Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du mardi 8 septembre 2020 à 18h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, à mon tour de vous dire le plaisir de vous retrouver et d'être parmi vous. Je n'utiliserai pas le terme de présentiel car, s'il ne s'agit pas d'un anglicisme, le terme n'est pas très élégant en français. C'est un réel plaisir – qui est également un devoir – de rendre compte régulièrement à la représentation nationale des grands enjeux de l'enseignement scolaire. Je le fais une semaine après une rentrée inédite, non seulement pour la France, mais pour la plupart des pays du monde, compte tenu des circonstances sanitaires.

Nous pouvons être heureux, et je voudrais placer ce bilan sous le signe de la joie. Le terme n'est guère inusité en cette période et a fortiori dans le débat politique, mais je pense qu'il y a une joie à reprendre les cours. La joie de la rentrée scolaire fait partie des grands moments d'une année, que nous devons à nos enfants et à nos adolescents. Cette rentrée s'est déroulée dans la joie, une joie amplifiée parce que tout le monde a bien compris que l'école est fondamentale et qu'il était important de la retrouver. Elle est apparue plus précieuse encore qu'à l'habitude. D'où ce volontarisme de ma part – merci, monsieur le président, de l'avoir souligné – et de celle des différents acteurs car je veux dire le travail d'un million de personnes, des professeurs comme des personnels de l'éducation nationale, qui a permis cette réussite.

Parfois, les choses nous paraissent banales, parce que nous y sommes habitués, mais il faut savoir qu'elles relèvent d'un travail approfondi de très nombreuses personnes. La rentrée scolaire, à l'instar du baccalauréat, suppose la mise en mouvement d'une horlogerie très fine plusieurs mois avant la rentrée. Chacun sait qu'elle se prépare pendant huit ou dix mois.

La crise sanitaire a, d'une certaine façon, cassé cette horlogerie d'un grand coup de marteau aux mois de mars et d'avril, avec tout ce que cela suppose de dérèglements s'agissant des concours, des processus d'affectation et de l'ensemble des éléments techniques qui permettent de préparer la rentrée.

La maison « éducation nationale » a su rétablir cette horloge à temps afin que le 1er septembre tous soient présents grâce à la préparation des processus et à l'engagement de tous, notamment des professeurs. Mon oreille résonne encore des doutes qui s'exprimaient jusqu'à la fin août, comme cela peut se produire dans le débat public. Mais, pour finir, l'éducation nationale a été au rendez-vous comme annoncé. À cet égard, je remercie l'ensemble des acteurs, qui sont nombreux, car ils ne se limitent pas aux personnels de l'éducation nationale ; ce sont aussi les élèves, revenus massivement, leurs parents et l'ensemble de la société française, très soudée autour de son école qui rythme la vie nationale. Il était extrêmement important que la rentrée ait lieu pour l'ensemble des élèves, certes, mais aussi pour l'ensemble de la société. Il convient de le souligner car il n'en va pas ainsi dans tous les pays du monde, ni non plus dans tous les pays d'Europe.

Le déconfinement est un véritable défi, pour utiliser un terme neutre, éducatif et mondial, dont on ne doit pas minimiser la gravité. Je crois pouvoir dire, à la lumière des propos de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) que la France a réussi à minimiser ce problème, même si elle n'a pas réussi à en éliminer toutes les conséquences. J'invite chacun à comparer notre situation à celle de nos grands voisins européens, tels que le Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne ou l'Allemagne. Cela doit nous réunir autour du principe d'un service public de l'éducation nationale, un des socles de notre République. C'est dans ces circonstances difficiles que nous comprenons qu'il ne s'agit pas d'un simple mot, que le service public de l'éducation nationale correspond à des réalités qui permettent à l'école de la République de fonctionner, y compris en période de crise, sans trop d'hétérogénéité ni d'inégalité, quand bien même nous devons rester vigilants et attentifs aux inégalités qui ont pu s'accentuer au cours de cette période.

Au-delà de la reprise, il convient de souligner les enjeux sanitaires d'une part, les enjeux éducatifs d'autre part.

S'agissant des enjeux sanitaires, l'ensemble des éléments sont disponibles sur notre site internet. Vous les connaissez, vous y avez été très attentifs aux mois de juin, juillet et août. Le protocole sanitaire a été élaboré au mois de juillet. J'ai parfois entendu dire qu'il serait obsolète parce que l'épidémie revêt une ampleur nouvelle, mais dans la mesure où le protocole envisageait tous les cas de figure, nous disposons d'un point de référence stable pour aborder l'ensemble des situations.

Les grands principes du protocole se fondent sur le respect des gestes barrières. On ne le répétera jamais assez : le lavage des mains est essentiel. Le déconfinement volontariste en mai et juin a habitué les acteurs au respect de ces gestes et instauré des réflexes dont nous pouvons nous réjouir, les élèves ayant pris des habitudes qu'ils n'avaient pas intégrées au mois de mai. Cela fait partie des acquis de la période car nous avons tous des points positifs à tirer de l'épreuve que nous traversons, notamment le civisme et les réflexes en matière d'hygiène, autant d'éléments positifs que le protocole sanitaire de mai et juin a préparés pour arrêter les règles du protocole sanitaire de septembre.

Autre grand principe, le port du masque systématique, obligatoire pour tous les adultes. Les éventuelles exceptions envisagées ont été supprimées pour tenir compte de la nécessité de simplifier le message et de la circulation actuelle de l'épidémie. Pour les élèves, le port est obligatoire au collège et au lycée. En cela, nous avons suivi les recommandations du Haut conseil à la santé publique et de l'Organisation mondiale de la santé sur les pratiques à adopter, qui sont suivies par la très grande majorité des pays.

Le protocole sanitaire s'accompagne d'un protocole de continuité pédagogique, également consultable sur notre site internet. En cas de fermeture de classes ou d'établissements, des procédures, l'enseignement à distance notamment, assureront la continuité pédagogique.

En cas de contamination, les grands principes de la procédure sont connus : isolement de la personne, remise de la liste des personnes contact à l'Agence régionale de la santé, dépistage rapide et systématique des cas contact. L'analyse de ces résultats conduit ensuite les autorités sanitaires, en lien avec le préfet et le recteur, à envisager des mesures éventuelles de fermeture temporaire. Au moment où je vous parle, 28 fermetures d'établissement ont été décidées, 260 classes sont fermées. Ces 28 fermetures d'établissement sont à comparer aux 60 000 établissements et écoles en France. Par ailleurs, dès avant la rentrée, j'ai indiqué qu'il fallait s'attendre à des fermetures, corollaire inévitable d'une politique d'ouverture et de prudence. Je rappelle, en effet, que ces fermetures interviennent à titre préventif. Les premières sont liées, pour l'essentiel, à des adultes qui ont contracté la maladie avant même la rentrée, ce qui a amené à prendre des mesures de prudence.

Je l'ai répété avant et pendant la rentrée : les enjeux sanitaires ne doivent pas occulter l'ensemble des autres enjeux. C'est vrai dans le domaine de l'éducation nationale comme dans tous les autres, la vie continue et les enjeux éducatifs sont plus présents que jamais.

Je voudrais maintenant aborder quelques éléments d'ordre éducatif, à la fois la poursuite approfondie des grandes priorités et des éléments nouveaux. Je commencerai par l'école inclusive qui franchit une nouvelle étape cette année par le recrutement, conformément à mes engagements, de 8 000 accompagnants supplémentaires des élèves en situation de handicap (AESH). La France compte plus de 100 000 AESH, dont plus de 80 000 personnes en contrats aidés. À ce jour, plus de 100 000 personnes sont employées en contrat à durée indéterminée (CDI) ou en contrat à durée déterminée (CDD), ces dernières ayant vocation à obtenir un CDI.

Les progrès réalisés passent par la création de cellules départementales pour répondre aux besoins en amont de la rentrée et par l'organisation en pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL) qui permettent une meilleure gestion des ressources humaines ainsi qu'une meilleure coopération avec le monde médicosocial, ce qui est un enjeu essentiel.

Bien sûr, en début d'année scolaire, des cas restent à résoudre, mais ils sont moins nombreux que l'an dernier. Outre le progrès quantitatif, un progrès qualitatif est souligné par la majorité des acteurs. Cet élément figure, pour moi, parmi les plus importants. 380 000 élèves en situation de handicap sont accueillis et scolarisés dans notre système scolaire.

Vient ensuite tout ce qui a trait à la prise en compte des conséquences de la crise sanitaire pour l'éducation. Je pense aux vacances apprenantes qui ont touché près d'un million d'élèves, ce dispositif central ayant été un succès. L'été 2020 a été un jalon éminemment utile de la politique future. Il s'est traduit par la réinvention du système de vacances à vocation sociale. Les colonies de vacances apprenantes, l'école ouverte buissonnière, largement étendue cette année, ou l'été du pro ont permis d'élargir l'éventail des possibilités, créé de nouvelles approches, insufflé plus d'attractivité au système avec une portée sociale accentuée. Ainsi que l'a déclaré le Premier ministre, nous continuerons sur cette voie les années prochaines. Ce fut également un élément de transition pour nos élèves et un acquis de l'été. C'est ainsi que cette année, le nombre des élèves qui ne reviennent pas ou qui seraient en quelque sorte perdus sur le plan des connaissances à la rentrée est moindre.

Pour tenir compte des conséquences de la crise sanitaire sur le plan éducatif, les évaluations de début d'année sont systématisées. Ce sont avant tout les évaluations nationales telles qu'elles existaient ou telles qu'elles étaient prévues : les évaluations de début du cours préparatoire (CP) et de début de cours élémentaire 1 (CE1), les évaluations de sixième qui participent à la rénovation de l'évaluation de cette rentrée, tant il est vrai qu'il s'agit d'évaluations très approfondies, faites pour accompagner l'enjeu de l'acquisition des savoirs fondamentaux et permettant, à l'entrée en sixième, de s'assurer de l'acquisition de ces savoirs et d'y remédier au plus vite quand ce n'est pas le cas. Il en va de même des évaluations de seconde qui avaient besoin d'être renforcées et que nous systématisons dans le même esprit.

Nous avons ensuite fourni des outils à tous les professeurs de France, du cours préparatoire à la terminale, pour évaluer les élèves en début d'année, et dont ils ont fait un large usage. L'ensemble de ces outils sont consultables par tout un chacun et font partie du dispositif général.

Une fois que les professeurs, grâce à leurs propres méthodes et aux outils nationaux, ont acquis une vision, en ces premiers jours de rentrée, du niveau de connaissance et des compétences de leurs élèves, ils déclenchent un accompagnement personnalisé. Pour ce faire, 1 680 postes ont été créés dans l'enseignement public primaire, dans un contexte de diminution du nombre d'élèves. S'ajoutent 1,5 million d'heures dans le second degré au titre des dispositifs d'accompagnement personnalisé. Ainsi, le dispositif Devoirs faits au collège connaîtra probablement une progression de 50 % du nombre d'heures. Je lance d'ailleurs un appel à toutes les familles de collégiens pour inscrire leurs enfants à Devoirs faits chaque fois qu'ils en ressentiront la nécessité. Rappelons que le dispositif est gratuit et qu'il est de trois heures en moyenne par semaine et par enfant.

Des politiques éducatives s'affirment en cette rentrée. Cette année est celle du parachèvement de la réforme du baccalauréat, et donc de celle du lycée général et technologique. La réforme se caractérise par l'épreuve du grand oral en fin d'année. Des évolutions auront cours, y compris dans la manière de concevoir le contrôle continu qui comptera pour 40 % cette année. À cet égard, nous avons pris en compte les retours de terrain, les critiques, les propositions dans le cadre du comité de suivi du baccalauréat auquel certains parlementaires ont accordé une grande attention. Ce comité permet des allers-retours entre le terrain et le pilotage des politiques publiques. Il en va de même pour la réforme de la voie professionnelle scolaire, qui a donné lieu à un rapport produit par une équipe menée par Mme Céline Calvez. Cette transformation de la voie professionnelle se poursuit donc. J'ai à cœur d'insister sur ce point, non seulement parce qu'il s'agit de l'une des réformes les plus importantes, mais aussi parce que j'ai accompagné aujourd'hui le Président de la République dans un déplacement qu'il a effectué en Auvergne pour rendre hommage au monde de l'apprentissage et du lycée professionnel.

Nous avons visité un lycée professionnel de l'aéronautique. Ce fut l'occasion pour le Président de saluer les réalisations, telles que le campus des métiers et des qualifications, une politique qui a été lancée avant le présent quinquennat et à laquelle nous avons fait franchir une nouvelle étape, notamment en instaurant le label d'excellence.

Cette politique est assortie du programme d'investissement d'avenir pour accompagner le mouvement de réindustrialisation de la France, auquel nous tenons tous. Sans entrer dans le détail, on peut dire que cette politique connaît une nouvelle maturité en cette rentrée. En raison des difficultés économiques et sociales liées à la crise sanitaire, un plan Jeunes inclut l'éducation nationale sur le fondement du plan « 1 jeune, 1 solution », doté d'une enveloppe de 6,5 millions d'euros. Cela se traduit pour l'éducation nationale et pour mon ministère par la création de 11 700 places supplémentaires en post-bac, notamment pour les brevets de technicien supérieur (BTS), donc souvent pour des bacs professionnels, qui, sans cela, pourraient se retrouver sans solution, et 100 000 nouvelles missions de service civique.

La rentrée se caractérise également par le lancement de la mesure de formation pour les 16-18 ans. Mme Sylvie Charrière et plusieurs d'entre vous ont accordé beaucoup d'importance à cette mesure qui représentera une très grande innovation dans notre système car aucun jeune ne doit se retrouver sans emploi ni formation. Les lycées professionnels contribueront largement à relever le défi. Nous piloterons cette mesure en lien avec vous au cours de cette année pour trouver des solutions à tous les jeunes, sachant qu'ils sont notre priorité. Pour reprendre les propos du Président de la République et du Premier ministre, ils ne doivent pas être les premières victimes de la crise que nous traversons.

Dans le domaine périscolaire, nous voulons donner une nouvelle impulsion au plan Mercredi, notamment pour renforcer l'accompagnement des accueils de loisirs dans les territoires prioritaires par un système de bonification en appui aux collectivités locales.

S'agissant des politiques sociales, les cités éducatives prennent un nouvel élan, que nous poursuivons avec le ministère de la ville et du logement. De 2019 à 2022, 100 millions d'euros sont attribués à 80 territoires labellisés. Les premières cités éducatives ont déjà montré une très grande pertinence, y compris dans le contexte particulier du covid en mobilisant les acteurs autour de l'école, du monde associatif, pour assurer la continuité éducative et créer une série d'actions. Nous agissons sur les facteurs sociaux de la réussite éducative.

Nous serons très attentifs aux enjeux que nous qualifions de républicains, en particulier à la laïcité, par un plus fort contrôle de l'instruction dans les familles, des établissements hors contrats et des enseignements internationaux de langues étrangères (EILE), les enseignements de langue et de culture d'origine (ELCO) ayant été transformés en EILE. Je pense aux ELCO « Turc » qui avaient nécessité beaucoup de travail. Les EILE actuels sont très différents de ce que la France a connu précédemment.

Je citerai encore le rétablissement du contrôle des clubs sportifs, la contribution au projet de loi contre le séparatisme avec, à l'avenir, un renforcement de notre capacité de dissolution des associations qui placent leur action dans un champ antirépublicain.

La rentrée est caractérisée par le déclenchement du Grenelle des professeurs. Cette expression recouvre à la fois le principe de négociations très approfondies et une réforme de la gestion des ressources humaines de l'éducation nationale.

J'ai déjà eu l'occasion de le dire devant vous, deux temps président à l'action réformatrice au cours de ce quinquennat s'agissant de l'éducation : d'une part, un temps des réformes pédagogiques et éducatives qui sont désormais enclenchées et qu'il faut poursuivre ; d'autre part, un temps de la transformation des ressources humaines du ministère qui commence par une meilleure rémunération des personnels. Je dis depuis 2017 à quel point il s'agit d'un enjeu majeur et il est nécessaire de franchir une étape. Pour 2021, cela se traduit par un ajout de 400 millions d'euros à l'augmentation budgétaire prévue. C'est aussi la revalorisation du métier de professeur, un changement systémique pour que l'ensemble des éléments qui caractérisent la vie de nos professeurs et de nos personnels évoluent dans le sens du bien-être au travail, qui rejaillira sur les élèves. C'est donc un magnifique chantier, auquel les parlementaires ont vocation à participer largement dans le cadre des groupes de travail et toutes les fois que j'aurai à rendre compte devant vous, pour façonner un système plus souple et plus épanouissant pour tous.

Parmi la série d'enjeux relevant des ressources humaines, je me limiterai à citer celui du métier de directeur d'école. Le Parlement a participé à nos progrès, sous la forme d'une proposition de loi préparée par Mme Cécile Rilhac, dans une dynamique à laquelle Mme Valérie Bazin-Malgras et plusieurs d'entre vous ont participé.

Je salue l'engagement exceptionnel des directrices et des directeurs d'école pendant le confinement et le déconfinement, qui s'est davantage remarqué encore au cours de cette période de crise. C'est la raison pour laquelle une indemnité exceptionnelle de 450 euros leur sera versée d'ici à la fin de l'année. Dans la ligne de la proposition de loi et des mesures réglementaires qui peuvent la compléter, des perspectives de plus grande autonomie et de plus fort allègement de leurs charges administratives sont fixées. Ces dispositions font partie du dialogue social qui se poursuit et des premières de mesures de rentrée en matière d'allégement administratif.

La rentrée est riche, les enjeux éducatifs ne sont pas gommés par les enjeux sanitaires. Au contraire, devant la difficulté, non seulement nous ne devons pas faillir, mais nous devons faire levier avec l'obstacle pour progresser davantage encore.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.