Intervention de Florence Provendier

Réunion du mercredi 16 décembre 2020 à 15h00
Commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFlorence Provendier :

Merci, madame la présidente, madame la rapporteure, de nous avoir accordé ce temps si précieux pour nous pencher sur un sujet auquel on ne prête pas suffisamment attention. Je le dis avec le cœur : on devrait toujours commencer par là d'où l'on vient, c'est-à-dire par l'enfant, et ne jamais l'oublier. Merci donc pour ce travail remarquable, et pour ce foisonnement de propositions en tous genres.

La question, maintenant, est de savoir par quoi l'on commence. J'aimerais avoir votre avis car il y a à la fois du macro, du micro, de l'opérationnel, des propositions qui relèvent de la vision politique globale, d'autres qui sont des suggestions pratiques à mettre en œuvre immédiatement… Plus de quatre-vingts recommandations au total ! Comment les hiérarchisez-vous ? Si vous deviez n'en garder que six, lesquelles sélectionneriez-vous ?

J'ai deux regrets concernant la méthode. Le premier, c'est que nous n'ayons pas eu davantage de temps et de recul pour nos travaux ; avec six mois de plus, je pense que nous aurions pu avoir des retours d'expérience plus intéressants. Peut-être faudrait-il lancer une commission d'enquête pour faire suite à cette commission d'enquête ? (Sourires.) Plus sérieusement, il faut poursuivre ces travaux : il ne faudrait pas qu'ils s'arrêtent avec la commission d'enquête.

Le deuxième regret, c'est que nous aurions dû faire participer plus d'enfants et de jeunes, conformément d'ailleurs aux recommandations faites dans le rapport. Outre qu'il existe plusieurs organisations rassemblant des enfants, à commencer par le Parlement des enfants, nous aurions pu élaborer un questionnaire ou passer par l'intermédiaire des réseaux de jeunes. Trop souvent, nous restons dans l'incantation, à dire ce qu'il faudrait faire, alors même que nous pourrions faire participer un plus grand nombre de personnes à nos travaux – et je m'inclus dans la critique.

La commission d'enquête nous a cependant permis de faire le point sur l'impact de la crise, qui précarise davantage encore les plus vulnérables, ainsi que sur l'articulation des politiques en faveur des enfants et de la jeunesse. Or les principaux intéressés sont trop rarement consultés, a fortiori dans cette période. Autre point qui ressort de nos travaux, c'est qu'il est extrêmement difficile d'évaluer les conséquences du confinement sur les enfants et la jeunesse dans la mesure où nous ne disposons pas véritablement d'indicateurs sur lesquels nous appuyer. Pour donner un exemple qui me permettra de revenir sur les propos d'Albane Gaillot, on pourrait avoir le sentiment que les violences dans l'espace numérique ont augmenté, en raison d'une exposition plus forte aux écrans ; or, à part des témoignages individuels, nous ne disposons pas à ce jour de données fiables qui en attesteraient. Sans repères ni indicateurs, il est extrêmement difficile de mener des politiques publiques adaptées.

L'ambition de la commission d'enquête était immense ; on ne devrait pas s'en tenir à son rapport et continuer à questionner et contrôler les politiques publiques relatives à l'enfance et à la jeunesse. Comment faire pour aller plus loin ?

Afin d'appuyer certaines des propositions que vous avez faites, je souhaite donner un coup de projecteur sur cinq points et formuler dix suggestions.

Premièrement, il faut favoriser la participation des jeunes. Comment faire les bons choix si les jeunes ne sont pas consultés et impliqués dans les mesures qui les concernent ? Dans le cas présent, nous pourrions organiser des sondages, à travers une plateforme dédiée ou une application mobile, se fondant sur des questionnaires adaptés afin de valider les orientations envisagées. Cela permettrait d'avoir un état de leur opinion à l'instant T ou dans un territoire en particulier. À plus long terme, c'est leur capacité à se faire entendre qui doit être repensée par la mise en place de consultations généralisées ou la création d'un Parlement des jeunes au niveau national, sur le modèle de notre assemblée nationale.

Il faudrait aussi faire des droits de l'enfant et de la jeunesse une boussole des politiques publiques. Vous proposez de créer une délégation aux droits de l'enfant. Nous essayons, tous autant que nous sommes, de faire valoir la pertinence de cette proposition, étant donné qu'à l'Assemblée nationale, aucune commission permanente ne traite spécifiquement de l'enfance. À la commission des affaires culturelles et de l'éducation, on traite de l'éducation ; à la commission des affaires sociales, de la famille ; mais nulle part on ne traite de l'enfant. Même chose au niveau de l'État, où pas moins de douze ministères se partagent l'enfant ; une main à la justice, un doigt pour la santé, un bras à l'éducation nationale, un pied pour le secrétariat d'État… Ne vaudrait-il pas mieux réfléchir à un fonctionnement plus adapté, soit de manière transverse, interministérielle, soit en créant un ministère de plein droit ?

Troisièmement, attachons-nous à rendre lisibles et accessibles les contenus destinés aux jeunes. L'information est toujours descendante ; il y aurait pourtant d'autres solutions, par exemple le pair à pair, que je trouve extrêmement intéressant. Quoi qu'il en soit, il faut absolument revoir contenus et contenants. Vous évoquez certaines campagnes totalement à côté de la plaque ou moralisatrices : si l'on veut s'adresser aux enfants et à la jeunesse, il faut avoir les bons outils, passer par les médias qu'ils utilisent, utiliser les mots qu'ils comprennent. D'où la nécessité de les placer au centre des dispositifs – vous le voyez, mes propositions sont extrêmement concrètes.

Quatrièmement, essayons de recréer du collectif dans une société de l'engagement. La Fondation de France a rendu début décembre un rapport qui souligne qu'un des principaux maux liés à la situation actuelle, c'est l'isolement. Jusqu'à présent, les jeunes y étaient moins sujets que les moins jeunes ; or désormais, les chiffres sont équivalents : 14 % des jeunes ont le sentiment d'être complètement livrés à eux-mêmes, du fait de problèmes liés à la pauvreté, au décrochage scolaire etc. Pour aborder la question du RSA et faire un peu de politique, il me semble que, dans ces conditions, il est extrêmement important de ne pas simplement perfuser, mais d'inviter chacun à redevenir acteur de sa vie et faire en sorte qu'il ait la capacité de pêcher son propre poisson.

Dernier point : l'ASE. Si les enfants en foyer ou en famille d'accueil ont été relativement épargnés, alors même qu'ils sont d'habitude transbahutés de droite à gauche, les enfants hébergés dans des hôtels sociaux ont été touchés de plein fouet par la crise. Vous appelez à renforcer les protocoles et l'encadrement pour l'accueil des familles en hôtels sociaux ; je suis quant à moi partisane d'une interdiction pure et simple. Le Défenseur des droits l'a bien dit : la place d'un enfant n'est pas dans un hôtel. À supposer que la situation actuelle dure encore quelques mois, il faut impérativement trouver des solutions pour éviter que des enfants ne crèvent pas de faim – car c'est bien ce qui s'est passé. Quand bien même ils disposeraient d'outils informatiques et du wifi, bref du minimum, il faut mettre en œuvre une politique qui nous permette de les sortir de l'hôtel.

J'avais dix suggestions à formuler, mais je crois que mon temps de parole est écoulé…

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