d'éléments qui justifient un renforcement des moyens de suivi de la santé psychique des enfants et des jeunes, et un investissement substantiel dans le soutien à la parentalité.

Des initiatives locales de coopérations inédites entre soignants et enseignants et entre parents et enseignants ont vu le jour : je préconise donc que les services de l'État concernés les analysent pour étudier comment les utiliser tant en période de crise qu'en temps normal.

Nous avons également constaté l'inadéquation des messages diffusés concernant le coronavirus, notamment sur les chaînes de télévision : les spots diffusés se sont, en l'absence de messages spécifiques dédiés aux enfants, avérés très anxiogènes. Le rapport propose donc, en cas de crise, la diffusion de messages ciblés sur les plus jeunes.

Notre pays souffre en outre d'un déficit très important en pédopsychiatrie. Le nombre de pédopsychiatres a ainsi fortement diminué au cours des dernières années : M. Michel Dugnat, pédopsychiatre, a indiqué à la commission qu'en 2006, près de 1 200 pédopsychiatres formés exerçaient leur activité en France, contre 600 actuellement, leur moyenne d'âge se situant entre 61 et 62 ans. Le rapport propose donc plusieurs pistes pour y remédier, notamment la revalorisation de cette spécialité.

Le soutien psychologique aux étudiants et à leur santé mentale est en outre extrêmement lacunaire, et notre pays très en retard dans ce domaine.

Le ratio du nombre d'étudiants par professionnel de santé apparaît particulièrement préoccupant : le nombre d'étudiants par équivalent temps plein (ETP) de médecin du service de santé universitaire atteint 15 813 ! Le même problème se pose pour les psychologues : on n'en compte qu'un pour près de 30 000 étudiants alors que les standards internationaux recommandent un ratio d'un pour 1 500. Ce rapport alerte donc une nouvelle fois sur le manque criant de médecins, d'infirmiers et de psychologues universitaires et scolaires : y remédier est donc une priorité absolue. Parfois, des postes ne sont pas pourvus, et beaucoup d'acteurs du secteur médico-social scolaire réclament une clarification de leurs missions ainsi qu'une reconnaissance à la hauteur de l'importance de leurs missions.

Le deuxième axe de nos travaux a été celui de la fermeture des établissements scolaires. À l'instar du Gouvernement, la commission d'enquête fait sien le principe selon lequel l'école doit, en temps de crise, rester a priori ouverte car les conséquences de sa fermeture sont lourdes pour de nombreux élèves et aboutissent, au final, à un creusement des inégalités.

Les disparités en termes de dotations matérielles, de connaissance du numérique et de conditions de vie ont eu un impact très significatif sur la possibilité ou non, pour les enfants, de continuer à avoir un lien régulier avec l'école et de connaître une véritable continuité pédagogique, bien que les équipes pédagogiques aient déployé l'ensemble des moyens mis à leur disposition pour le maintenir au travers d'outils qui se sont améliorés au fur et à mesure des semaines.

Les parents d'élèves se sont également mobilisés pour s'organiser : ce confinement a donc permis des progrès dans l'utilisation du numérique au sein des familles. Le rapport propose un renforcement des efforts dans l'identification des difficultés des élèves et des familles en termes de matériels, mais aussi d'illectronisme. Certaines familles hébergées dans des hôtels sociaux par le 115 et privées de connexion ont ainsi dû mener un combat quotidien pour que leurs enfants aient accès aux cours.

Enjeu majeur pour l'avenir, cette problématique de l'équipement doit également être résolue pour les personnels sociaux de l'éducation nationale ou de l'Aide sociale à l'enfance (ASE), qui doivent bénéficier de moyens suffisants pour assurer l'accompagnement des enfants et des familles, même à distance, leurs tâches étant primordiales.

Le retour à l'école sur la base du volontariat n'a pas été, avec le recul, une option évidente, car elle faisait peser sur de nombreux parents une trop lourde responsabilité. En outre, on a constaté d'importantes disparités entre établissements, révélatrices d'inégalités sociales et territoriales.

Notre vigilance, dans la période à venir, devra s'exercer particulièrement à l'égard des générations des classes charnières, c'est-à-dire le cours préparatoire (CP), la sixième, la seconde et la terminale.

Pour les élèves de terminale, les inquiétudes sont grandes, entre le baccalauréat qu'ils n'ont pu vivre comme un rite de passage et une entrée dans l'enseignement supérieur escamotée : de l'avis des spécialistes, cette génération doit faire l'objet d'un accompagnement renforcé.

Chers collègues, nous avons tenu collectivement à ce que nos travaux abordent en profondeur la situation des jeunes les plus vulnérables, avec leurs problématiques spécifiques, et notamment les questions relatives à la protection de l'enfance.

Les effets du confinement sur les jeunes relevant de l'ASE sont assez contrastés. Nous avons pu noter une polarisation entre les professionnels qui intervenaient au domicile et qui estimaient que les effets du confinement étaient majoritairement négatifs, et ceux qui accompagnaient des enfants vivant en établissement, ou chez des assistants familiaux, et qui faisaient plutôt état d'un apaisement.

La dégradation observée chez les enfants suivis par l'ASE à leur domicile semble résulter de plusieurs facteurs : les conditions de vie difficile des familles, et notamment l'exiguïté des logements et les problèmes financiers ; l'arrêt de la scolarisation et la diminution des accompagnements éducatifs et des visites et, enfin, l'arrêt ou la forte diminution de l'accueil dans les structures de soins ou spécialisées.

Nous avons été également alertés sur les conséquences parfois négatives de la suspension des droits de visite.

Les témoignages recueillis font d'état d'un fort engagement des personnes de l'ASE, notamment de la présence renforcée des éducateurs auprès des enfants pris en charge.

Pour les aider dans leurs missions, le rapport propose de renforcer le pilotage national et territorial de la politique de la protection de l'enfance en réaffirmant l'impératif d'une prise en charge équivalente des enfants sur l'ensemble des territoires.

Un tel objectif suppose de réaffirmer le rôle de l'État dans la définition des orientations de cette politique et dans le contrôle de leur mise en œuvre, comme nous l'a indiqué avec beaucoup de force le secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles.

Une attention particulière a été portée aux mineurs non accompagnés (MNA), dont la prise en charge pendant le confinement n'a pas toujours été assurée alors même que le principe d'une mise à l'abri inconditionnelle a bien été rappelé par l'État.

Cependant, les éléments recueillis par la commission d'enquête portent à conclure qu'un tel principe a pu demeurer inopérant ou être restreint du fait de difficultés d'application dans certains départements. De plus, beaucoup de jeunes mineurs accompagnés ont été logés dans des hôtels sociaux ou au sein de dispositifs dits de semi-autonomie. Or, dans ces lieux parfois insalubres, les conditions de vie sont très précaires et ne favorisent pas un accompagnement conforme aux exigences de la protection de l'enfance.

Le rapport propose donc une évolution des compétences entre l'État et les départements en matière de prise en charge des MNA afin de garantir un accueil identique sur l'ensemble du territoire ; et pour ce qui est de la répartition des financements, une révision profonde du protocole d'accord signé en 2018 s'impose.

Quelques mots enfin de la précarité chez les jeunes et des problématiques d'insertion dans l'emploi.

La pauvreté infantile atteint 21 % des enfants. La crise aggrave les inégalités mais surtout la pauvreté. Les associations caritatives nous ont ainsi alertés sur l'urgence de moyens supplémentaires pour aider les ménages pauvres et à amplifier la lutte contre la précarité, sachant que les enfants en sont les premières victimes.

De même, la précarité étudiante, exacerbée par la perte des jobs étudiants, ne pourra que perdurer si nous n'agissons pas structurellement sur l'accompagnement que proposent l'État et les établissements d'enseignement supérieur, l'actuel système de bourses peinant à y remédier efficacement.

De plus, l'absence de filet de sécurité pour notre jeunesse a été évoquée lors de toutes les auditions, si bien que la question des moyens visant à renforcer l'autonomie des jeunes doit être au cœur de notre action.

Le rapport propose à cet égard certaines pistes, notamment l'engagement d'une réflexion portant sur l'autonomie financière et matérielle des étudiants et sur l'ouverture du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans.

Les étudiantes et les étudiants éprouvent de fortes inquiétudes quant à leur insertion professionnelle. Les projections anticipent un chômage des jeunes aux alentours de 25 %, en prenant en compte le fait que le nombre de contrats à durée déterminée (CDD) et de contrats d'intérim – les plus proposés aux jeunes – a dramatiquement chuté.

De même, trouver un stage s'avère très compliqué, ce qui a des conséquences importantes en particulier pour les filières professionnelles. Dans certains secteurs, la prime d'alternance mise en place par le Gouvernement va permettre de sauver ces contrats, mais dans d'autres, comme la restauration, cela ne suffira peut-être pas. Nous avons pu rendre visite aux élèves d'un lycée hôtelier qui nous disaient ne pas trouver de stages pratiques, ce qui met en péril tant la valeur de leur diplôme que leur avenir professionnel.

Les mesures prises dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » devront permettre d'apporter des réponses concrètes à ces jeunes adultes : le rapport propose à cette fin d'assurer un versement accéléré des crédits aux acteurs de l'insertion au titre des dispositifs de ce plan, notamment la garantie jeunes et le parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (PACEA), pour une mise en œuvre réactive.

Je conclus cette brève présentation du rapport, en remerciant, encore une fois, l'ensemble des personnes auditionnées pour la qualité de leurs contributions et des commissaires.

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